la famille une réalité économique, sociale .. et politique


CHAPITRE : LA FAMILLE UNE REALITE ECONOMIQUE, SOCIALE ET, … POLITIQUE


INTRODUCTION :

A partir de vos connaissances issues du cours de seconde, rappelez :
- Les principes sur lesquelles étaient établies la famille dans les sociétés traditionnelles, et en particulier dans la société d’Ancien Régime français :
· choix du conjoint (influence des parents, place des sentiments, vision du couple et de sa durée)
· place et rôle des individus (père, mère, enfants ) dans la famille
- Comment a évolué la famille depuis deux siècles, montrez en les aspects présentés comme
· positifs
· négatifs.
- Pourquoi aujourd’hui de nombreux observateurs parle t’il d’une crise de la famille :
· Qu’entend t’on par-là ?
· Quels en sont les indicateurs ?
· Quels en seraient les remèdes ?



SECTION I – LA FAMILLE DANS LA SOCIETE D’ANCIEN REGIME

I – LA FAMILLE : UNE AFFAIRE DE FAMILLE

DOCUMENT 1 :
A :
Les théologiens avaient élaboré la distinction entre amour de concupiscence - condamnable - et amour d'amitié. Ils s'appuyaient sur saint Jérôme : « Adultère est aussi l'amoureux trop ardent de sa femme. » Et de répéter que « rien n'est plus honteux que d'aimer une épouse comme une maîtresse 12 ». Pierre Lombard considérait comme la moins honnête des raisons qui entraînent au mariage « la beauté de l'homme ou de la femme qui pousse souvent les cœurs enflammés par l'amour à rechercher la possibilité de rassasier leur désir " ». Cette conception est fondamentale à la définition de la societas maritalis, comme forteresse contre le désordre des passions, et comme institution vouée à la perpétuité. Traduite en prescriptions précises dans les manuels des confesseurs, la morale matrimoniale est particulièrement tatillonne sur la question sexuelle, objet d'une série impressionnante de péchés codifiés. Cette morale conjugale convient parfaitement à la théorie du pacte de famille, où les individus sont entièrement soumis aux intérêts du lignage. Après tout, l'amour conjugal prescrit par Pothier ne suppose nulle inclination'
SOURCE : I.Thery, Le démariage, 1996

B :
La famille d'Ancien Régime1 apparaît, en France, dotée d'une forte autonomie, économique et démographique. Face à l'État absolutiste, elle préserve son quant-à-soi. Elle opère ses choix, en fonction de ses ressources et de ses projets. Totalitaire - holiste au sens de Louis Dumont -, elle impose ses vouloirs à ses membres, qu'elle subordonne à ses fins. Choix du métier, du conjoint, du domicile, même du nombre des enfants sont dictés par l'intérêt du groupe, dont le père est le chef. La limitation des naissances, par retard de l'âge au mariage, coït interrompu, voire continence, est en France très précoce. Paysanne ou aristocratique, la famille traditionnelle est résolument patriarcale, et sa culture imprègne la société toute entière.
SOURCE : M.Perrot, Histoire de famille, Mouvements, avril 2000
QUESTIONS :
- Pour quelles raisons se marie-t-on dans l’Ancien Régime ? Quel rôle joue l’amour ?
- Quelle est la liberté des individus dans la formation du couple ?
- Le couple peut-il être dissous par divorce ? Pourquoi ?

