QUESTION DE SYNTHESE PREMIERE
I – DOSSIER DOCUMENTAIRE
DOCUMENT 1 :
Raffinée et distinguée, telles sont les épithètes descriptives et normatives qui, en filigrane dans tous les témoignages, qualifient une bonne éducation . Attachés à donner une définition objective de la politesse, les enquêtes la présentent comme ce qui permet à un peuple de se dire civilisé (femme, 1912) ; arriver chez les autres en pays conquis, être chez soi partout et tout bousculer sont considérés par eux comme des comportements vulgaires car primaires (femme, 1941). Ils insistent sur la barbarie de l'homme non poli, opposé à l'homme civilisé, l’urbanus dont la politesse est signe d'appartenance à une communauté « politique », au sens originel du terme, c'est-à-dire organisée, hiérarchisée, réglementée. A l'évidence, la politesse leur apparaît comme le fruit d'un travail sur soi qui permet l'arrachement définitif à l'état de nature; c'est pourquoi ils n'hésitent pas à employer le terme de dressage pour parler de l'éducation de l'enfant jusqu'à l'âge de trois ans. Leur discours frappe par l'aisance avec laquelle ils s'approprient la définition, somme toute objective etl collective de la politesse (selon laquelle les règles qui régissent la vie des hommes en société relèvent de l'état de culture, opposé à l'état de nature) et en font un point de vue propre à leur groupe .
De tels propos placent le corps lui-même et ses mouvements au cœur des rituels de la distinction, comme le soulignent aussi d'autres détails, telle la bonne démarche, présentée par les enquêtes comme un signe de bonne éducation : elle consiste à marcher les pieds ni en dedans ni écartés, à ne pas les traîner et à regarder droit devant soi; elle se caractérise par de grands pas, pratique qui trahit à la fois la grande assurance et l'habitude du sport. Les enquêtes insistent aussi sur le fait qu'on leur a appris, dès la plus tendre enfance, à se tenir droits et raides comme la justice . ( … )
Les termes avachi et vautré soulignent implicitement l'animalité de la personne mal élevée : être avachi, qui signifie « être couché comme une vache », souligne la propension des enquêtés, chez qui les références à la vie rurale ne sont pas rares, à assimiler l'homme impoli à la bête. L'éducation aristocratique, au contraire, s'efforce d'effacer cette animalité comme en témoigne l'attention portée aux mouvements et aux positions des membres et du dos. Les enquêtés insistent sur de nombreux détails : ne pas croiser les jambes, ne pas les écarter, mettre les pieds sous le siège, ne pas s'appuyer sur le dossier du siège, se tenir assis en étant droit et immobile. Pour obliger les enfants à se tenir droits sans s'appuyer au dossier, certains parents glissaient un bâton entre le dos et les bras pliés de l'enfant ou mettaient une épingle sur le dossier :
Nous n'avions pas le droit de nous appuyer sur le dossier de notre chaise et j'étais toujours menacée, étant petite fille, de prendre le tabouret du piano. Un jour où le régisseur de ma famille qu'on recevait une fois par an était là à déjeuner, j'étais justement punie de tabouret de piano. Je suis partie du salon avec mon tabouret dans les bras, avec le régisseur qui suivait derrière moi. Je suis arrivée dans la salle à manger, j'ai mis mon tabouret à ma place à table et j'ai pris mon repas assise dessus. Cela a été la honte de ma vie! (femme,1924).
Forcer l'enfant à manger de tout s'explique moins par un souci diététique que par la volonté de l'habituer à accepter la soumission sociale. Cette contrainte, comme tant d'autres, est liée à la nécessité de ne pas se singulariser, de ne pas se faire remarquer, de ne pas avoir de goût détonnant, de ne pas risquer d'offenser la maîtresse de maison en refusant un plat... C'est là un exemple caractéristique de la manière dont l'éducation aristocratique s'efforce de rendre l'enfant capable de faire par goût ce qu’il a appris à faire par obligation .
