Emile Durkheim : division du travail et lien social

LES FORMES ET LES FONCTIONS DE LA DIVISION DU TRAVAIL CHEZ DURKHEIM



SECTION I – L’ANALYSE DE DURKHEIM


INTRODUCTION : BIOGRAPHIE ET CONTEXTE.

DOCUMENT 1 :
Emile Durkheim est né à Epinal, en 1858, dans une famille d'artisans du textile. Mais l'activité industrielle ne l'intéresse guère : il préfère les lectures et le travail intellectuel. Il passe donc ses deux baccalauréats en 1877.Jules Ferry instaure l'enseignement obligatoire dans le primaire et multiplie les lycées : on a donc un besoin pressant d'enseignants. Durkheim sera donc enseignant : il
entre à l'Ecole normale supérieure, en philosophie. Au cours d'une mission en Allemagne (afin d'y étudier la façon dont fonctionne l'enseignement supérieur), Durkheim découvre la sociologie : il a trouvé sa voie. Revenu en France, il se fait nommer à Bordeaux, passe sa thèse (De la division du travail social) en 1893 et publie dans la foulée ses deux autres maîtres livres : Les règles de la méthode sociologique (1895) et Le suicide (1897).
Sa grande idée, c'est que les actes qui paraissent les plus éminemment inspirés par la personnalité et par une analyse individuelle sont en réalité influencés, pour ne pas dire dictés, par la société. Nous croyons nos actes individuels, ils sont sociaux. Le suicide est l'illustration de cette affirmation : le nombre, la fréquence, le lieu, le mode de suicide peuvent être analysés statistiquement, ce qui montre qu'il ne s'agit qu'en apparence d'un acte individuel : la détresse qui y conduit est individuelle, bien entendu, mais la conséquence extrême que l'individu lui donne est largement déterminée par la société dans laquelle il vit.
Cette approche est difficilement admise au sein de la société française. Les maîtres à penser de l'époque s'appellent Rousseau, Spencer ou Mill. Le premier analyse la société comme le résultat d'un contrat passé par les individus, initialement libres : ceux-ci acceptent volontairement d'abdiquer une partie de leur souveraineté en vue d'atteindre des fins que seule l'association permet d'atteindre. Spencer, très inspiré de Darwin, va plus loin encore dans cette analyse : si les hommes contractent entre eux en vue de constituer une société, c'est que l'expérience leur montre que les sociétés sont plus durables et plus efficaces que les individus livrés à eux-mêmes. C'est donc un calcul coûts/avantages qui les pousse à se constituer en société. Ceux qui ne le font pas sont impitoyablement éliminés, parce que la nature - c'est la thèse darwinienne - ne conserve que les formes les plus efficaces. John Stuart Mill, qui domine la pensée économique de toute cette deuxième moitié du XIX' siècle, fait siennes ces analyses, mais en leur donnant un contenu plus utilitariste : les hommes se groupent en société pas seulement sous la pression des circonstances, parce qu'ils seraient éliminés s'ils ne le faisaient pas, mais aussi parce que la vie en société est plus agréable, qu'elle procure plus de bien-êtrs à chacun. On le voit : la vie en société n'est pas un lait de nature, mais jjJ^acte volontaire, donc réversible, par lequel les
hommes soit s'efforcent de dominer la nature (Spencer) soit visent à se procurer plus de bien-être ( Mill et les utilitaristes )
C’est contre cette pensée unique d'alors que se dresse Durkheim. Il est outré par un raisonnement qui postule que l’ homme est d'abord un individu et qu'il décide librement de constituer ou non une société. L'homme est social ou il n'est pas, estime Durkheim. Ce que nous pensons, la façon dont nous vivons, ce que nous croyons tout cela est largement déterminé par la société dans laquelle nous vivons. Celle-ci nous. façonne, c'est notre matrice. Cela ne signifie pas, bien entendu, que la personnalité n'existe pas : à l'évidence, chacun a son individualité. Mais elle naît au sein d'une société déterminée qui l’ influence. De ce fait, les actes sociaux ne sont pas seulement la somme d'actes individuels : ils ont leur caractère propre. Le tout est plus que la somme des parties.
Cette affirmation n'est pas totalement originale : en Allemagne, une vieille tradition philosophique, à travers Kant et Hegel, pour ne rien dire de Marx, l'a illustrée depuis longtemps. En France, sans doute pourrait-on lui trouver des ancêtres. Mais, dans le monde universitaire,la tradition rousseauiste règne sans partage, sans doute parce qu'admettre le primat du social, c'est risquer d'être accusé de marxisme. Durkheim n'a pas ces précautions. Il a beau être seul, jeune et inconnu, il se jette à l'eau et dénonce, avec mille précautions de langage il est vrai, cette pensée utilitariste qui met l'individu, le contrat et le calcul à l'origine de la société : l'objet réel de sa thèse
Bien entendu, cela fait scandale dans le petit monde universitaire, surtout venant d'un jeunot. Mais cette audace stimule d'autres universitaires : autour de Durkheim,un petit noyau d'intellectuels se constitue. L'école française de sociologie est née : elle se dote d'une revue, L'année sociologique, dirigée et largement rédigée par Durkheim (puis, plus tard, par son neveu, Marcel Mauss .
La polémique intellectuelle ouverte par Durkheim éclate en pleine affaire Dreyfus. Durkheim n'hésite pas une minute et soutient ce dernier. Il prend alors conscience de la réalité de l'antisémitisme. Certes, Durkheim est juif, mais non croyant ; il ne s'était jamais vraiment senti membre d'une communauté religieuse jusqu'alors. Attaqué parfois perfidement par des universitaires qui soulignent son appartenance religieuse pour le critiquer, Durkheim en est profondément meurtri. Il va donc s'intéresser à ce phénomène religieux qui donne aux membres d'une communauté de croyance une identité collective et une culture, même lorsqu'ils ne pratiquent pas. En 1912, paraissent Les formes élémentaires de la vie religieuse
.Malgré les attaques dont il est victime, Durkheim est de plus en plus reconnu comme un grand intellectuel. A la Sorbonne, il obtient de transformer la chaire de sciences de l'éducation, dont il est titulaire, en chaire de sociologie : c'est la première en France. Pratiquement un siècle après que la première chaire d'économie ait été créée (au bénéfice de Jean-Baptiste Say, au Conservatoire national des arts et métiers), ce département des sciences sociales se voit enfin reconnu.
Très affecté par la mort de son fils, tué durant la Grande Guerre, Emile Durkheim ne lui survit guère : il meurt en 1917 . Il n’ a que 59 ans .
SOURCE : fiche n°8, Alternatives économiques.
QUESTIONS :
· Quelle est la conception dominante de la sociologie en France à la fin du XIX ème siècle ?
· Quelle conception va développer Durkheim, en quoi reprend-elle des éléments de la sociologie allemande ?
· Durkheim est-il engagé dans la vie sociale et politique de son époque ?
· Peut-on dire que la sociologie française a été reconnue avec Durkheim, explicitez.


