chapitre l'opinion publique

CHAPITRE – L’OPINION PUBLIQUE

SECTION I – LA NAISSANCE DE L’OPINION PUBLIQUE

Document 1 :
Comment se fait-il qu'un Breton qui pratique sa religion de façon très scrupuleuse dans son village, lorsqu'il arrive à Paris, dans la grande majorité des cas, abandonne toute pratique religieuse ? C'est le fameux problème du trottoir de la gare Montparnasse et de son effet sur la pratique religieuse qui donnait tant à réfléchir à G. Le Bras. (...)
Au village le fils de la famille Untel va à la messe et n'a pas à s'affirmer en tant que catholique ni à exprimer verbalement une opinion sur ses croyances religieuses. Son attitude religieuse est une attitude diffuse et profonde, qui se manifeste, s'actualise dans un certain nombre de comportements réglés par le groupe social. La pression sociale organise les comportements et entrave l'expression verbale d'opinions. Il serait indécent de dire ce que l'on pense sur des sujets importants comme la religion. On peut parler de la pluie et du beau temps, mais on n'a pas à remettre en question l'ordre de l'univers et les croyances au sujet de l'Au-delà.
En ville, arrivant de son village où il n'a jamais eu l'habitude d'exprimer verbalement ses opinions religieuses, le Breton a le sentiment qu'aller à la messe le dimanche, c'est affirmer une opinion religieuse, par opposition à ceux qui n'y vont pas et qui ne l'affirment pas. C'est donc une démarche inhabituelle pour lui et qui lui est relativement difficile. S'il ne va pas à la messe à Paris, à Vitry ou à Choisy, alors qu'il y allait dans son village, cela ne veut pas dire qu'il croit ou qu'il ne croit pas, mais simplement qu'il n'a pas encore fait l'apprentissage de son nouveau milieu social et qu'il trouve inconvenant « de s'afficher », comme on dit en langage courant.
Source : H Mendras, éléments de sociologie, A Colin, 1972.
Questions :
Pourquoi le paysan breton n'a t'il pas d'opinion ?
Comment la pratique religieuse évolue telle quand un paysan breton quitte son village pour se rendre à Paris, donnez en les raisons.
Pourquoi dans une société de type holiste l'opinion individuelle n'existe telle pas ?

Document 2 :
A :
Individualité et société : le modèle libéral et l'homo politicus
Selon le discours de l'idéologie libérale, l'individu est l'unité fondamentale de la société politique. La légitimité de cette dernière repose sur la croyance en des citoyens égaux, capables grâce à la raison, dans un contexte de concurrence des opinions, d'assurer un ordre politique qui respecte les droits naturels fondamentaux des individus. L'homo politicus libéral, source et architecte de la volonté générale, est un citoyen qui porte intérêt aux choses du bien commun ; grâce à sa raison, il est capable d'opiner rationnellement sur les problèmes de la communauté et d'émettre des avis soucieux de l'intérêt général.
Dans ce cadre, le procédé du suffrage universel est le moyen d'expression par excellence en fournissant aux citoyens l'occasion d'émettre des avis, égaux, responsables et libres .
Source : J Padioleau, l'opinion publique, Mouton, 1981.
B:
Ces modes d'observation tirent leur légitimité originaire remarque J Galtung de certitudes véhiculées par l'idéologie libérale:
- les individus possèdent des opinions ,
- ces opinions méritent d'être mises à jour,
- les citoyens sont en mesure de les communiquer verbalement.
Source : op cité .
C :
Arrêtons-nous un instant pour considérer avec magnanimité le public classique dans la théorie démocratique, à propos duquel Rousseau s'est écrié : « L'opinion, Reine du monde, n'est pas soumise au pouvoir des rois ; ils en sont eux-mêmes les premiers esclaves. »
La caractéristique clé de l'opinion publique telle qu'elle fut engendrée par la montée des classes moyennes démocratiques est la liberté de discussion. Dans cette communauté de publics quiconque veut parler le peut et quiconque y est intéressé le fait. Les possibilités de répondre, d'organiser des moyens d'expression autonomes, de concrétiser son opinion, sont inhérentes aux institutions démocratiques. L'opinion publique, résultat de la discussion, émane alors de l'action publique ; c'est, en un sens, la « volonté générale » que les parlements ou congrès promulguent en lois, lui donnant ainsi force institutionnelle. Le parlement, en tant qu'institution, couronne tous les publics primaires. C'est l'archétype pour chacun de ces petits cercles éparpillés au sein desquels les citoyens discutent des affaires publiques.
L'idée d'opinion publique au XVIIIe siècle peut être mise en parallèle avec la notion économique de marché de libre concurrence. Ici, le public composé de cercles de discussion, pairs couronnés par le parlement ; là, un marché de libre concurrence entre entrepreneurs. De la même façon que le prix est le résultat d'une négociation entre individus anonymes et de force égale, l'opinion publique est le résultat de la réflexion de chaque individu contribuant de par son poids à la formation générale de l'opinion. À la vérité, certains peuvent avoir plus d'influence que d'autres sur la formation de l'opinion, mais aucun homme ni groupe ne monopolise la discussion, ou ne détermine par lui-même l'état de l'opinion qui prévaut.
Source :C. Wright Mills, in J. Padioleau, L'Opinion publique. Mouton, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1981.
Questions :
1. Sur quels postulats repose la légitimité de la société politique libérale ? ( documents A et B )
2. Expliquez la phrase de Rousseau, quel élément est à l’origine de l’apparition et du développement de l’opinion publique
3. Quel parallèle CW Mills établit-il entre opinion publique d'une part, et prix sur un marché de CPP d'autre part ? Que cela traduit-il ?