II – LA FAMILLE DOMINEE PAR LE PERE

DOCUMENT 2 :
Le mariage, consolidé par les deux Réformes, a donné au père – déjà héritier d'une partie de la patria potestas romaine, au moins dans les États et les provinces de l'Europe méridionale - un rôle essentiel au sein de la famille : une sorte de monarchie paternelle s'est mise en place. Les devoirs et les droits du père sont alors omnipotents, mais ils sont tempérés par les lois des Églises, et par le rôle de conseillère que joue la mère. C'est bien au père qu'en premier lieu est dévolu le rôle de pérenniser et d'accroître la puissance de sa familia. Montaigne écrit : « On ne se marie pas pour soy, quoi qu'on die ; on se marie autant ou plus pour sa postérité, pour sa famille. L'usage et interest du mariage touche nostre race bien loing par delà nous. » Et c'est la loi divine qui le lui commande : il doit veiller à la « multiplication de l'humain lignage ».
Cette société naturelle a besoin d'une autorité qui a le pouvoir d'obliger, de coordonner et de diriger les volontés des membres vers une même fin, qui se confond avec le bien commun de la famille. C'est pour tendre à ce bien commun que les membres de ce corps social doivent obéir ; en obéissant,
ils accomplissent un devoir envers eux-mêmes. L'autorité paternelle leur est nécessaire. Grotius trouve l'origine de celle-ci dans un droit de propriété (Droit de la guerre et de la faix). Pufendorf invoque le consentement présumé des I enfants. Auprès de ces derniers, le Créateur a placé le père et la mère : l'un et l'autre ont un droit naturel à exercer cette autorité. Mais le père l'emporte sur la mère, car c'est lui qui peut le mieux gouverner la société domestique : il lui procure les ressources, il veille à ses intérêts économiques, il préserve son unité et la relie aux générations précédentes. Tant que le père peut exercer cette autorité, la mère n'a qu'un droit de participation et de conseil. Mais, si le père est mort ou dans l'incapacité d'exercer son autorité, la mère est naturellement désignée pour le remplacer. Elle a les mêmes droits à l'autorité, et ses droits sont supérieurs à ceux de toute personne étrangère à la société filiale.
L'autorité paternelle a un double but : assurer la vie et l'éducation de l'enfant ; maintenir l'unité familiale. Ce sont ces devoirs qui conditionnent les pouvoirs du père. Tout d'abord, le père, selon ses capacités matérielles et son état physique, doit assurer la vie de l'enfant, c'est-à-dire l'entretenir, le secourir s'il est débile de corps et d'esprit, tant qu'il le peut, lui procurer un établissement convenable par une formation, un apprentissage, des études.
Il a aussi le devoir de l'assister, même après sa majorité. Il a encore le devoir d'éducation, c'est-à-dire de formation intellectuelle, et surtout morale et
religieuse. Il a enfin le devoir, vis-à-vis de ses enfants et de sa famille, d'assurer la stabilité, la prospérité et la pérennité de celle-ci. Prolonger la race, au sens de famille régnante descendant d'un ancêtre commun, ou la parentèle, au sens de ceux qui descendent d'une même souche, est une nécessité pour les pères porteurs de la couronne, du nom, de l'honneur et des biens qui leur ont été légués par leurs propres pères. Cette conception est universelle dans la société d'ordre. Le père a pour mission d'assurer sa descendance, mais aussi, par ses conseils et son exemple, de montrer quelle est la meilleure voie pour parvenir à la prospérité familiale et patrimoniale.
SOURCE : A.Molinier, Pérenniser et concevoir, in Histoire des pères et de la paternité, Larousse 1999
QUESTIONS :
- Qui dispose de l’autorité et du pouvoir dans la famille ? Pour quelles raisons ?
- Comment est exercée cette autorité ? Quelles en sont les contraintes, pour ceux qui la subissent mais aussi pour celui qui la détient ?


III - PLACE ET ROLE DE L’ENFANT DANS LA FAMILLE


DOCUMENT 3 :
A :
La fonction paternelle le transmission demeure, mais son objet hange : le père se recentre sur la transmission les valeurs. Il devient un « père moral », voire in «père-la-morale». Cela signifie que les arents - le père comme la mère, et le plus souent la mère sous le contrôle du père – savent ce qui est « le bien », immatériel, de leur enfant.Le système éducatif postule que l'enfant doit être « réformé », que sa nature, mauvaise ou informe, doit être modifiée selon un ensemble de règles que l'enfant doit respecter et finalement incorporer. La transformation intérieure de l'enfant se manifestera par une série de comportements (la bonne tenue à table, par exemple) qui définissent une personne conforme, c'est-à-dire, dans l'esprit du temps, un adulte.
SOURCE : F.De Singly, Le père de famille est devenu Pygmalion, in L’autorité malmenée, Le Monde des débats, mars 1999

B :
Plusieurs traités de pédagogie et encyclopédies abordent plus directement le rôle paternel, que résume alors le verbe IV – LA FAMILLE, UNE INSTITUTION

A – LA FAMILLE SOUS L’ŒIL DE LA COMMUNAUTE

DOCUMENT 4 :
Dès la formation du couple, au cœur même du cérémonial religieux, des rituels mettent l'accent sur la détention de l'autorité. Ils font appel à l'efficacité du symbole qu'une identité culturelle partagée permet à tout le groupe de saisir immédiatement. Lutte autour du passage de l'anneau au doigt de la femme, genou placé par l'époux sur le tablier de sa femme, autant de signes de l'intérêt accordé au fait de savoir qui « portera la culotte ». Le couple vit en effet sous l'œil de la communauté et cette intervention externe a une double face. Ce que nous considérons comme appartenant au domaine privé, relations affectives et sexuelles, sont, d'une certaine façon, de l'ordre public. La tension entre mari et femme est réduite parce que la vie sociale s’organise en groupes. La communauté locale ne tolère pas les déviances et contrôle l’image que donne le ménage, en lui infligeant, si nécessaire, des blâmes publics. On connaît les charivaris ou promenades à âne imposés aux veufs qui, se remariant avec des filles trop jeunes ou trop éloignées socialement, prélèvent sur le stock des mariables une conjointe destinée aux garçons. De même les maris qui se laissent battre par leur femme, mettant ainsi en danger l'ordre social en acceptant l'irruption d'un monde à l'envers dans leur vie conjugale, sont publiquement stigmatisés.
SOURCE : M.Segalen, Sociologie de la famille, A.COLIN, 1981
QUESTIONS :
- La notion de vie privée a-t-elle un sens dans les sociétés traditionnelles ? Pourquoi ?
- La société tolère-t-elle que l’homme ne dispose pas de l’autorité dans la famille ? Pourquoi ?