I - LES FONCTIONS DE LA DIVISION DU TRAVAIL.

A - LES FONCTIONS QU’ELLE NE REMPLIT PAS.

DOCUMENT 2 :
Quoique la division du travail ne date pas d'hier, c'est seulement à la fin du siècle dernier que les sociétés ont commencé à prendre conscience de cette loi, que, jusque-là, elles subissaient presque à leur insu. Adam Smith est le premier qui ait essayé d'en faire la théorie. C'est d'ailleurs lui qui créa le mot.
Aujourd'hui, le phénomène s'est généralisé à un tel point qu'il frappe les yeux de tous. Il n'y a plus d'illusion à se faire sur les tendances de notre industrie moderne ; elle se porte de plus en plus aux puissants mécanismes, aux grands groupements de forces et de capitaux, et par conséquent à l'extrême division du travail. [...]
Mais la division du travail n'est pas spéciale au monde économique ; on en peut observer l'influence croissante dans les régions différentes de la société. Les fonctions politiques, administratives, judiciaires se spécialisent de plus en plus .Il en est de même des fonctions artistiques et scientifiques. [...]
Se demander quelle est la fonction de la division du travail, c'est chercher à quel besoin elle correspond. [...]
Rien ne paraît facile, au premier abord, comme de déterminer le rôle de la division du travail. Ses effets ne sont-ils pas connus de tout le monde ? Parce qu'elle augmente à la fois la force productive et l'habileté ; du travailleur, elle est la condition nécessaire du développement intellectuel et matériel des sociétés, elle est la source de la civilisation. D'autre part, comme on prête assez volontiers à la civilisation une valeur absolue, on ne songe même pas à chercher une autre fonction à la division du travail. [...]
Si la division du travail ne remplit pas d'autres fonctions, non seulement elle n'a pas de caractère moral, mais on n'aperçoit pas quelle raison d'être elle peut avoir. Nous verrons en effet, que par elle-même, la civilisation n'a pas de valeur intrinsèque et absolue ; ce qui en fait le prix, c'est qu'elle correspond à certains besoins. Or, ces besoins sont eux-mêmes la conséquence de la division du travail. C'est parce que celle-ci ne va pas sans un surcroît de fatigue que l'homme est contraint de rechercher, comme surcroît de réparations ces biens de la civilisation qui, autrement, seraient pour lui sans intérêt. Si donc la division du travail ne répondait pas
à d'autres besoins que ceux-là, elle n'aurait d'autre fonction que d'atténuer les effets qu'elle produit elle-même, que de panser les blessures qu'elle fait. Tout nous invite donc à chercher une autre fonction à la division du travail.
SOURCE : Durkheim , De la division du travail social
QUESTIONS :
· A quel système économique, Durkheim fait-il allusion dans le deuxième paragraphe ? Pourquoi ce système nécessite t’il une forte division du travail ?
· Quelle forme de pensée Durkheim critique t’il dans la phrase soulignée ? .
·
B - LA VERITABLE FONCTION DE LA DIVISION DU TRAVAIL

DOCUMENT 3 : 7 p 486
QUESTIONS :
· Questions 1 et 3


II - LES CAUSES DE LA DIVISION DU TRAVAIL.

A - LE REJET DE L’EXPLICATION DES ECONOMISTES.