SECTION II-DEFINITION ET MESURE DES OPINIONS

I -DEFINITION

Document 3 :
.La définition de l'opinion, selon Jean Stoetzel1 dans la Théorie des opinions, est la suivante : « L'expression d'une opinion est la formule nuancée qui, sur une question déterminée, à un moment donné, reçoit l'adhésion sans réserve d'un sujet. »
Cette définition ne soulève aucun problème philosophique d'aucun ordre : c'est une définition opératoire, autrement dit une définition qui permet de faire une enquête. Je définis comme opinion de M. X la phrase sur laquelle M. X me dit qu'il est d'accord. « Aimez-vous Mitterrand un peu, beaucoup, pas du tout ? » Si M. X me dit « je l'aime un peu » et qu'il ait le sentiment qu'il peut donner son accord complet sur cette formulation « je l'aime un peu », l'opinion de M. X sur Mitterrand sera « je l'aime un peu » .
Une fois cette convention simple, mais fondamentale, établie, les difficultés surgissent. Si la même question est posée à un grand nombre d'individus qui répondent en formulant un accord sur l'une des trois nuances : « j'aime Mitterrand, un peu, beaucoup, pas du tout », leurs réponses forment un éventail d'opinions à l'égard de Mitterrand. On dispose donc là d'un instrument de recherche qui permet de se faire une idée précise sur la façon de penser et de sentir d'un groupe ou d'une catégorie d'individus.
Par définition, l'opinion est un accord avec une formule nuancée, sur une question déterminée et à un moment donné. Par conséquent, si la question déterminée se trouve être changée dans sa formulation ou dans son contexte social, l'individu à qui l'on pose la question n'y répondra pas exactement de la même façon. En outre, on pose une question par référence à une situation donnée à un moment donné et, par définition, les situations historiques changent – et le moment change constamment. Il est donc normal de changer d'opinion en fonction de l'évolution de la situation extérieure.
Source : H Mendras, Eléments de sociologie, A Colin, 1989.
Questions :
Quels sont les critères permettant de définir le terme opinion?
En fonction de quels déterminants l'opinion publique peut-elle évoluer ?