B -LA FAMILLE, UNE AFFAIRE D’ETAT

DOCUMENT 5 :

La monarchie exprime de plus en plus nettement la volonté qu'a l'État de contrôler les mariages, dans l'intérêt du lignage et de l'ordre social tout entier. Elle ne cesse de rappeler que le mariage n'est pas seulement l'union de deux individus, mais la source de la famille, séminaire de la société civile. C'est ce qu'affirme nettement le préambule de la Déclaration de Saint-Germain de Louis XIII, en 1639 : « Comme les mariages sont le séminaire de l'État, la source et l'origine de la société civile et le fondement des familles qui composent les républiques, qui servent de principe à former leur police et dans lesquelles la naturelle révérence des enfants envers leurs parents est le lien de légitime obéissance des sujets envers leur souverain... » On retrouvera cette conception dans le Traité du mariage, composé sur ordre de Colbert en 1670 : « Le mariage n'est pas seulement fondé sur l'intention et les principes de la nature, il tient aussi fortement aux lois de la police civile, ou plutôt il en est le premier fondement parce que cette société qui compose la famille est la source et le séminaire de la société publique. »
SOURCE : I.Thery , op cité
QUESTIONS :
- Quelle place occupe la famille dans la société ?
- Pourquoi l’Etat intervient-il dans un domaine qui ne semble pas à priori être le sien ?


CONCLUSION :

DOCUMENT 6 :

En un temps très court (1791-1793), on assiste donc à un renversement radical de valeurs séculaires, qui conduisit à l'exécution du monarque alors que le régicide était jusqu'alors considéré comme le crime le plus grave et le plus impardonnable puisqu'il associait la mort du père à celle du représentant de Dieu sur terre. Autrement dit, le 21 janvier 1793, à travers Louis Capet guillotiné, c'est un ensemble de références fondamentales, de la puissance paternelle à l'omnipotence divine, qui disparaissent publiquement ou, à tout le moins, qui sont bafouées. « En coupant la tête du roi, écrit Balzac dans les Mémoires de. deux jeunes mariés, la République a coupé la tête à tous les pères de famille. » Et Le Play fera, plus tard, ce rapprochement caractéristique : « Le 7 mars 1793, six semaines après la condamnation à mort du roi Louis XVI, la Convention interdit aux pères de famille la faculté de disposer de leurs biens par testament » (l'Organisation de la famille). Mais, si les Conventionnels sont des fils qui tuèrent leur père, c'est aussi parce que la Révolution se fondait sur d'autres valeurs. Avec finesse, Lynn Hunt remarque qu'au corps patriarcal de l'ancienne monarchie se substitue une triade féminine des sœurs (liberté, égalité, fraternité) auxquelles se joindra un frère : le peuple. La famille révolutionnaire s'apparente ainsi à une famille égalitaire, sans père ni mère
SOURCE : A.Cabantous, La fin des patriarches, in Histoire des pères et de la paternité, op. cité
QUESTIONS :
- Que traduit le régicide ? En quoi dépasse-t-il la seule mort du roi ?


SECTION II – LA FAMILLE DEPUIS LA REVOLUTION FRANCAISE


I - LA FAMILLE UNE AFFAIRE INDIVIDUELLE.

DOCUMENT 7 :
A :
La conception de la filiation et le rôle qu'on lui accorde sont des enjeux sociaux et politiques. Ce qui est en cause, c'est avant tout la façon dont on conçoit les relations entre les individus dans la famille et plus largement dans la vie privée. La Révolution française a introduit une conception individualiste. Elle a donc cassé la famille comme groupe préexistant aux individus. C'est par un contrat que les individus, libres et égaux, se réunissent.
SOURCE : F De Singly, le contrat remplace la lignée, Le monde des débats, mars 2000.