DOCUMENT 4 :
II faut repérer une autre différence entre Durkheim et l'approche des économistes. Ces derniers voient dans la division du travail la réponse à un problème. C'est donc une solution imaginée par les hommes eux-mêmes et qui s'impose parce que le résultat donne à celui qui, le premier, a eu cette idée, une supériorité sur ses concurrents. P'ar exemple, lorsque Taylor invente l'organisation scientifique du travail, ceux qui mettent en application ses principes font fortune, les autres sont éliminés. La diviion du travail est un construit humain. Pour Durkheim, évidemment, la division du travail ne descend pas du ciel : mais elle est issue de la « densité matérielle et morale » de la population. C'est un produit, largement inconscient, le la société et non un construit humain au sens économique du terme, c'est-à-dire une élaboration volonaire imaginée par des innovateurs et consacrée par le marché .
Dans un cas, on a affaire à un changement volontaire et calculé, dans l'autre à une modification involontaire et non calculé : « (Les hommes] marchent parce qu'il faut marcher, et ce qui détermine la vitesse de cette marche, c'est la pression plus ou moins forte qu'ils exercent les uns sur les autres, suivant qu'ils sont plus ou inoins nombreux. Ce n 'est pas dire que la civilisation ne serve à rien, mais ce n'est pas les services qu'elle rend qui fa font progresser. Elle se développe parce qu'elle ne peut pas ne pas se développer ; une fois qu'il est effectué, ce développement se trouve être généralement utile ou, tout au moins, il est utilisé ; il répond à des besoins qui se sont formés en même temps, parce qu'ils dépendent des mêmes causes. Mais c'est un ajustement après coup » . La société s'autoproduit sans intention initiale. L'économie se construit, dans une démarche intentionnelle. On voit la différence.
SOURCE : fiche n°8, Alternatives économiques.
QUESTIONS :
· Comment les économistes expliquent-ils le développement de la division du travail ?
· Quelles critiques Durkheim émet-il à l’encontre de cette démarche ?


B - L’EXPLICATION CAUSALE DE LA DIVISION DU TRAVAIL SELON DURKHEIM.

DOCUMENT 5 :
Durkheim part d'une analyse fonctionnelle de la division du travail. Elle répond au besoin de solidarité sociale dans une société hétérogène où la différenciation a détruit la solidarité mécanique fondée sur la similitude des membres des sociétés simples, leur communauté de croyances et de sentiments, c'est-à-dire leur conscience collective. Il rejette cependant explicitement la téléologie implicite des explications fonctionnelles, brièvement dans la Division du travail, et de manière plus circonstanciée dans les Règles :
"Le besoin que nous avons des choses ne peut pas faire qu'elles soient telles ou telles, et, par conséquent ce n'est pas ce besoin qui peut les tirer du néant et leur conférer l'être. (...) Ainsi on ne revient pas, même partiellement, au finalisme parce qu'on ne se refuse pas à faire une place aux besoins humains dans les explications sociologiques. Car ils ne peuvent avoir d'influence sur l'évolution sociale qu'à condition d'évoluer eux-mêmes, et les changements par lesquels ils passent ne peuvent être expliqués que par des causes qui n'ont rien de final (pp. 90, 93)."
Après avoir analysé la fonction de la division du travail pour la solidarité sociale dans les sociétés complexes, il en fournit une explication causale fondée essentiellement sur des influences structurelles auxquelles s'ajoutent quelques éléments évolutionnistes. La disparition de la société segmentaire résultant de l'accroissement des relations sociales entre les membres des différents segments est une condition essentielle de la division du travail. Les tribus isolées deviennent une partie de collectivités plus larges. Cela crée un certain échange de différents biens st cela fournit les conditions nécessaires à un développement plus poussé de la division du travail.
Les deux conditions les plus fondamentales sont, selon Durkheim, la croissance du volume de la collectivité et la croissance de la densité de sa population. Volume et densité entraînent l'accroissement de la division du travail non pas directement, mais parce qu'ils créent des pressions sociales qui conduisent à des changements de na*ture à entraîner cet accroissement. La croissance de la taille et de la densité d'une population sur un territoire rend plus intense la lutte pour la vie, surtout si tous exploitent les mêmes ressources naturelles, par exemple si tous cueillent les mêmes plantes ou chassent les mêmes animaux ou pèchent dans les mêmes eaux. Cela encourage les individus à se spécialiser, certains se consacrant à la chasse, d'autres à la pêche, d'autres à l'agriculture. La spécialisation diminue la lutte pour la vie, puisque davantage d'individus s'adonnant à des occupations différentes
peuvent vivre des ressources d'une même niche écologique, tout comme davantage d'organismes le peuvent lorsqu'ils appartiennent à des espèces différentes.
L'importance principale de la densité de la population tient à ce qu'elle détermine le niveau de la "densité dynamique" ou "densité morale", comme l'écrit Durkheim, autrement dit de l'interaction sociale. Par exemple, la simple probabilité fait que les contacts sociaux seront plus fréquents dans une ville que dans une zone rurale isolée. Puisque la spécialisation a déjà commencé à se développer, cette interaction sociale inclut l'échange social de différents biens, quoiqu'elle ne se limite pas aux transactions économiques mais recouvre aussi les relations de sociabilité. Ces dernières cimentent les relations sociales,tandis que l'échange stimule la spécialisation. Les progrès qui s'ensuivent de la division du travail accroissent l'interdépendance entre les membres de la population et celle-ci, à son tour, favorise une division du travail plus poussée. La forte interdépendance engendrée par cette division du travail très poussée est la source de la solidarité sociale dans la société moderne, après que la solidarité sociale des sociétés plus simples, fondée sur des croyances et des sentiments communs , a été détruite par la différenciation croissante née de la lutte pour la vie .
SOURCE : PM Blau et RL Milby, Division du travail et lien social. PUF, 1993.
QUESTIONS :
· Définissez le terme téléologie. Expliquez la phrase qui le contient, en utilisant en particulier la citation de Durkheim.
· Quels sont les deux déterminants essentiels de l’accroissement de la DTS, explicitez les.


C - QUI EST REPRESENTATIF DE LA SOCIOLOGIE DU FAIT SOCIAL DEVELOPPEE PAR DURKHEIM.