II – UNE TECHNIQUE DE MESURE DES OPINIONS : LES SONDAGES

Document 4 :
Des journaux américains, le Harrisburg Pennsylvanian et le Raleigh Star dès le XIXe siècle, organisaient des « votes de paille » consistant à appeler leurs lecteurs, par les procédés les plus variés, à dire leurs intentions de vote aux élections présidentielles. Les résultats étaient ensuite publiés. Le grand nombre de réponses n'assurait pour autant aucune représentativite de l'électorat n'avait aucune valeur prédictive. Ces opérations de vote de paille avaient avant tout une fonction de promotion commerciale des journaux qui les organisaient.
En 1936, le Literary Digest mit en place un gigantesque vote de paille donnant lieu à deux millions quatre cent mille réponses et prévoyant la victoire d'Alfred Landon, tandis que George Horace Gallup qui, à la suite d'Emo Râper et d'Archibald Crossiey, avait créé son institut l'année précédente, à partir d'échantillons de quelques milliers de personnes, annonçait la victoire de Frankiin Delano Roosevelt. Ces succès de prévision électorale impressionnèrent : d'une part, ils lièrent, dans les représentations du public et des médias, sondages et démocratie, d'autre part ils donnèrent, par la production de résultats chiffrés exacts, un statut scientifique à la méthode et à leurs opérateurs. (….)
Après la seconde guerrre mondiale, des universitaires reconnus comme J Stoezel ont fondé des instituts de sondages, ils suscitent enthousiasme et critiques. On croit à cette époque au mariage de la science et de la politique, et la dimension scientifique de la méthode est conforme aux aspirations des milieux progressistes. Le Peuple, organe de la CGT, parle de l'Ifop en ces termes : « Un instrument nouveau est ainsi fourni à la démocratie pour connaître objectivement l'état et les mouvements de l'opinion. Souhaitons que le gouvernement sache, parfois, tenir compte des résultats obtenus. » Cette prise de position du journaliste du Peuple est conforme aux intentions de Stoetzel qui écrira : « Les sondages d'opinion publique sont devenus une véritable institution dont l'existence ne saurait plus être mise en cause. Leurs progrès s'inscrivent dans le sens d'une meilleure organisation des rouages si complexes de la société moderne de masse. Grâce à eux, les hommes d'État disposent d’un moyen d’information à la fois plus souple et plus continu que les consultations électorales , auxquelles ils ne sauraient en aucun cas se substituer » .
Source : J.de Legge , Sondage et démocratie , Flammarion , 1998
Questions :
Qu’est-ce-qu’un vote de paille ? Quelles sont ses faiblesses ?
Comment l’élection de Roosevelt aux Etats-Unis a-t-elle contribué au lancement des sondages d’opinion ?
Sur quels éléments s’appuient l’organe de la CGT Le Peuple comme J.Stoetzel pour démontrer l’apport que représentent alors les sondages ?

Document 5 :
Le principe du sondage est le suivant : il s'agit d'étudier la distribution d'un caractère dans une partie de population pour en inférer, c'est-à-dire en déduire, la distribution dans l'ensemble de la population, avec une .marge d'erreur susceptible d'être calculée .La théorie des probabilités, élaborée par Pascal et Fermat et systématisée par Bernouilli, en constitue le fondement mathématique. Elle permet de trouver à partir de quelle taille un échantillon tiré au hasard est représentatif d'un ensemble, et elle indique la précision obtenue ;L'exemple classique est celui du sac de billes contenant en nombre égal et en grande quantité des billes noires et des billes blanches. La théorie démontre, et l'expérience confirme, que le nombre de billes noires, chaque fois que l'on sort au hasard cent billes du sac, a 95 chances sur cent de se situer entre 45 et 55. Soit une marge d'erreur de 10 = + ou - 5 % par rapport à la proportion réelle de billes noires (50 ).
Quand la taille de l'échantillon augmente, la précision augmente aussi : la marge d'erreur est divisée par dix quand la taille de l'échantillon est multipliée par 100. Pour 10 000 billes, la marge d'erreur serait de 1 ... Les conséquences sont importantes :
- la représentativité d'un échantillon est fonction de sa taille et non du taux de sondage (taille de l'échantillon rapportée à la taille de la population étudiée) ;
- la précision additionnelle est de plus en plus coûteuse et les instituts de sondage se contentent généralement d’échantillons de 1 000 à 2 000 individus (échantillon de 1 600 personnes : marge d'erreur de plus ou moins 2 %) ;
- la représentativité est une propriété de l'ensemble de l'échantillon et non des individus qui le composent : le boucher parisien dans un échantillon représentatif de la population française n'est pas représentatif des bouchers parisiens.
Source : L.Blondiaux , Institutions et vie politique , Les sondages , La Documentation française
Questions :
· Sur quels principes de base repose la théorise des sondages ? Quel en est le fondement ?
· Expliquez avec vos propres termes les trois conséquences qui se situent à la fin du texte .