SOURCE : E.MENSION-RIGAU , Aristocrates et grands bourgeois , PLON , 1994
DOCUMENT 2 :
Les préparatifs de ventes de charités, de colis de Noël au profit des déshérités occupent une part non négligeable de l'emploi du temps des élèves (d'un collège catholique pour jeunes filles de bonne famille] qui apprennent ainsi à donner leurs temps. Ces activités donnent à ces femmes le sentiment d'avoir accompli leur devoir », écrit Monique de Saint-Martin, chercheuse au centre de sociologie de l'éducation et de la culture de l'EHESS (1). Dès leur plus jeune âge, les enfants de la haute bourgeoisie, surtout s'ils ont suivi une éducation religieuse, sont incités à rencontrer, à « échanger » avec le pauvre, qui «a beaucoup à nous apprendre », lui qui est porteur d'une innocence que l'on ne connaît plus. Ils partagent leurs repas de Noël avec de vieux indigents et vont distribuer des colis aux familles sans ressources dans de lointaines banlieues. Les « autres » ont d'abord les traits du nécessiteux, du miséreux .
Adultes, bon nombre de grands bourgeois versent des sommes parfois conséquentes aux fonds d'entraides, occupent la présidence ou le poste de trésorier d'une association caritative. Les épouses distribuent colis et dons, prolongeant la tradition des dames des bonnes œuvres qui allaient visiter les veuves de mineurs au XIX° siècle ou accueillaient les mendiants à l'office de leur châteaux pour leur distribuer de la soupe. Les destinataires de ces bienfaits sont situés, dans l'échelle sociale, aux antipodes des donateurs.
Dans l'une des plus riches paroisses de l'Eglise réformée de France, les aides et secours sont même exclusivement destinés à l'Afrique ou à l'Arménie. Comme s'il fallait soigneusement tenir les pauvres à distance des beaux quartiers.
Les grands bourgeois considèrent ces activités comme faisant partie de leurs obligations sociales. Elles participent de la mise en scène de leur puissance et de leur excellence. Elles montrent leur capacité d' « ouverture à l'autre ». Tout en affirmant que remédier aux malheurs du genre humain est affaire de relations entre personnes, entre individus. Il ne s'agit pas de penser les inégalités sociales en termes de classes, ou de conflits sociaux.
Longtemps, lorsque le peuple quittait les haillons du mendiant pour la casquette de l'ouvrier, le bourgeois tremblait. Les « classes laborieuses » étaient forcément des « classes dangereuses ». Simone de Beauvoir notait dans Les mémoires d'une jeune fille rangée : « Les ouvriers en particulier appartenaient à une espèce aussi dangereusement étrangère que les Boches ou les Bolcheviks »
SOURCE - P JUNGHANS , Les autres :entre charité, peur et domination, Alternatives économiques, Hors-série n° 25 ,1995.
DOCUMENT 3 :
Les rallyes existent depuis le début des années 1950. Après la seconde guerre mondiale, les mariages trop explicitement arrangés devenaient de plus en plus difficiles à imposer. Les rallyes, troisième instance de socialisation après la famille et l'école, pallient cette difficulté. Ces réunions de jeunes, soigneusement sélectionnés, cooptés par les mères, commencent dès l'âge de dix à treize ans, par des sorties culturelles, pour se terminer par de grandes soirées dansantes. Les sorties culturelles sont un exemple achevé de l'imbrication des différentes formes de capitaux. Le groupe d'enfants pourra par exemple être emmené par quelques mères à l'ambassade de Grande-Bretagne. Accueillis par l'ambassadeur en personne, qui a des liens amicaux ou familiaux avec des parents du rallye, les enfants seront guidés par lui pour visiter le bâtiment, monument historique classé. A d'autres occasions, le conservateur ou le prêtre, eux aussi proches de familles du rallye, feront visiter le musée ou l'église.
Les enfants apprennent ainsi que la culture est un élément inséparable de leur vie, qu'elle imprègne leurs relations amicales, que leurs familles sont chez elles partout, accueillies avec la plus grande déférence, qu'il y a une affinité profonde entre leur monde quotidien et celui des musées, des monuments, des salles de spectacle. Pour eux, la culture, c'est la vie. Tant et si bien que le rallye atteint presque toujours son objectif : faire en sorte que les jeunes ne ruinent pas un avenir brillant, un destin hors du commun, par une mésalliance qui viendrait rompre le fil de la dynastie, noble ou bourgeoise. Il n'y a pas de libre concurrence dans l'économie affective grande bourgeoise.
