Chapitre intégration et solidarité

  • CHAPITRE - CHANGEMENT ET SOLIDARITE SOCIALE

    PROBLEMATIQUE DU CHAPITRE : Comme à la fin du 19ème siècle, quand Durkheim écrit la « division du travail social »notre société est confrontée à la question de la cohésion sociale. Après avoir présenté l’analyse du précurseur Durkheim, et ses principaux apports, nous nous intéresserons à la crise du lien social aujourd’hui. Les institutions traditionnellement créatrices de lien social ( famille, religion, syndicat)comme les outils (le travail) connaissent actuellement de profonds bouleversements dans la société française (et plus largement dans l’ensemble des sociétés industrielles). Ces mutations ne mettent-elles pas en péril la cohésion sociale en affaiblissant voire en brisant les liens qui unissent les membres d’une société.

    SECTION I - DURKHEIM ET LA DIVISION DU TRAVAIL SOCIAL.

    I - LE REJET DES EXPLICATIONS DES ECONOMISTES LIBERAUX.

    Postulat expliquant selon les libéraux l’apparition de la division du travail : Selon les économistes, la division du travail peut être analysée comme la réponse à un problème auquel sont confrontés les individus. La division du travail doit donc être vue comme un construit humain : les individus ayant intérêt à se partager les tâches afin d’accroître le rendement de la collectivité, ou plus exactement d’être plus productif que leurs concurrents et de gagner des parts de marché ( les deux visions n’étant pas contradictoires mais complémentaires, vu les bienfaits de la concurrence ) . Les économistes libéraux basent donc leur analyse sur l’utilitarisme et l’individualisme méthodologique. Ils partent d’un individu représentatif, l’homo oeconomicus qui est égoïste et rationnel ( comportement naturel à l’homme ). Ils étudient les actions de cet individu : en recherchant son intérêt personnel, il a intérêt à diviser le travail. Puis ils agrègent ces comportements individuels afin de faire apparaître la société qui en est le résultat.

    Durkheim s’oppose à cette conception en la réfutant sur plusieurs points :
    « il ne croit guère au rôle joué par le calcul rationnel dans la vie sociale ». Il rejette donc le postulat de l’homo oeconomicus : « La division du travail ne met pas en présence des individus mais des fonctions sociales. » ( Durkheim ).
    il remet en cause l’idée que la société est seulement le résultat des comportements individuels des individus sans véritable lien, ne recherchant dans le contact avec les autres que leur intérêt personnel. « Si la division du travail produit la solidarité, ce n’est pas seulement parce qu’elle fait de chaque individu un échangiste, comme le disent les économistes ; c’est qu’elle crée entre les hommes tout un système de droits et de devoirs qui les lient les uns aux autres d’une manière durable. »( Durkheim). La division du travail n’affecte donc pas que des intérêts individuels et temporaires.
    les économistes croient que la division du travail est le résultat conscient de la rationalité individuelle. Elle serait donc « un construit humain au sens économique du terme, c’est-à-dire une élaboration volontaire imaginée par des innovateurs et consacrée par le marché » ( D.Clerc ). Durkheim considère au contraire que la division du travail est le produit largement inconscient de la société. En effet, comme l’indique R.Nisbet : « Dire que les hommes se sont partagés le travail et ont attribué à chacun un métier propre afin d’augmenter l’efficacité du rendement collectif, c’est supposer les individus différents les uns des autres et conscients de leurs différences avant la différenciation sociale. En fait, la conscience de l’individualité ne pouvait pas exister avant la solidarité organique et la division du travail. La recherche rationnelle d’un rendement accru ne peut expliquer la différenciation sociale, car cette recherche suppose justement la différenciation sociale ». Durkheim reproche donc aux économistes libéraux de faire de la conséquence la cause. On se rend compte que ce sont deux analyses de la société qui s’opposent ; chez les libéraux, la société est un produit de la volonté humaine, résultat d’une démarche intentionnelle ; au contraire, chez Durkheim : « La société s’autoproduit sans intention initiale. » ( D.Clerc ) : « Les hommes marchent parce qu’il faut marcher et ce qui détermine la vitesse de cette marche, c’est la pression plus ou moins forte qu’ils exercent les uns sur les autres. (... ) La civilisation se développe parce qu’elle ne peut pas se développer ; une fois qu’il est effectué, ce développement se trouve généralement être utile ou, tout au moins il est utilisé ; il répond à des besoins qui se sont formés en même temps, parce qu’ils dépendent des même causes, mais c’est un ajustement après coup. » ( Durkheim ).
    les économistes néo-classiques considèrent donc que la destruction des liens sociaux traditionnels qui étouffent les individus et les empêchent donc de révéler leur rationalité est un pré-recquis à la division du travail. Une fois que celle-ci se sera imposée, il ne subsistera entre les individus qu’un lien social marchand qui présentera l’avantage d’assurer l’autonomie des individus, tout en les rendants interdépendants et en leur apportant le bien être matériel. Durkheim, au contraire, considère que : « le laisser-faire tend à produire les crises sociales contemporaines qui font craindre une guerre entre les possédants et les autres. » Le principale reproche qu’émet Durkheim à l’encontre des libéraux sur ce point est de sacrifier la solidarité, le lien social à la liberté individuelle, en considérant que l’autorégulation du marché résoudra tous les problèmes. Cette analyse est selon Durkheim beaucoup trop optimiste .