III – LA MESURE DE L’OPINION , UNE TECHNIQUE COMPLEXE A METTRE EN ŒUVRE

A – LA PRISE EN COMPTE DE LA SITUATION DANS LAQUELLE EST OPERE LE SONDAGE

Document 6 :
En général, l'enquête crée elle-même la situation dans laquelle l'opinion s'affirme. Il s'agit donc d'une situation artificielle qui ne ressemble nullement aux conditions habituelles qui accompagnent la formulation des opinions.
L'enquêteur est un étranger ; il lève des questions sur lesquelles les personnes interrogées n'ont pas forcément réfléchi ; il n'est pas un interlocuteur : la relation est à sens unique. Voilà qui est essentiel pour la compréhension des résultats d'un sondage : aussi scrupuleux que soit le travail de l'enquêteur,aussi authentiques que soient les réponses, il demeure que dès le départ les opinions recueillies se sont manifestées dans un contexte anormal.
Dans les sciences physiques, les techniques de mesure et d'observation modifient déjà l'image du phénomène mesuré. Ce qui est vrai des sciences de la nature l'est a fortiori des science humaines.
Source : F Le Bon , les sondages peuvent-ils se tromper, Calman-Lévy, 1974.
Questions :
Expliquez, pourquoi selon Le Bon le sondage crée une situation artificielle, quelles répercussions cela peut-il avoir sur la réponse du sondé ?
Comment le sondeur doit-il agir pour minimiser son influence sur le sondé ?

Document 7 :
II semble en effet que l'individu sondé souhaite ne pas apparaître comme ignorant devant l'enquêteur. Il peut aussi volontairement exprimer des propos fantaisistes ou tout simplement éprouver des difficultés à répondre « non ».
Lorsqu'on mesure la notoriété d'hommes ou de femmes politiques, on insère parfois un nom fictif, qui récoltera immanquablement un pourcentage de partisans
Source : H.Meynaud et D.Duclos , les sondages d’opinion , Repères , La Découverte.
Questions :
· Quel est l’intérêt de mesurer le pourcentage de partisans d’une personnalité qui n’existe pas ?
· Quel biais des sondages cela traduit-il ?


B – L’ART DE BIEN POSER LES QUESTIONS

Document 8 :
Une question prend une signification différente selon le niveau culturel de l'interrogé, sa catégorie socio-professionnelle et une multiplicité d'autres facteurs. Une interrogation pertinente pour une catégorie de personnes perd tout sens pour d'autres catégories. Le phénomène est parfois évident, donc contrôlable : il est absurde de consulter des célibataires sur l'avenir professionnel de leurs enfants. Mais les réponses n'ont pas non plus grande valeur lorsqu'elles proviennent de gens dont les enfants sont déjà engagés dans la vie active. Or le principe même des sondages - l'étude quantifiée des phénomènes d'opinion – postule l'homogénéité des réponses. Et les propriétés statistiques qui fondent la représentativité des échantillons ne sont valables que dans la mesure où le phénomène observé est univoque .
Source : F. Le Bon , op cité
Questions :
Quel est le postulat sur lequel reposent les sondages ?
Ce postulat paraît-il vérifié à l’auteur ? Pourquoi ?