SOURCE : M.PINCONet M.PINCON-CHARLOT , Sur la piste des nantis , Le Monde Diplomatique n°570 , septembre 2001
DOCUMENT 4 :
Il n'en reste pas moins que, dans ces familles, tout ce qui touche à l'argent est considéré comme mesquin, voire suspect. L'argent est repoussé dans le non-dit et la volonté très forte de définir la position sociale, non par l'argent mais par la naissance et le statut que confère l'ancienneté d'appartenance à l'élite, débouche sur une caricature violente des parvenus, des nouveaux riches.
Quel est le rôle de l'éducation familiale ?
L'éducation familiale est conçue comme la condition sine qua non de la transmission de l'identité et, à ce titre, elle est défendue comme une impérieuse nécessité. Elle est nettement distinguée de l'instruction qui fait référence à un savoir intellectuel .
L'éducation, elle, est plus générale, elle veille à la formation morale et religieuse, à l'adaptation sociale, à la connaissance des usages. Même si aujourd'hui le passage par l'institution scolaire et la préparation des concours sont reconnus comme indispensables, un rôle essentiel est dévolu à l'éducation familiale qui constitue une sorte de verrou. Elle assure la transmission d'un héritage spirituel (conscience du passé, sens de la famille) fondé sur une communauté de thèmes, d'idées et de codes, sans lequel la transmission de l'héritage matériel risque d'être compromise. En effet, il faut qu'un enfant connaisse bien le passé de sa famille et qu'il ait conscience de ce que représente le château pour avoir lui-même envie de le conserver et de le transmettre.
C'est pourquoi l'éducation a une vocation résolument synthétisante. Elle s'effectue dans le creuset familial, au fil de la vie quotidienne, dans une sorte d'osmose qui apprend à l'enfant à saisir la portée des détails qui, dans les gestes, le langage, les comportements, les sentiments et les aspirations, signalent l'appartenance à un groupe.
Ainsi le capital matériel (la fortune ) ,le capital social (les relations) et le capital culturel (la mémoire, les traditions familiales, un savoir dont la valeur première réside dans le fait qu'il est hérité des générations précédentes) se transmettent en vertu d'une loi du tout ou rien. Dans ces conditions, l'éducation apparaît comme la véritable séparation entre les membres du groupe et ceux qui n'en font pas partie. Son absence interdit l'intégration de l'autre. Cette éducation peut même entraîner le rejet de celui qui est né dans le sérail, mais en a enfreint les règles.
Cette éducation porte cependant en elle-même une contradiction .Intensément valorisée et objet d'une surveillance extrême qui, durant l'enfance, procède par reprises incessantes, elle est décrite comme naturelle, innée et revendiquée en quelque sorte comme un atavisme. Le travail d'acquisition, d'aristocratisation en quelque sorte, est caché derrière l'évocation d'une socialisation lente, d'une familiarisation.
SOURCE : E.MENSION-RIGAU , La mémoire du passé , Alternatives économiques , HS n°25
II- TRAVAIL PREPARATOIRE
Il faut pour répondre au travail préparatoire et à la question de synthèse utiliser à la fois les documents et les connaissances
1- Recherchez le vocabulaire utilisé par les bourgeois pour se définir . Opposez – le à celui qu’ils emploient pour caractériser les autres classes . Quels objectifs recherchent-ils par là ? ( document 1 , 3 points )
2- Après avoir défini le concept de socialisation , vous indiquerez à quelles méthodes de socialisation recourent les familles de l’élite pour rendre leurs enfants conformes . ( document 1 , 4 points )
3- Peut-on dire que les objectifs recherchés par les familles bourgeoises et nobles qui aident les pauvres relèvent véritablement de la charité ? ( document 2 , 2 , 5 points )
4- Dans quel contexte et pour quelles raisons les rallyes apparaissent-ils au début des années 50 ? ( document 3 , 3 points )
5- Après avoir défini la notion d’habitus , vous montrerez que les rallyes correspondent à un mode de socialisation implicite que vous caractériserez . ( document 3 , 4 points )
6- L’éducation et l’instruction sont-elles synonymes pour les familles bourgeoises ? ( document 4 , 2 , 5points )
7- Expliquez la dernière phrase du texte ( document 4 , 3 points )
III- QUESTION DE SYNTHESE
Après avoir présenté le modèle de socialisation des classes supérieures ( aristocratie et haute bourgeoisie ) , vous montrerez qu’il vise à assurer l’homogénéité et la fermeture du groupe .
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