DOCUMENT 6 :
On emploie la dénomination de fait social pour désigner à peu près tous les phénomènes qui se passent à l'intérieur de la société, pour peu qu'ils présentent, avec une certaine généralité, quelque intérêt social. Mais, à ce compte, il n'y a pas d'événements humains qui ne puissent être appelés sociaux. Chaque individu boit, dort, mange, raisonne et la société a tout intérêt à ce que ces
fonctions s'exercent naturellement.
Si donc ces faits étaient sociaux, la sociologie n'aurait pas d'objet qui lui fût propre, et son domaine se confondrait avec celui de la biologie et de la psychologie. Mais en réalité, il y a dans toute société un groupe déterminé de phénomènes qui se distinguent par des caractères tranchés de ceux qu'étudient les autres sciences de la nature.
Quand je m'acquitte de ma tâche de frère, d'époux, quand j'exécute des engagements que j'ai contractés, je remplis les devoirs qui sont définis, en dehors de moi et de mes actes, dans le droit et dans les mœurs. Alors même qu'ils sont d'accord avec mes sentiments propres et que j'en sens intérieurement la réalité, celle-ci ne se laisse pas d'être objective ; car ce n'est pas moi qui les ai faits, mais je les ai reçus par l'éducation.
Voilà donc un ordre de fait qui présente des caractères très spéciaux : ils consistent en des manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui. Par la suite, ils ne sauraient se confondre avec les phénomènes organiques, puisqu'ils consistent en représentations et en actions ; ni avec des phénomènes psychiques, lesquels n'ont d'existence que dans la conscience individuelle et par elle. Ils constituent donc une espèce nouvelle_et_c'està eux que doit être donnée et réservée la qualification de sociaux. [...]
Ils sont le domaine propre de la sociologie, [...] Le domaine de la sociologie ne comprend qu'un groupe donné de phénomènes. Un
fait social se reconnaît au pouvoir de coercition externe qu'il exerce ou qu'il est susceptible d'exercer sur les individus ; et la présence de ce pouvoir se reconnaît à son tour soit à l'existence de quelque sanction déterminée, soit à la résistance que le fait oppose à toute entreprise individuelle qui tend à lui faire violence.[...]
Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles.
SOURCE : Durkheim
QUESTIONS :
· Quelles sont les deux caractéristiques qui permettent de définir les faits sociaux ?
· Comment selon Durkheim, doit-on définir la sociologie

DOCUMENT 7 :
La première règle et la plus fondamentale est de considérer les faits sociaux comme des choses. [...]
Les phénomènes sociaux sont des choses et doivent être traités comme des choses. Pour démontrer cette définition, il n'est pas nécessairedé philosopher sur leur nature, de discuter les analogies qu'ils présentent avec les phénomènes des règnes inférieurs. Il suffit de constater qu'ils sont l'unique datum offert au sociologue. Est chose, en effet, tout ce qui est donné, tout ce qui s'offre ou, plutôt s'impose à l'observation. Traiter les phénomènes sociaux comme des choses, c'est les traiter en qualité de data qui constituent le point de départ de la science. Les phénomènes sociaux présentent l'idée que les hommes se font de la valeur, car elle est inaccessible : ce sont les valeurs qui s'échangent réellement au cours des relations économiques. Ce n'est pas telle ou telle
conception de l'idéal moral ; c'est l'ensemble des règles qui déterminent effectivement la conduite. Ce n'est pas l'idée de l'utile ou de la richesse ; c'est tout le détail de l'organisation économique. Il est possible que la vie sociale ne soit que le développement de certaines notions ; mais, à supposer que cela soit, ces notions ne sont pas données immédiatement. On ne peut donc les atteindre directement , mais seulement à travars la réalité phénoménale qui les exprime. Nous ne savons pas a priori quelles idées sont à l'origine des divers courants entre lesquels se partage la vie sociale ni s’il y en a ; c’est seulement après les avoir remontés jusqu’à leurs sources que nous saurons d'où ils proviennent.
Il nous faut donc considérer les phénomènes sociaux détachés des sujets conscients qui se les représentent ; il faut les étudier du dehors comme des choses extérieures ; car c'est en cette qualité qu'ils se présentent à nous. Si cette qualité n'est qu'apparente, l'illusion se dissipera à mesure que la science avancera. [....)
Cette règle s'applique donc à la réalité sociale tout entière, sans qu'il y ait lieu de faire aucune exception. Même les phénomènes qui paraissent le plus consister en arrangements artifciels doivent être considérés de ce point de vue. Le caractère conventionnel d'une pratique ou d'une institution ne doit jamais être présumé. Si d'ailleurs, il nous est permis d'invoquer notre expérience personnelle nous croyons pouvoir assurer que, en procédant de cette manière, on aura souvent la satisfaction de voir les faits en apparence les plus arbitraires présenter enssuite à_une observation plus attentive des caractères de constance et de régularité, symptômes de leur objectivité.
QUESTIONS :
· Qu’est ce qu’une chose pour Durkheim ?
· Caractérisez la démarche de Durkheim.


III - DROIT ET DIVISION DU TRAVAIL: UNE EXEMPLE DE LA METHODE DURKHEIMIENNE.