Document 9 :
Lorsqu'on demande : « prenez-vous souvent des vacances ? », le mot « souvent » peut représenter une fois par an, une fois par semaine, etc. Il est alors absolument nécessaire de recouper cette question par d'autres pour bien cerner ce qu'elle implique pour les personnes concernées (durée réelle, espacement, points de chute correspondant aux types de vacances, etc.). (...)
On retrouve le même type de problème avec des notions comme celle de comportement effectif (pour qui avez-vous voté aux dernières élections ? êtes-vous adhérent à un syndicat ? avez-vous acheté un piano ?) ou virtuel (si vous disposiez d'assez d'argent pour... qu'aimeriez-vous choisir ?...). En effet, dans. la plupart des situations réelles, demander à quelqu'un comment il s'est comporté, ou se comporterait si..., revient à évoquer l'engagement dans un acte qui l'implique dans ses conséquences, plus nettement qu'une simple opinion souvent ambiguë et modifiable à tout moment. C'est pourquoi il peut être tenté de ne pas répondre.
Source : H.Meynaud et D.Duclos , op cité
Questions :
Quels sont les deux exemples que l’auteur utilise pour démontrer que l’élaboration de la question peut biaiser la réponse ?

Document 10 :
A ;
Une question est dite inductrice quand elle conduit la personne à répondre plutôt d'une certaine manière que d'une autre. Le mécanisme peut en être très simple : par exemple, lorsqu'on demande : « êtes- vous d'accord... », on pousse la personne vers une réponse plutôt positive. C'est l'une des raisons qui légitime le recours à des échelles allant de plus au moins d’accord, avec le risque d'une dérive des réponses, cette fois vers le milieu. L'induction peut également découler de la position d'une question par rapport à d'autres ou après un commentaire qui la présente : ce qu'on appelle l'effet de halo. Par exemple, lorsque l'on demande d'abord à quelqu'un si « la venue de la gauche au pouvoir a eu des effets économiques catastrophiques », et ensuite : « Voterez-vous pour la gauche aux prochaines élections ? », la réponse à la seconde question sera influencée par la première. En général, la production délibérée d'effets d'induction s'opère en associant dans la question elle-même une appréciation négative ou positive à la description de l'objet sur lequel on demande par ailleurs un jugement à la personne interrogée
Source : H.Meynaud et D.Duclos , op cité
B :
Pensez-vous que les États-Unis doivent autoriser les discours publics contre la démocratie ?
Doivent autoriser...................................... 21
Ne doivent pas ......................................... 62
Sans réponse ........................................... 17
Pensez-vous que les États-Unis doivent interdire les discours publics contre la démocratie ?
Ne doivent pas interdire ........................... 39
Doivent interdire ................................... 46
Sans réponse ........................................... 15
Source : F.Le Bon , op cité
Questions :
Qu’est-ce qu’une question inductrice ?
Définissez l’effet de halo
Que constatez-vous dans le document B ? Quelles précautions méthodologiques s’imposent donc aux sondeurs ?


SUJET D'APPLICATION : L’OPINION PUBLIQUE EXISTE-T-’ELLE ?

