L'introduction du rapport énonce :
"Le projet européen reste-t-il pertinent dans l’économie globalisée de ce début de XXIe siècle ?
Deux thèses s’affrontent sur cette question cruciale pour la restauration d’une pleine adhésion des opinions publiques à l’aventure européenne comme pour l’avenir du Vieux Continent lui-même.
Selon la première, la dimension européenne se trouverait doublement contestée, d’un côté, par l’accélération et l’effet dilutif du processus de mondialisation, de l’autre, par le caractère indépassable de l’Etat-nation comme lieu d’existence du lien social et d’exercice de la démocratie.
Pour la seconde, la mondialisation ne ferait au contraire que renforcer la finalité d’origine de la construction européenne, consistant, au-delà de l’établissement d’une paix durable, à redonner à ses Etats membres la capacité de peser au niveau international, en les dotant d’une taille critique et d’une volonté commune face aux nations-continents de l’économie mondiale.
Même si l’on n’y adhère pas, la première thèse repose sur un constat de fait en forme de défi majeur pour le projet européen. Quant à la seconde, sa validité présumée ne peut plus faire l’économie d’une démonstration, qui renvoie aux moyens et ambitions dont l’Union européenne voudra ou non se doter pour lui donner raison.
La réponse officielle de l’Europe à la mondialisation s’incarne aujourd’hui dans la « Stratégie de Lisbonne ». Lancée en mars 2000, en plein boom Internet et face au risque de décrochage européen par rapport aux performances économiques américaines, cette initiative visait à faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde à l’horizon 2010 ». Après quatre années d’immobilisme et un premier bilan lucide établi par le Rapport Kok de 2004, elle fut relancée en mars 2005 et recentrée sur la « croissance et l’emploi ». Elle est aujourd’hui devenue la stratégie centrale et consensuelle de l’Union européenne à 27 dans les domaines économique, social et environnemental, la « réponse européenne à la mondialisation ». Le Conseil européen des 13 et 14 mars 2008 vient d’en adopter le troisième cycle pour la période 2008-2010, dans la continuité du cycle précédent.
Porter un jugement sur la capacité de l’Europe à affronter la mondialisation suppose donc d’évaluer la Stratégie de Lisbonne à cette aune. La question est politiquement sensible.
Pour l’actuelle Commission européenne, qui en a fait son cheval de bataille, la Stratégie de Lisbonne telle que relancée en 2005 est désormais un succès et doit être poursuivie telle quelle jusqu’en 2010 et au-delà. La Commission s’appuie notamment sur l’amélioration de la performance économique globale de l’Union européenne en 2006-2007 et sur les 6,5 millions d’emplois créés au cours de cette période. Les difficultés actuelles de l’économie américaine contribuent également à redorer le blason européen en termes de croissance et de productivité.
La réalité est cependant moins univoque, et la pérennité de l’embellie européenne, incertaine.
Le présent Rapport s’ouvre sur un bilan aussi exhaustif et nuancé que possible de la Stratégie de Lisbonne. C’est à notre connaissance la première évaluation de ce processus établie à l’initiative d’un Etat membre de l’Union européenne depuis sa relance en 2005.
L’exercice était doublement délicat, s’agissant d’un processus qui a d’ordinaire lui-même vocation à évaluer les performances des Etats membres selon un certain nombre de critères prédéfinis, a fortiori de la part d’un Etat membre dont les propres performances au regard desdits critères ont été jusqu’ici moyennes, voire médiocres, et dans lequel la Stratégie de Lisbonne tout comme la mondialisation souffrent d’une perception particulièrement négative.
De tels bilans vont sans doute se multiplier en Europe à l’approche de 2010, terme fixé lors du lancement de la Stratégie en mars 2000, avec des enjeux politique importants. Disons le d’emblée : à deux ans de son terme, Lisbonne n’est ni le succès mis en avant par la Commission, ni l’échec patent dépeint à tort dans notre pays. Ses résultats sont contrastés selon les pays, selon les objectifs, et globalement mitigés pour l’ensemble de l’Union européenne en raison des performances médiocres des grandes économies de la zone euro (France, Italie, Allemagne). Son processus de mise en oeuvre – qui repose principalement sur la « méthode ouverte de coordination » -, non contraignante et reposant largement sur la bonne volonté des Etats membres, laisse à désirer et fait une trop large place à une approche bureaucratique. De ce fait, même lorsque les performances économiques sont bonnes, on peut légitimement s’interroger sur leur imputabilité à la Stratégie de Lisbonne plutôt qu’aux cycles macro-économiques ou aux programmes de réformes nationaux menés de manière autonome.
Il n’en reste pas moins que la Stratégie de Lisbonne est peu à peu devenue synonyme d’un agenda consensuel d’adaptation des économies européennes aux défis de la mondialisation. Elle a eu notamment l’immense mérite d’introduire une coordination européenne dans des domaines relevant principalement de compétences nationales (enseignement supérieur, recherche, emploi, social…) et de faire évoluer et converger les politiques, les pratiques et les esprits dans une même direction de progrès. Ses objectifs demeurent valides et sont encore loin d’être atteints. Lisbonne a été et demeure pour l’Europe une sorte de « portail du monde ».
Ce bilan contrasté nous conduit à soutenir les orientations proposées par la Commission et entérinées par le Conseil européen pour le cycle 2008-2010, consensuelles en Europe et centrées sur l’amélioration de la mise en oeuvre nationale des objectifs définis en 2005-2006. La prescription vaut tout particulièrement pour la France, dont le processus de réforme structurelle a souffert d’un retard de plusieurs années, et doit être vigoureusement poursuivi à la veille de sa présidence de l’Union et au-delà.
Le bien fondé de la continuité dans le court terme ne doit cependant pas occulter une réalité plus profonde : dans le moyen et le long terme, la Stratégie de Lisbonne ne constitue plus une réponse suffisante à la mondialisation, et ce pour au moins trois raisons :
• ses « performances » comme moteur d’adaptation des économies européennes à la mondialisation sont tout d’abord insuffisantes face à l’intensification de la compétition mondiale. Loin d’avoir comblé le fossé qui la séparait des Etats-Unis, l’Europe est désormais également menacée de déclassement du fait de la montée en puissance des géants économiques asiatiques ;
- l’Union européenne est par ailleurs confrontée à de nouveaux défis, dans son environnement extérieur tout comme en son sein même, dont l’existence ou du moins l’ampleur n’étaient pas perçues en 2000, ni même en 2005 : la concurrence du monde émergent, la problématique énergie/climat, les effets de l’élargissement à 27, la crise financière internationale, la géopolitisation de la mondialisation. A ces défis correspondent de nouvelles opportunités dont l’Europe doit savoir se saisir : une croissance mondiale dynamique, une mobilité plus grande des compétences et des talents, la montée en régime de l’euro comme monnaie internationale, les apports institutionnels du traité de Lisbonne ;
• enfin et surtout, la Stratégie de Lisbonne ne concerne que l’adaptation des économies et des sociétés européennes à la mondialisation : l’Europe ne peut la réussir seule, c’est-à-dire sans l’articuler avec une stratégie économique extérieure qui doit reposer sur des instruments différents et contribuer à façonner la mondialisation.
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