DOCUMENT 8 :
A : 2 p 482.
B :
Le droit répressif est le révélateur de la conscience collective dans les sociétés à solidarité mécanique, puisque, par le fait même
qu’il multiplie les sanctions, il manifeste la force des sentiments communs, leur extension et leur particularisation. Plus la conscience collective est étendue, forte et particularisée, plus il y aura d’actes tenus pour crimes, c'est-à-dire d'actes qui violent un impératif ou un interdit, ou encore qui heurtent directement la conscience collective.
Cette définition du crime est typiquement socîologique, au sens que Durkheim donne au mot sociologique. Un crime, au sens sociologique du terme, est simplement l'acte qu'interdit la conscience collective. Que cet acte, aux yeux des observateurs situés quelques siècles après l'événement ou appartenant à une société différente, paraisse innocent, est sans importance. Dans une étude sociologique du crime, le crime ne peut être défini que de l'extérieur et par rapport à l'état de la conscience collective de la société considérée. Cette définition est objective et relativiste.
Durkheim, après avoir esquissé une théorie du crime, en déduit sans peine une théorie de la sanction. Il écarte avec un certain mépris les interprétations classiques selon lesquelles la sanction aurait pour objet de prévenir la répétition de l'acte coupable. La sanction, selon lui, n'a pas pour fonction et pour sens de faire peur ou de dissuader. La fonction du châtiment est dev satisfaire la conscience commune. Car celle-ci a été blessée par l'acte qu'a commis un des membres de la collectivité. Elle exige réparation et le châtiment du coupable est cette réparation offerte aux sentiments de tous.
Dans le droit restitutif, il ne s'agit plus de punir, mais de rétablir l’ état de choses tel qu'il aurait dû être conformément à la justice. Celui qui n'a pas remboursé sa dette doit la payer. Mais ce droit restitutif, auquel appartient par exemple le droit commercial, n est pas la seule forme de droit caractéristique des sociétés à solidarité organique. Tout au moins, il faut entendre le droit restitutif en un sens très vaste, selon lequel il englobe toutes les règles juridiques ayant pour objet d'organiser la coopération entre les individus. Le droit administratif ou le droit constitutionnel, au même titre que le droit commercial, appartiennent au genre du droit coopératif. Ils sont moins l'expression des sentiments communs à une collectivité que l'organisation de la coexistence régulière et ordonnée entre des individus déjà différenciés.
SOURCE : R.Aron
QUESTIONS :
· Quelle relation Durkheim fait-il apparaître entre la solidarité sociale et le droit, vous semble t’elle justifier ?
· Quels sont les deux types de droit, quelles sont leurs fonctions, à quel type de solidarité peut-on les rattacher ?
· Quel est le rôle de la sanction, montrer l’intérêt de la théorie Durkheimienne d’un point de vue historique.



IV : LES EFFETS DE LA DTS DANS LA SOCIOLOGIE DE DURKHEIM.

A - LES FORMES PATHOLOGIQUES DE LA DIVISION DU TRAVAIL.