Document 1 :
. Pour beaucoup de critiques les sondages poussent à la démagogie. Les hommes politiques ne gouverneraient que les yeux fixés sur leur courbe de popularité, prêts à toutes les faiblesses pour faire remonter leur cote. Un peu de démagogie peut sans doute soutenir une cote fléchissante , beaucoup de démagogie ou une démagogie prolongée la feraient vite chuter .Les élus savent cela de longue date et les sondages ne leur offrent sans doute qu’une faible incitation supplémentaire à la démagogie . Or , en contrepartie de ce risque limité , ils remplissent auprès des gouvernants une fonction d’information difficilement remplaçable sur les opinions de la masse des gouvernés . On ne mesure pas en effet à quel point l’information des gouvernants est tributaire de leur entourage - entourage technocratique des cabinets ou entourage politique des militants – qui joue presque toujours le rôle d'un filtre et d'un prisrne déformant .
Par comparaison, le sondage a le grand avantage de montrer les Français tels qu'ils sont et non tels qu’'ils devraient être pour satisfaire la passion partisane des militants ou la raison administrative des hauts fonctionnaires frais émoulus de l’ÉNA. Les sondages ont aussi l'intérêt de montrer les limites de la représentativité des appareils qui dénoncent le risque de démagogie pour conserver leurs privilèges. Les organisations représentatives - professionnelles ou politiques- sont censées parler au nom de leurs mandants. Mais la plupart du temps elles parlent à leur place sur des sujets où elles ne les ont pas consultés. Le sondage rappelle opportunément que les syndicats ne sont pas propriétaires des intéressés qu'ils encadrent, pas plus que les partis ne sont propriétaires de leurs électeurs.
(...) Ce respect des opinions de chacun peut difficilement passer pour de la démagogie.
Source : A.Lancelot , Les sondages dans la vie politique française , Encyclopedia Universalis

Document 2 :
Les problématiques qui sont proposées par les sondages d'opinion sont des problématiques intéressées. Toute problématique est intéressée mais dans le cas particulier, les intérêts qui soutiennent ces problématiques sont des intérêts politiques et cela commande très fortement à la fois la signification des réponses et la signification qui est donnée à la publication des réponses. Le sondage d'opinion est, dans l'état actuel, un instrument d'action politique; sa fonction la plus importante consiste peut-être à imposer l'illusion qu'il existe une opinion publique comme sommation purement additive d'opinions individuelles ; à imposer l'idée que par exemple dans une pièce comme celle-ci' il y a une opinion publique, quelque chose qui serait comme la moyenne des opinions ou l'opinion moyenne. L'« opinion publique » qui est manifestée dans les premières pages des journaux sous la forme de pourcentages (60% des Français sont favorables à...), cette opinion publique est un artefact pur et simple dont la fonction est de dissimuler que l'état de l'opinion à un moment donné du temps est un système de forces, de tensions et qu'il n'est rien de plus inadéquat pour représenter l'état de l'opinion qu'un pourcentage. (….)
Je voudrais énoncer les postulats qu'il s'agit de mettre en question pour parvenir à une analyse rigoureuse et fondée des sondages d'opinion. Ces postulats sont de trois ordres :
· Premièrement, toute enquête d'opinion suppose que tout le monde peut avoir une opinion ; ou, autrement dit, que la production d'une opinion est à la portée de tous. Quitte à heurter un sentiment naïvement démocratique, je contesterai ce premier postulat.
· Deuxième postulat : on suppose que toutes les opinions se valent : je pense que l'on peut démontrer qu'il n'en est rien et que le fait de cumuler des opinions qui n'ont pas du tout la même force réelle aboutit à une distorsion très profonde.
· Troisième postulat implicite : dans le simple fait de poser la même question à tout le monde se trouve impliquée l'hypothèse qu'il y a un consensus sur les problèmes, autrement dit qu'il y a un accord sur les questions qui méritent d'être posées.
Ces trois postulats impliquent, me semble-t-il, toute une série de distorsions qui s'observent lors même que toutes les conditions de la rigueur méthodologique sont remplies dans la recollection et l'analyse des données.
Source : P Bourdieu, l'opinion publique n'existe pas , in Questions de sociologie, éditions de minuit ,1984

Document 3 :
Je trouve monstrueux de prétendre que la masse des citoyens n'a pas d'idées sur les grands débats qui traversent notre société. Le principe de la démocratie n'est pas de voter une fois tous les cinq ans et de se foutre des électeurs dans l'intervalle. Nous avons tenu compte des critiques adressées par les sociologues, notamment en ce qui concerne la formulation des questions, l'échantillonnage : les procédés se perfectionnent toujours davantage. On peut, bien sûr, recenser régulièrement dans la presse des erreurs, des approximations, des interprétations abusives. Mais pratiquer l'amalgame et appeler de ses vœux la suppression des sondages, c'est aller contre le fonctionnement démocratique d'une société. Pourquoi pensez-vous que tous les pays de l'Est, récemment libérés de la dictature, soient en train de se doter d'instruments de sondage fiables ? Les sondages sont le phare de la démocratie. Doit-on laisser trois ou quatre éditorialistes de renom, et une poignée d'intellectuels, s'arroger l'expression de l'opinion publique ?
Source : J Jaffré, SOFRES, in télérama, 28 avril 1993