B :
une seconde série de facteurscontribuent à affaiblir la famille traditionnelle : l'individualisme qui gagne dès la fin du 19e siècle, envers et contre toute morale, tous les milieux sociaux, les âges de la vie et les deux sexes. Un immense désir de bonheur - ce bonheur dont le révolutionnaire Saint Just disait qu'il était en Europe une idée neuve -, d'être soi-même, de choisir son activité, son métier, ses amours - sa vie en somme - s'empare de tous et de chacun, et notamment des catégories les plus dominées de la société - la classe ouvrière par exemple - et de la famille : les jeunes, les femmes. Lassés de n'avoir que des devoirs, ils revendiquent leurs droits. Les jeunes affirment leur autonomie, résistent, sourdement, voire ouvertement, aux décisions parentales, paternelles surtout. Tandis que leurs frères fuguent et frondent, les demoiselles de la bonne société confient à leur journal leur désir de plaire et d'aimer, de se marier par amour, voire d'être indépendante et de créer. Passé dix-huit ans, les jeunes ouvriers n'acceptent plus de remettre à leurs parents la totalité de leur paye ; ils préfèrent vivre en concubinage ou courir les routes. La famille a de plus en plus de mal à imposer ses vues à ces jeunes révoltés dont Arthur Rimbaud est le symbole.
Plus encore, peut-être, les femmes veulent être des personnes. Elles sont clé plus en plus nombreuses à vouloir s'instruire, aller et venir librement,voyager, gérer leurs biens, éventuellement travailler et disposer librement de leur salaire. Les femmes rêvent d'amour (c'est le grand thème de romans-feuilletons dont elles se rassasient) et comme le mariage demeure leur loi, elles interviennent de plus en plus dans le choix du conjoint, préférant souvent le célibat à un époux imposé.
Le couple est une valeur en hausse : un couple beaucoup plus égalitaire fondé sur l'attrait sexuel, ciment du mariage d'amour. Il domine la scène familiale et culturelle (cf. le cinéma américain, ses couples célèbres et le baiser sur la bouche) entre 1900 et I960. De plus en plus soucieux de contrôler ses naissances, de séparer sexualité et procréation, il se montre relativement imperméable aux injonctions natalistes de l'État, prend ses distances vis-à-vis de la doctrine catholique qui ne reconnaît que les moyens naturels ou la continence, comme le puritanisme communiste qui, en 1956, conduit Jeannette Vermeersch à condamner Jacques Derogy : clans son livre Des enfants malgré nous, il s'était insurgé contre le natalisme du Parti.
SOURCE : M Perrot, histoires de famille, in mouvements n°8, avril 2000.
QUESTIONS :
- Quel est le déterminant qui a entraîné la disparition de la famille traditionnelle, pourquoi ?
- Quelles sont les catégories de la population qui sont à l’origine de la remise en cause du modèle traditionnel de famille, qu’ont-elles en commun ?
- Qu’est ce qui fonde le couple dans les années 60, quelles répercussions cela a t’il ?

DOCUMENT 8 :

« C'est par l'institution matrimoniale, par les règles qui président aux alliances, par la manière dont sont appliquées ces règles, que les sociétés humaines, celles mêmes qui se veulent les plus libres ou qui se donnent l'illusion de l'être, gouvernent leur avenir, tentent de se perpétuer dans le maintien de leurs structures, en fonction d'un système symbolique, de l'image que ces sociétés se font de leur propre perfection » loin d'être seulement l'institution fondatrice de la famille, loin d'être seulement un élément de la reproduction sociale, le mariage a toujours été dans le passé l'incarnation du système symbolique fondant l'être-ensemble des sociétés, leur donnant bien plus que des règles et des interdits, une identité commune, une visée dans l'imaginaire, « l'image que ces sociétés se font de leur propre perfection ». Or c'est cette place symbolique qui a été remise en cause par la redéfinition contemporaine de la signification du mariage : si son fondement est le sentiment, sa vie le bonheur, sa mort le désamour, comment le mariage, même profondément modernisé, continuerait-il d'être ce qu'il fut autrefois, l'horizon indépassable des relations entre les hommes et les femmes, le fondement de la société tout entière, la « clé de voûte de l'édifice social » ? Quand on dit que le mariage est devenu une affaire privée, ce n'est pas seulement le changement des attentes personnelles à l’égard de l’union que l’on devrait désigner, mais un phénomène culturel analogue, toutes proportions gardées, à celui du désanchantement du monde que décrit Marcel Gauchet à propos de la religion. Comme elle, le mariage n'est plus consubstantiel à l'univers humain de nos sociétés, il est devenu une expérience subjective ; le choisir pu le
rompre relève de la conscience individuelle. Ce mouvement, qui bouleverse la définition même du privé, nous le nommerons le démariage.
De même que l'État a abandonné la religion aux religieux, il lui est demandé aujourd'hui d'abandonner la conjugalité aux individus. Dès 1972, une enquête soulignait « l'opinion de plus en plus répandue que la vie affective et sexuelle relève exclusivement de l'individu. Elle est perçue comme une affaire privée et la société n'aurait juridiction ni pour la juger, ni a fortiori pour la sanctionner ». Ainsi conçue, l'autonomie de l'individu s'oppose par définition à la loi commune, non pas que l'individu n'en respecte aucun des aspects mais parce quelle ne saurait lui être imposée par la communauté sociale. Ce mouvement profond d'individualisation du privé " rend presque impensable la relation privé/public, qui ne fonctionne que dans un seul sens : lorsqu'elle est réinterprétée et reconnue par l'individu. Toute intervention extérieure dans le domaine privé est alors frappé d’une fondamentale illégitimité, qui l’assimile à une forme d’intrusion.
SOURCE : I Thery, le démariage O Jacob, 1996;
QUESTIONS :
- Quel rôle jouait traditionnellement l’institution matrimoniale ?
- Continue t’elle à le jouer ?
- Quelle place est-elle désormais accordée à l’Etat en ce qui concerne la vie familiale ?
- Que pense I Thery de cette évolution ?