DOCUMENT 9 :
II existe un contraste frappant entre l'optimisme du propos général de Durkheim quant aux effets du progrès de la division du travail dans les sociétés industrielles modernes et le diagnostic très sombre qui ressort, malgré les efforts de l'auteur, de la troisième partie de l'ouvrage consacrée aux formes anormales de la division du travail. [...]
Durkheim n'est visiblement pas à l’aise dans cette partie finale de son livre , très courte par rapport aux deux précédentes et aussi moins élaborée. Il en minimise d'avance la portée en indiquant que « l'étude des formes déviées » n'a pour but que de « mieux déterminer les conditions d'existence de l’état normal » ( … )
Notre examen ne sera pas dépourvu de distance critique ; c'est ainsi qu'il fera apparaître que ces pathologies sont au nombre de
quatre alors que Durkheim n'en énumère que trois.
La bureaucratie
Cette forme anormale s'observe lorsque, dans une entreprise ou une organisation quelconques, « les fonctions sont distribuées de telle sorte qu'elles n'offrent pas une matière suffisante à l'activité des individus ». Il y a bien une division du travail, elle est même très poussée, mais les travailleurs ont une activité insuffisante, ce qui entraîne une mauvaise coordination des fonctions et même un relâchement de la solidarité .On se risquera à appeler « bureaucratique » cette autre forme anormale. Ce terme semble bien correspondre à ce qui est visé par Durkheim : spécialisation extrême conjuguée avec une faible productivité et un mauvais ajustement des fonctions. [...]
L'Inégalité des chances
Durkheim discerne deux aspects dans les inégalités qui mettent en péril la solidarité organique : l'inégalité dans l'accès aux positions sociales et l'inéquité dans les contrats qui fixent les gratifications des services rendus. Ces deux sortes d'inégalité, sont si
proches l'une de l'autre dans l'analyse durkheimienne que l'expression moderne d'inégalité des chances nous paraît convenir comme appellation d’ensemble .
Elle s'applique en tout cas parfaitement au premier aspect de cette pathologie ; il s'agit de la non-correspondance entre la «distribution des fonctions sociales » et la « distribution des talents naturels », autrement dit l'inégalité des chances dans l'accès
aux positions socioprofessionnelles. Si les individus ne peuvent occuper, dans la société moderne à solidarité organique, la place qui est conforme à leurs capacités, alors, il y a contrainte, en ce sens que la répartition des positions est ressentie comme illégitime et « ne se soutient que par la force ». [...]
Une autre source d'injustice est que chaque valeur sociale ne soit pas estimée à son juste prix. Pour que les objets ou services échangés aient une valeur sociale équivalente, il faut, là encore, que les « contractants soient placés dans des conditions extérieures égales ». « Autrement dit, conclut Durkheim, il ne peut pas y avoir des riches et des pauvres de naissance sans qu'il y ait des contrats injustes. » C'est donc l'héritage qui est désigné comme l'obstacle à l'équité. Pourtant, on ne voit pas la nécessité de ce « naissance » dans la phrase de Durkheim. L'inégalité des contractants, quelles qu'en soient l'origine ou la nature, suffit à rendre le contrat injuste, à moins de supposer une grande vertu chez les contractants placés dans une position de supériorité.
Cette société méritocratique prônée par Durkheim n'est pas une société égalitaire. L'inégalité dans les conditions extérieures de la lutte semble être à ses yeux la seule chose qui choque la conscience publique et qui soit un obstacle à la nouvelle harmonie sociale qui doit émerger de la solidarité organique. Même si Durkheim ne tire pas explicitement la conséquence logique de sa position, il semble bien que, pour lui, l'égalité des chances permettra de légitimer l'inégalité des positions sociales. [...]
Mais Durkheim ne se soucie pas du conflit entre deux tendances contradictoires qu'il signale : d'un côté, l'accroissement des inégalités de position lié au progrès de la division du travail, de l'autre la progression continuelle des sentiments égalitaires. L'égalisation des chances suffira-t-elle à résoudre ce décalage s'il ne cesse de croître ? [...]
L'anomie
[Durkheim] distinguait nettement l'anomie et la contrainte, les opposant même à certains égards. Celle-ci résulte de la présence d'une réglementation injuste et pour y remédier, il faut laisser la division du travail se faire d'une manière spontanée. Celle-là, au contraire, résulte de l'absence de réglementation et le remède est ici l'organisation de la division du travail.
Les trois exemples initialement considérés par Durkheim sont : 1. les crises industrielles et commerciales ou faillites dont le nombre s'accroît ; 2. l'antagonisme du travail et du capital qui devient particulièrement aigu dans la grande industrie ; 3. la perte de l'unité de la science résultant de la spécialisation croissante des scientifiques. Le fait que ces phénomènes anormaux soient récents ne prouve pas, pour Durkheim, qu'ils soient une contrepartie inévitable de la division du travail. Ils viennent de ce que toutes les conditions nécessaires au bon fonctionnement de la solidarité organique ne sont pas remplies. Ces conditions sont au nombre de trois : existence d'un système de relations entre les organes », prise de conscience par ces organes de leur solidarité, enfin réglementation qui « prédétermine la manière dont ils doivent habituellement concourir ».Cette dernière condition fait défaut dans les trois exemples évoqués plus haut. Il manque ces règles fixant le nombre des entreprises et ajustant la production à la consom-
mation. Les rapports entre le capital et le travail sont également dans un « état d'indétermination juridique ».
Le travail en miettes :
Durkheim va traiter en deux pages de la pathologie qui vient le plus spontanément à l'esprit quand on évoque les risques d'une division du travail poussée. [...]
'"'« Un des plus graves reproches qu'on ait fait à la division du travail », écrit Durkheim, est de réduire l'individu 'au rôle "de machine". On ne peut rester indifférent à un pareil avilissement de la nature humaine », II n'est guère évident que Durkheim, qui donne ici la parole à l'accusation, adhère le moins du monde à cette dénonciation véhémente des méfaits de la spécialisation. Si les situations de ce genre existent, elles ne peuvent être que le fruit de « circonstances exceptionnelles et anormales » qui viennent
« du dehors dénaturer » la division du travail. Normalement, le travailleur sait que son activité a un sens et « en conçoit plus ou moins directement le but ». Par là, la division du travail est bien une source de solidarité.
Mais, comme l'ont noté Friedmann et Pizzorno, c'est supposer que l'interdépendance technique suffit à produire l'interdépendance
morale. La solidarité qui pourrait s'établir entre travailleurs serait pourtant moins une solidarité organique qu’une solidarité mécanique fondée .
SOURCE : P Besnard, Les pathologies dans les sociétés modernes, in division du travail et lien social, PUF, 1993.
QUESTIONS :
· Pourquoi le terme bureaucratie semble t’il bien adaptée à la première pathologie ?
· Quelles sont les deux types d’inégalité des chances décrites par Durkheim ?
· Pourquoi Besnard dit-il que Durkheim prône une société méritocratique qui n’est pas une société égalitaire ? Quelles sont les deux tendances contradictoires qui vont en résulter ?
· Pourquoi Durkheim distingue t’il anomie et contrainte ?
· Quelles sont les conditions nécessaires à la disparition de l’anomie ?
· Durkheim considère t’il vraiment que la DTS produit du travail en miettes ?
· Expliquer la critique faite par G Friedmann.
· Pourquoi, selon P Besnard, Durkheim n’est-il pas à l’aise dans la troisième partie de son livre ? Opposez en particulier de ce point de vue la vision de Durkheim à celle de Marx (cf. cours).


B - LA VISION OPTIMISTE DE LA DTS DE DURKHEIM

1 - LA NORMALITE DE L’ANORMAL.