Document 4 :
Avant l'essor des sondages, le journaliste n'était en quelque sorte qu'un faire-valoir de l'élu : ce dernier, en sa qualité de représentant des électeurs, avait, pour ainsi dire, le monopole de pouvoir parler au nom des mandants, du «peuple», de l’opinion publique», le journaliste n'étant là que pour lui laisser la parole. Avec la multiplication des sondages, qui est d'abord le fait des entreprises de presse et dans une bien moindre mesure des partis et organisations politiques, et sous l'effet de la concurrence accrue encre médias (la privatisation des chaînes suscitant une pratique journalistique plus «agressive»), le journaliste se retrouve en position de rivaliser avec l'homme politique pour dire ce que pensent et ce que souhaitent «les Français», «l'opinion publique».
Il n'est dès lors pas difficile de comprendre que le nouveau jeu politique se réduise pour l'essentiel à essayer de mettre «l'opinion» de son côté, «l'opinion» telle que la mesurent les instituts. L'importance de la télévision et la prolifération des sondages appellent l'homme politique à présenter un profil spécifique. D'un côté, il est poussé à 1 immobilisme : ne pas s'exposer en prenant ou en envisageant des mesures risquant de passer pour impopulaires sous peine de se voir infliger de mauvais sondages et de perdre des points dans les «baromètres» de confiance. En ce sens, 1 éventail des promesses et la définition des politiques à mettre en œuvre s'en
trouvent réduits, accusant l'interchangeabilité des protagonistes. Cela ne conduit-il pas à donner un peu plus de force encore à l'impression pour les profanes que les acteurs disent tous la même chose? D'un autre côté. le professionnel de la politique est enclin à l'activisme médiatique, conseillé par les experts en communication afin de promouvoir sa marque distinctive. De là, l'importance d imaginer, par exemple, certains shows télévises et de se faire entendre par des «petites phrases» qui seront autant d occasions offertes à la réalisation de sondages, à moins qu'ils ne soient effectués en direct .
Loin de n'être qu'un moven d'information supplémentaire, la pratique des sondages participe de la redéfinition du travail des journalistes et des hommes politiques. Il n'est pas sûr que ces derniers en soient les premiers bénéficiaires en étant dépossédés pour partie de leur rôle. De même, il n'est pas démontré aux yeux des citoyens que les cotes de popularité fassent bon ménage avec le débat démocratique. Par le fait de transformer la vie politique en campagne électorale permanente (deux mois après son entrée en fonction et à deux ans de l'échéance présidentielle, le Premier ministre E. Balladur est consacré présidentiable par les sondages), les sondages remplissent aussi cette fonction de rassurer psychologiquement les hommes politiques. Même s'ils n'y croient pas toujours, ils doivent faire avec. avec ce que l'on pourrait appeler la tyrannie des sondages.
Source : C.Henry , Des sondages et de leurs usages , mars 1993