II – UNE REMISE EN CAUSE DE L’AUTORITE PATERNELLE.

DOCUMENT 9 :
Division des sexes. Vers la fin des années 1960, le droit français était engagé dans un processus d'indifférenciation en ce qui concerne le statut des hommes et des femmes, processus qui avait commencé depuis l'immédiat après-guerre. À l'ancien modèle de l'inégalité complémentaire entre le mari et l'épouse – qui avait concerné tout autant la citoyenneté politique, la gestion du patrimoine ou les rapports personnels dans le mariage - se substitue un autre, de type égalitaire, où les hommes et les femmes sont juridiquement interchangeables.Ce processus a pris une telle ampleur dans l'espace de quelques décennies que le juriste Jean Carbonnier a pu affirmer que le droit français était devenu hermaphrodite.
L'aboutissement de cette logique aurait dû finir par rendre superflue la division des sexes. Pour cela, il fallait s'attaquer à la dernière source d'inégalités qui subsistait du passé, c'est-à-dire à la prééminence masculine dans le domaine de la procréation et de la filiation. Or, les réformes intervenues dans ce domaine depuis la fin des années 60 n'ont pas suivi la logique de l'égalité entre les hommes et les femmes. Les nouvelles inégalités, mises en avant au nom du droit des femmes à disposer de leur corps ainsi que de l'égalité entre les enfants légitimes et naturels ont été les objectifs visibles et immédiats de ces transformations. Et c’est autour du corps et de ses puissances procréatrices, différentes chez les hommes et les femmes, que se réorganise l'ensemble du dispositif normatif. La grossesse allait légitimer le pouvoir exorbitant des femmes au détriment des hommes.
La loi Veil de 1975, autorisant l'avortement, peut être considérée comme le point de départ du différencialisme sexiste moderne, par la façon dont le droit à l'avortement a été conceptualisé par le mouvement féministe et par sa facture juridique. En effet, le droit à disposer de son corps a été conçu comme un droit prépolitique, né d'un rapport originaire des femmes avec elles-mêmes que ni la société ni le père ne pouvaient troubler sans porter atteinte à leur «liberté naturelle». Le droit à disposer de son corps comportait non seulement le versant négatif de la procréation (contraception et avortement) mais aussi le versant positif, c'est-à-dire le fait de faire naître des enfants lorsque les femmes le veulent. Et personne, et surtout pas le père, ne pouvait se substituer à cette volonté toute-puissante de la mère d'avorter ou de faire naître. sous X. Ainsi, les femmes sont détentrices du pouvoir exorbitant de désigner le père aussi bien que de l'exclure.
Paradoxalement, loin d'avoir libéré les femmes de leur attachement classique et premier aux enfants, ces règles qui les ont rendues toutes-puissantes les ont plus que jamais enchaînées à cette fonction de mères. Les femmes continuent comme auparavant, à assurer la reproduction sociale, mais désormais ce rôle ne sera plus imposé mais volontaire.
Mère légale. Même dans le cas où un homme et une femme ont décidé de concevoir ensemble un enfant in vitro, le pouvoir de conserver ou de ne pas conserver l'enfant ne revient qu'à la mère De même, dans le cas de l'avortement thérapeutique, alors que le motif n'est pas la détresse de la femme mais la santé de l'enfant à naître, c'est encore à la mère seule que cette décision incombe, même si l'on ne peut évoquer ici sa liberté corporelle car le choix est de type eugénique. Cette construction normative de la mère légale, pour être perçue dans toute sa réalité, doit être articulée avec les nouvelles règles en matière de filiation établies pendant la même période.
Depuis la réforme du droit de la filiation de 1972, l'ouverture de la recherche en paternité n'a pas cessé de s'accroître, tant par de nouvelles lois que par l'interprétation des juges. La femme a ainsi le pouvoir d'attribuer l'enfant qu'elle a mis au monde au géniteur, même si celui-ci n'a pas consenti à être père. De surcroît, la loi de 1993 a interdit la recherche en maternité dans le cas d'accouchement sous X). Ainsi, la maternité est pour la femme un choix de la conception à l'accouchement tandis que pour l'homme la paternité peut être le résultat d'une sanction, pour le seul fait d'avoir eu des rapports sexuels avec une femme. Qui plus est, la paternité peut aussi lui être refusée par la décision de la femme comme dans le cas de l'accouchement.
SOURCE : M Iacub, filiation, le triomphe des mères, le monde des débats, mars 2000.
QUESTIONS :
- Quelle était la situation jusqu’aux années 60 sur le plan de l’égalité homme-femme à l’intérieur des couples ?
- Caractérisez l’évolution, peut-on dire que l’inégalité homme-femme ait disparue ?
- Qu’entend l’auteur par différencialisme sexiste moderne ?
- Comment a évolué le droit de la filiation, à qui est-il favorable aujourd’hui ?