DOCUMENT 10 :
Durkheim a ainsi identifié, à sa manière, les principaux problèmes sociaux auxquels sont confrontées les sociétés industrielles : le degré d'organisation, de régulation ou de planification souhaitable, le travail en miettes conduisant à l'aliénation du travailleur, l'inégalité des chances, la bureaucratie. Ce qui ne peut manquer de surprendre, c'est l'optimisme dont il fait preuve sur tous ces sujets, surtout si on le rapporte à la rareté ou à la faiblesse des arguments supposés le justifier.
La première justification consiste à affirmer que ces pathologies sont dues à des « circonstances exceptionnelles », sans qu'aucune précision sur ces circonstances ne soit fournie : c'est le cas pour l'anomie, la bureaucratie, comme pour le travail en miettes. La seconde met en avant l'idée que ces formes anormales sont des crises passagères liées à l'état transitoire que connaissent les sociétés industrielles. Elle concerne essentiellement la division du travail anomique : l'incoordination des sciences sociales vient de ce qu'elles sont des sciences nouvelles ; les conflits entre patrons et ouvriers viennent de ce que les intérêts en cause « n'ont pas
encore eu le temps de s'équilibrer », Cependant, Durkheim ajoute aussitôt que ces conflits relèvent aussi d'une autre pathologie, l'inégalité des chances, sur laquelle « le temps n'a pas d'action ». La portée de cette justification de l'optimisme par la notion de crise de transition est donc limitée.
En définitive, l'optimisme de Durkheim trouve sans doute son fondement le plus général dans l'identification qu'il fait entre le
« normal » et l'idéal. Plus précisément, il associe le normal non pas à ce qui est, mais à ce qui devrait être ou bien à ce qui finira nécessairement par être. On le voit particulièrement bien dans le cas de la division du travail contrainte ou inégalité des chances. Il admet que la division du travail spontanée, celle qui permet le « libre déploiement de la force sociale que chacun porte en soi », est un caractère qui ne se rencontre « nulle part comme un fait réalisé » et ne se « présente jamais à l'état de pureté ». Mais on est en
droit de considérer ce trait comme normal, soutient-il, parce que l'évolution sociale va dans le sens du nivellement des inégalités extérieures. D'ailleurs ce nivellement est indispensable au bon fonctionnement de la solidarité organique et donc inévitable. Durkheim, dans la même veine, voit dans les aspirations égalitaires « une anticipation de l'état normal à venir » .C’est ainsi qu’il peut considérer comme anormal un phénomène aussi général que l’inégalité des chances .
SOURCE : P Besnard, op. cite.
QUESTIONS :
· Pourquoi Durkheim considère t’il que les formes pathologiques vont disparaître ?
· Expliquez ce qu’entend Besnard par : « l’optimisme de Durkheim trouve sans doute son fondement le plus général dans l’identification qu’il fait entre le normal et l’idéal ». Prenez l’exemple de l’inégalité des chances .
· Répondez à la question posée dans le livre .


2 - DIVISION DU TRAVAIL ET CIVILISATION.

DOCUMENT 11 :
Les conditions des progrès de la division du travail sont aussi, selon Durkheim, "le facteur essentiel de ce qu'on appelle civilisation. Elle est elle-même une conséquence nécessaire des changements qui se produisent dans le volume et dans la densité des Sociétés" (p. 327). L'accroissement de la spécialisation implique que les individus aient des points de vue et des aptitudes plus diversifiés ; il entraîne des interactions sociales de toutes sortes plus intenses en relation avec l'augmentation de l'échange social qu'il provoque. Un des résultats de la division du travail est donc que beaucoup d'individus entretiennent davantage de relations avec des partenaires plus divers. Des relations de ce genre, que R. Coser (1975) appelle des "ensembles de rôles complexes", stimulent les facultés intellectuelles, la capacité d'adaptation, l'autonomie et les intérêts culturels. C'est pourquoi Durkheim conclut sur ce point : "De cette stimulation générale résulte inévitablement un plus haut degré de culture" (p. 327).
SOURCE : PM Blau et RL Milby, op. cité.
QUESTIONS :
- Quelle relation Durkheim établit-il entre la DTS et la civilisation



SECTION II – LES PROLONGEMENTS CONTEMPORAINS


INTRODUCTION

DOCUMENT 12 :
Contrairement à ce que pensait Durkheim, la solidarité mécanique n'a pas disparu de nos sociétés modernes. Le poids d'une trop grande liberté a incité l'individu à rechercher de nouvelles formes de solidarité. Aujourd'hui, il a tendance à s'organiser de nouveau en groupe, pour pallier l'absence de sens engendré par l'individualisme, autour d'une conscience collective forte. Plusieurs courants théoriques ont proposé, au cours du Xxe siècle, une vision plus « mécanique » de la société.
SOURCE : A Bruno et alii, Durkheim, nature et formes du lien social, ellipses
QUESTIONS :
· Quelle était l’évolution anticipée par Durkheim ?
· Se révèle t’elle juste, expliquez

A – L’ECOLE DE CHICAGO ET L’INTERACTIONNISME SYMBOLIQUE

DOCUMENT 13 :
L'école de Chicago prend naissance à la fin du XIXe et au début du XXe siècle aux États-Unis. Ces études portent principalement sur la ville et la cohésion sociale. Des auteurs comme R.E. Park et E.W. Burgess montrent que l'urbanisation conduit à un éclatement social et à la marginalisation de certains individus. Mais si on peut qualifier une partie de cette population d'exclus, l'école de Chicago entend montrer qu'il y a un regroupement d'individus dans des quartiers où se constituent des « aires naturelles ». Aussi, s'il y a une désorganisation au niveau global, la ville reste un lieu de réorganisation entre des groupes, des communautés locales. Tout se passe comme si des individus, rejetés d'une société incapable de permettre une solidarité organique, recomposaient entre eux un lien social autour d'une conscience collective forte et d'une solidarité mécanique.
Plus tard, reprenant les analyses de l'école de Chicago, dont ils sont pour beaucoup les anciens élèves, d'autres auteurs vont développer le courant de l'interactionnisme symbolique. H.S. Becker et E. Goffman, exploitant au mieux les méthodes de l'observation participante, s'intéressent également à la reconstitution du lien dans une population d'exclus. Becker étudie notamment la carrière dans un groupe déviant, les musiciens de jazz. Il montre qu'ils se différencient de façon pleinement consciente du reste de la population non musicienne, les « caves » en adoptant des comportements et des valeurs nonconformistes. Par ailleurs, ils se reconnaissent entre eux sur une base communautaire et certaines règles sont strictes. Un réseau de relations est constitué pour la recherche d'un emploi et un musicien de jazz doit respecter son intégrité artistique et ne
pas se livrer à une attitude commerciale dans le seul but d'augmenter ses revenus. La conscience collective conserve ici toute sa force.
L'analyse des groupes déviants permet donc de mettre en évidence la persistance des rapports communautaires dans notre société moderne. Mais, il s'agit bien d'une solidarité mécanique, ces études avouent la difficulté de la constitution d'une solidarité organique. La société considère les exclus comme des marginaux responsables de leur isolement. Elle ne leur permet donc pas de s'intégrer dans un ensemble global. Les déviants, quant à eux, finissent par adopter des comportements en opposition avec les
valeurs et les normes sociales, ils se pensent en dehors de la société. Il y a donc une rupture du lien organique. Le lien social ne perdure que par l'émergence d'une solidarité mécanique entre des groupes restreints.
SOURCE : op. cité .
QUESTIONS :
· L’optimisme dont a fait preuve Durkheim paraît-il vérifié au théoriciens de l’école de Chicago, que constatent-ils ?
· A partir de l’exemple des musiciens de jazz, expliquez pourqoi la solidarité mécanique n’a pas disparu
· Peut-on considérer que les déviants sont responsables de leur marginalité ? Justifiez votre réponse .