Document 5 :
II existe incontestablement une tendance à privilégier le discours, la réponse... qui possèdent le mérite d'être immédiatement «traitables». Cette tendance est favorisée d'abord par le sens commun qui y trouve du «solide» du «sur». Mais elle est aussi conforme à un style de démarche savante qu'on peut appeler «positiviste» : le positivisme consiste dans la confiance accordée aux phénomènes observables, aux «données» réputées incontestables par opposition aux réalités cachées, invisibles... réputées incontrôlables. Enfin le privilège accorde aux discours effectifs répond à une exigence d'efficacité : après tout, si l'on obtient des «résultats», pourquoi faudrait-il se priver de ce bénéfice en se lançant dans des interrogations complexes, difficiles et finalement peu «rentables», sur la signification des «données» recueillies, sur leur valeur et leurs limites On sait la fortune contemporaine de la technique des sondages. Cette fortune est telle, elle s'impose avec une elle évidence, qu il n'y aurait guère, semble-t-il, que quelques «cuistres» pour chercher à prendre du recul et à susciter un vain «pinaillage». La chose primordiale dans les sondages est. en effet d'obtenir des réponses qui. une fois agrégées, suscitent cet effet de cohérence qu'on appelle «opinion publique» si «les Français» sont «pour» la peine de mort, la répression des conducteurs alcooliques, l'arme nucléaire etc à quoi sert de s attarder sur des nuances, inévitable résidu que l'interprétation ne peut traiter sinon de façon accessoire ? Le résultat témoigne de la pertinence de la technique utilisée: il y a des courbes régulières (popularité des hommes politiques par exemple), des «tendances» constatables dans les «chiffres» etc. De surcroît, les gens répondent bon gré mal gré; ils se prêtent à un jeu qui fait désormais partie de « l’horizon » quotidien comme en témoigne la presse, écrite ou audiovisuelle, qui traite avec sérieux des prestations publiques d hommes politiques à la minute même de leur effectuation («il n'a pas convaincu sur l'Europe les femmes de moins de 35 ans et les sympathisants U.D.F.») et qui, de façon générale, présente un problème politique et social (la délinquance, les vieux, l'Europe, l'union libre) et l'état de « l’opinion» sur ce problème (pour/contre; évolution...).
Sauf exception - parce qu'à l'évidence, il est impossible de méconnaître une donnée surprenante, anormale, etc. - la réponse à la question posée par l'enquêteur est tenue comme allant de soi. La preuve du bien-fondé de la question est dans l'existence, elle-même mesurable, de réponses. II serait intéressant d'analyser le discours sur les non-réponses que proposent les professionnels du sondage et de l'étude d'opinion :
les gens qui ne répondent pas n'ont «pas encore» d'opinion, mais ça viendra bien un jour (élections) : les fameux «indécis», le «marais»...
les gens qui ne répondent pas sont quasiment coupables d'«indifférence» (ex. : vie politique) : enfermés dans leur petite sphère, ils sont incapables d'en sortir et d'accéder aux grands problèmes de la vie publique.
Source : P.Champagne , D.Merlhié , R.Lenoir et L.Pinto , Introduction à la pratique sociologique , Dunod

Document 6 :Doc distribué en cours
Source : G.Michelat et M.Simon , les sans réponses aux questions politiques , l’années sociologique , 1982

Document 7 :
Faut-il, en effet, conclure de ces remarques critiques que, comme le disait Pierre Bourdieu au début des années 70, « l'opinion publique n'existe pas » ? On touche, en fait, ici à l'un des problèmes sans doute les plus délicats de l'analyse sociologique, surtout quand elle porte sur un champ social qui, comme c'est le cas du champ politique, peut parvenir à faire exister socialement des produits pourtant scientifiquement sans valeur.
Si l'on pouvait dire, à la fin des années 60, que l'« opinion publique » que prétendaient mesurer les instituts de sondage n'existait pas et qu'elle n'était qu'un produit largement artefactuel, sans rapport avec ce que les acteurs du jeu politique appelaient alors « opinion publique », c'est parce que la pratique même des sondages en était encore à ses débuts en France et que la croyance des milieux politique et journalistique en cette « opinion publique » saisie par les instituts de sondage était encore très faible. C'est la même analyse qui doit conduire aujourd'hui à des conclusions apparemment opposées : l'« opinion publique » des instituts de sondage existe parce que ces derniers ont, depuis, réussi à faire croire en la valeur « scientifique » de leurs enquêtes et à transformer ainsi ce qui était à l'origine, en grande partie, un simple artefact technique, en réalité sociale
Source : P.Champagne , Faire l’opinion , Editions de Minuit , 1990

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