DOCUMENT 10 :
L'histoire des droits de l'enfant, linéaire, inéluctable, est celle d'un progrès en marche, montrant que l'histoire a un sens et un seul. De la patria potestas à la puissance paternelle, puis à l'autorité parentale, le signe univoque de cette nécessité historique serait que les droits des parents n'ont cessé de devenir plus limités et plus contrôlables et la limitation progressive des prérogatives adultes dessine ainsi à la fois le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir. L'autorité parentale apparaît comme une survivance, qu'il convient de débarrasser des traits de domination que le mot semble impliquer, en affirmant que les parents n'ont pas de droits, mais seulement des devoirs : l'avènement de la « responsabilité » parentale et la promulgation de nouveaux droits civils pour les enfants doivent très logiquement et naturellement marquer l'accomplissement total de la libération de l'enfance. La force de cette inscription mythique dans le déroulement du progrès est celle de l'intimidation intellectuelle : en désignant le camp des anciens et celui des modernes, en opposant les nostalgiques honteux de la puissance paternelle aux hommes et femmes de demain, passant « contrat » dans la confiance avec des enfants enfin libérés.
SOURCE : I Thery, op. cite.
QUESTIONS :
- Comment a évolué historiquement l’autorité paternelle, que cela traduit-il ?
- Quel est le modèle de référence parental actuel ?

DOCUMENT 11 :
Ces styles éducatifs sont modulés par l'origine sociale des parents, leur niveau d'éducation, leur profession et leur revenu. Du point de vue des objectifs éducatifs, les parents de milieux ouvriers insistent davantage sur l’obéissance,la conformité et la réserve alors que ceux de milieux bourgeois mettent davantage l'accent sur l'autonomie, la créativité et l'autorégulation [Bronfenbrenner, 1958]. Du point de vue des méthodes éducatives, les parents des classes populaires font davantage usage de contrôle, de punitions, de coercition, de surveillance et de force que les parents du haut de l'échelle sociale, qui tentent plus souvent de raisonner l'enfant, communiquer avec lui, de lui offrir leur soutien et qui font , recours au pouvoir parental [Gecas, 1979]. Les premiers- s'attachent surtout aux conséquences de la conduite de l’enfant ; les seconds se montrent, lorsqu’ils sanctionnent l’enfant 'plus sensibles à ses intentions et à ses motivations.
Enfin la nature de la relation de pouvoir entre parents et enfant est plutôt de type autoritaire ou autocratique dans les milieux populaires alors qu'elle aurait tendance a être de type égalitariste ou démocratique dans les milieux bourgeois




SOURCE : J Kellerahls Et C Montandon, les styles éducatifs, in la famille l’état des savoirs, la découverte, 1992.
QUESTIONS :
- complétez le tableau suivant :


FAMILLES OUVRIERES
FAMILLES BOURGEOISES
OBJECTIFS EDUCATIFS


METHODES EDUCATIVES


NATURE DE LA RELATION PARENTS-ENFANTS



- Quel modèle parental vous semble t’il être aujourd’hui le plus conforme à celui développé dans le document précédent ?


III – L’ENFANT ROI ?