B – M MAFFESOLI : L E TEMPS DES TRIBUS

DOCUMENT 14 :
Pour Michel Maffesoli, notre société semble isoler l'individu et ne lui fournir aucun,moyen réel de s'intéresser à la société et au politique. Pourtant, il montre que l'on assiste à un retour d'une certaine forme de tribalisme. Pour résister au vide social, des groupes se forment, favorisant une solidarité mécanique et un esprit communautaire. Ces nouvelles tribus revêtent différentes caractéristiques. Tout d'abord, elles favorisent le temps présent et, « dès le moment où le rapport à l'autre est déterminé par le présent, ce qui va prévaloir, c'est la recherche d'un équilibre personnel qui, par contagion, va tenter de promouvoir un esprit collectif, le tout par ajustement des rythmes corporels et des rythmes émotionnels ». Cette valorisation du présent favorise ensuite le côté éphémère des groupes. Liberté est donnée à la mobilité, aux changements rapides vers de nouvelles attaches. Il faut noter également que ces tribus privilégient l'émotion et les sentiments. Plus qu'une finalité clairement définie, on s'agrège pour être ensemble. Enfin, très souvent les membres portent un « masque » pour se confondre et s'apparenter au groupe.
La tribu permet ainsi la constitution de « l'être-ensemble » un regroupement d'individus qui trouvent dans la force de l'esprit collectif l'occasion de se retrouver, d'exister et d'énrouver des sentiments
Par ailleurs, on peut voir dans ce renouveau du tribalisme, l'importance du religieux, non pas pensé en terme traditionnel et institutionnel (encore faudrait-il évaluer la persistance du poids de l'Église à travers notamment les manifestations de soutien au Pape) mais autour de nouvelles formes de religiosité, de sacralité. Le regroupement d'individus dans des groupes suppose souvent la référence à quelque chose de sacré. Il en est ainsi des grandes messes populaires comme les événements sportifs. Christian Bromberger a montré l'importance du rituel dans le football qui permet de dégager la supériorité du groupe sur l'individu. Ce sont les supporters regroupés en entité collective, et qui s'apparentent aux tribus mises en évidence par Maffesoli, liés par une forme rituelle. Comme l'énonce Durkheim, « il y a des rites sans dieux » mais sans doute pas sans sacralité. Une sacralité qui permet l'émergence et le maintien de la conscience collective exprimée par le «divin social » cette force qui opère le regroupement des individus.
SOURCE : op cité.
QUESTIONS :
· définissez le tribalisme, donnez un exemple et présentez ses principales caractéristiques.
· Quelles sont selon Maffesoli les causes du développement du tribalisme, son analyse vérifie t’elle celle de Durkheim ?
· A partir de l’exemple des clubs de supporters explicitez l’analyse de Maffesoli.


C – D MEDA : LA CRISE DU TRAVAIL COMME SOURCE DE LIEN SOCIAL

DOCUMENT 15 :
La prétention de l'économie s'est accentuée. Elle cherche désormais à étudier « les formes que prend le comportement humain dans la disposition des moyens rares» pour toute société, à toute époque. Elle accentue sa conception scientifique et continue à postuler le primat de l'individu. À travers les analyses d'Hayek ou de Nozick4, qui mettent en relief certaines limites de l'utilitarisme, on note malgré tout l'absence de la société en tant que communauté permettant la cohésion sociale.
En fin de compte, depuis Adam Smith, l'économie s'est attachée à montrer, qu'autour d’inividus libres, le lien social se formait à partir du travail et de la production. Mais, ce lien est contraint. Si les individus se rencontrent, ils ne sont pas ensembles mais côte à
côte, poursuivant leurs intérêts particuliers.
De nombreux auteurs ont critiqué cette vision de la société, notamment Hannah Arendt , bien mis en évidence dans l'ouvrage de Méda, « mettre le travail au centre de la société, justifier le travail comme lien social, c'est défendre une idée éminemment pauvre de celui-ci, c'est refuser que l'ordre politique soit autre que l'ordre économique ou que la simple régulation sociale, c'est oublier que la société a d'autres fins que la production et la richesse et que l'homme à d'autres moyens de s'exprimer que la production ou la consommation ».
La supériorité de l'économie et de la société individualiste n'a pas sauvegardé le lien social. Au contraire, c'est un relâchement de celui-ci auquel on assiste. Et l'État-providence ne change rien, il est soumis à l'ordre économique et cherche seulement à réduire
les inégalités. La société actuelle donne à voir ses dysfonctionnements, il y a aujourd'hui une crise de l'ensemble des institutions.
SOURCE : op cité.
QUESTIONS :
· Quelle est la prétention des économistes ?
· Quelles en sont les répercussions selon D Méda ?

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