DOCUMENT 12 :
Une troisième période s'ouvre à partir des années 70. Les enfants sont désormais soumis a une équation totalement différente : la consigne n'est plus l'ingestion de règles externes édictées par les parents. Au contraire, on demande aux snfants de devenir « eux-mêmes ». On postule donc qu'ils ont une nature plutôt bonne sur le fond - un postulat assez rousseauiste. Les parents ne doivent pas gâcher ce bon fond par l’imposition de règles trop nombreuses et rigides. Leur devoir de parents n'est plus, comme dans la période précédente, de modeler le développement de l'enfant, d'en être les auteurs, mais est de l'accompagner, l'auteur du développement devant être l'enfant lui-même.
Ce nouveau changement est cohérent avec les évolutions de la société. Auparavant, le père possé'dait une richesse, matérielle puis morale, qu'il transmettait aux enfants. Avant cette transmission, l'enfant n'était rien; après, il était tout. Aujourd'hui, le fonctionnement du marché du travail impose à l'individu de se définir lui-même. On ne demande plus à un adolescent, au sortir de son « élevage » : «Qui est ton père?», mais : « Qui es tu toi. en tant qu 'individu, quels sont ta compétence,ton diplome, ton expérience?». L'affirmation progressivede l’autonomied de l’enfant dans la famille a suivi ce changement. La révolte antiautoritaire de mai 68 a marqué symboliquement l’entrée dans cette nouvelle ère de l’histoire de la famille, celle des « parents traducteurs ».
À son service. L'enfant, dans ce nouveau modèle, est considéré comme ayant sa nature propre, mais qu'il ne comprend pas lui-même.
Quand, par exemple, il fait une colère, tous les journaux éducatifs expliquent que celle-ci signifie « quelque chose », et que c'est aux parents de l'interpréter. Le rôle des parents est donc d'aider l'enfant à se développer, ils sont à son service. C'est un retournement historique. Les enfants des première et deuxième périodes et ceux d'aujourd'hui sont radicalement différents. Dans la période actuelle, nous nous trouvons dans un processus qu'on pourrait qualifier d'autoproduction ou d'accompagnement de l'autoproduction, alors que dans les périodes précédentes, les parents étaient les « producteurs » des enfants. L'enfant cache au fond de lui-même le secret de son être, et les adultes vont l'aider à le mettre au jour .
SOURCE : F de singly, le père de famille est devenu Pygmalion, op. cité.
QUESTIONS :
- Quel est le nouveau modèle d’enfant développé par la société à partir des années 70 ?
- Sur quelle évolution s’appuie t’il ?
- En quoi cela transforme t’il en profondeur le rôle des parents ?

DOCUMENT 13 :
En faisant de l'enfant comme être vivant, biologique, la source d'une prétendue pensée sur le droit, c'est à la fois à l'enfant, à l'adulte, à la culture, au droit et à la signification humaine du temps que l'on prétend amener la plus implacable, la plus destructrice des réponses: celle du sujet auto-fondé.
La mythification de l'Enfant n'a rien de rassurant, et traduit la crise profonde des représentations et des valeurs qui, à travers le privé, affecte la société tout entière. Si les idéologues des droits de l'enfant ont pu mêler, de façon si difficile à comprendre, le tout-enfant et le tout-Etat, le refus du pouvoir et l'arbitraire des normes édictées, c’est que l’un et l’autre se rejoignent pour rappeler que Tocqueville avait raison d’imaginer dans l’Etat tutélaire la source et la traduction de l'infantilisation généralisée : « L'individu adulte n'a plus aujour-
d'hui une définition adulte de lui-même. Il ne se conçoit pas en termes de responsabilité, il ne se pense pas comme capable de penser par lui-même. L'actualité de cette convention est de révéler Jtnfantilisation générale de notre société . » - '
Olivier Mongin remarque avec justesse que l'enfant mythique traduit d'abord l'incapacité de la société contemporaine à se situer dans l'histoire : « la société entretient un double mouvement avec l'enfant : d'une part elle l'idéalise comme la figure de la perfection, , comme une forme parfaite, sans histoire , ; d’autre part, elle refoule tout ce que l’enfance draine comme vulnérabilité : c’est parce que la fragilité est insupportable, et que la souffrance est refoulée en profondeur dans notre monde, que l’enfance disparaît au profi d’un enfant idyllique, véritable héros mythique qui ne doit pas vieillir et n’a d’autre avenir que de se soustraire aux affres de l’histoire.


IV – LA FAMILLE UNE INSTITUTION ?

A – VERS UNE PRIVATISATION DE LA VIE FAMILIALE ?

DOCUMENT 14 :
Privé, défense d'entrer. Au-delà de cette limite, aussi naturelle-ment que nous refermons sur notre intimité la porte de nos maisons, nous laissons derrière nous l'espace de la cité pour vivre, dans un monde qui n'appartient qu'à nous, une autre part de notre existence. Privés nos choix, nos goûts, nos échecs, nos amours, nos souffrances. Privés nos liens d'affection, nos ruptures, nos passions, Attachés à notre indépendance individuelle comme à la prunelle de nos yeux, nous voyons dans la protection de l'espace privé la condition même d'une vie plus vraie, parce que conquise sur les modèles institués, sur le bien et le mal édictés d'avance, sur le catéchisme des moeurs. La vie privée, cette part qui nous revient dans un monde où tout nous échappe, nous la voulons comme le symbole même du souci de soi, de l'élan d'authenticité personnelle où chaque liberté, chaque interdit, chaque devoir et chaque transgression seraient une conquête de sens.
Pourtant, depuis quelques années, une inquiétude s'accroît. Le mur qui sépare l'espace privé de l'espace public, n'est-ce pas aussi celui qui sépare le moi et la communauté, les nôtres et les autres, et qui coupe en deux chacun de nous, privant l'existence de sa dimension vraiment humaine ? Quelque chose s'est défait. Les individus assignés à résidence privée manquent d'air et de souffle, la diversité formelle masque des modes de vie de plus en plus standardisés. Les seules vraies fractures sont sociales ; les vraies différences ne sont pas choisies, mais subies. La vie privée, déconnectée de tout sauf d'elle-même, a beau se vouloir plus libre, elle n'en est pas plus ample. On la soupçonne désormais de ne nourrir rien d'autre que l'égotisme le plus exacerbé et le plus vain. Chacun dans son chez-soi, la vie privée n'aurait-elle fait de l'individu souverain et libre qu'un petit Narcisse gonflé comme un ballon de papier, s'épuisant à combler la vacuité des jours à force de divertissements et de Tranxène, jamais assouvi, jamais heureux de ce qu'il a ? À l'image de l'espace ouvert à la créativité par le refus des normes se substitue alors celle de l'enfermement dans un désert de repères et de valeurs communes. Vie privée, certes, mais privée de quoi ?
SOURCE : I Thery, op. cite.
QUESTIONS :
- Pourquoi surinvestissons-nous autant la sphère privée familiale depuis quelques années, que nous apporte t’elle ?
- Justifiez la dernière phrase du texte.

B – VERS UN ETAT MOINS INTERVENTIONNISTE ?

DOCUMENT 15 :
Emile Durkhcim dans Leçons de sociologie : «Le rôle de l'État n'a rien de négatif. Il tend à assurer l'individualisation la plus complète que puisse permettre l'état social. Bien loin qu'il soil le tyran de l'individu, c'est lui qui rachète l'individu de la société». En France, l'Elat a joué et joue un rôle décisif dans la formation de la famille moderne et post-moderne tout d'abord en dévaluant l'autorité du père du fait de l'enseignement obligatoire, ensuite en transformant certaines situations en «risques familiaux» qui méritent d'être pris en charge. En effet, l'idéal de la famille post-moderne n'est pas sans poser de problèmes pour les acteurs sociaux concernés. L'autonomisation, associée à la centration sur l'affectif, rend instable le couple conjugal. La moindre pérennité de ce groupe a, à son tour, des effets qui sont peu contrôlés. Notamment, si les femmes peuvent davantage affirmer leur indépendance grâce à leur plus grande activité professionnelle, elles n'ont pas toutes, pour autant, les moyens de se séparer de leur conjoint sans payer un prix élevé. Certaines, en sortant de la vie conjugale, entrent dans le cercle de la pauvreté
La logique de l'autonomisation des individus, «le mouvement social promouvant l'émancipation de la femme des liens patriarcaux», les transformations du droit civil de la famille « libérant la femme et l'enfant de la dominance quasi féodale du pater familia», selon Franz Schulteis conduisent les femmes les moins bien dotées à payer «le prix de l'égalité et de la liberté individuelle» ; «tandis que les couples des nouvelles classes moyennes particulièrement favorables aux transformations juridiques des rapports familiaux y trouvaient leur compte, ayant 'ous les atouts pour réaliser non seulement un "beau mariage" mais encore un "beau divorce" (séparation tout en restant "amis" et en continuant d'exercer l'autorité parentale en commun), les conséquences de ces réformes ne sont guère les mêmes en ce qui concerne les femmes des couches sociales moins privilégiées».
À partir des années 1970, la vie familiale devient un «risque» qui se traduit dans «la féminisation de la pauvreté et la paupérisation des
familles monoparentales». Pour corriger en quelque sorte les effets associés aux réformes du droit civil et les effets de la «généralisation du modèle d'individualité», l'État intervient,
L'État intervient donc fortement dans les nouvelles règles du jeu domestique, conformément à la thèse d'Emile Durkheim, en autorisant la diminution de la dépendance des femmes vis-à-vis des hommes, en prenant en charge en contrepartie les effets de cette baisse, quitte ;augmenter la dépendance de certaines femmes, de certains groupe;
SOURCE : F De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Nathan université, 128, 1993.
QUESTIONS :
- Justifiez la phrase de Durkheim à partir de la suite du texte.
- Toutes les catégories sociales ont elles la possibilité de se conformer au modèle dominant pourquoi ?




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