    Durkheim est très sévère vis-à-vis de la conception libérale de la division du travail . Il ne faut pas pour autant en conclure que Durkheim sous-estime les effets de la division du travail . Au contraire , il lui accorde une place essentielle , mais il en donne une vision très différentes de celles des économistes .

    II - UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE DE LA DIVISION DU TRAVAIL

    A- LES DEUX FORMES DE SOLIDARITE (5 p 238)

    Durkheim , comme de nombreux sociologues de son temps , va être frappé par la disparition de l’ordre social traditionnel qui s’opère sous ses yeux et va se demander par quoi le remplacer . Il va pour cela s’appuyer sur une analyse développée par F Tonnies qui oppose deux types de solidarité qui se succèdent : la communauté ou gemeinschaft et la société ou gesellsachft. On peut résumer l’analyse de Tonnies par le tableau suivant :


    COMMUNAUTE
    SOCIETE
    EXEMPLE DE SOCIETE OU DE COMMUNAUTE

    - La société européenne au Moyen-Age : les corporations, le compagnonnage
    - Les sociétés capitalistes.
  • TAILLE DES GROUPEMENTS

    - La taille est réduite car la communauté nécessite une proximité affective ,sociale et spatiale.
    - La taille est importante , les individus sont étrangers et séparés les uns des autres
  • TYPES DE LIENS

- Trois types prédominent :
-les liens du sang: la famille
-Les liens de voisinage: le village
- La communauté spirituelle :la paroisse;

- lien marchand .

  • NATURE DES LIENS


    - trois types :
    - lien organique: la parenté
    -lien affectif :l’amitié qui lie aux voisins
    - lien spirituel qui lie à la communauté religieuse
    - Chaque individu agit en fonction de son intérêt , le calcul, l’abstraction l’emportent :c’est la lutte de tous contre tous

PLACE ET ROLE DE L’INDIVIDU

- Le rôle et le statut de l’individu lui sont prescrits par la communauté. L’individu agit en fonction de son appartenance à la collectivité ,il ne recherche pas son intérêt personnel, l’intérêt collectif étant considéré comme premier.
- Le rôle et le statut sont acquis par l’individu qui est plus sensible à ce qui le différencie des autres qu’à ce qui le rattache à la communauté, les parties étant donné avant le tout , l’individualisme domine, l’Etat doit intervenir pour relier les individus les uns aux autres


Durkheim va reprendre et développer l’analyse de Tonnies , en insistant plus particulièrement sur les progrès de la division de travail qui témoigne du passage des sociétés à solidarité mécanique aux sociétés à solidarité organique , dont on peut résumer les caractéristiques par le tableau suivant .


SOLIDARITE MECANIQUE
OU PAR SIMILITUDE
SOLIDARITE ORGANIQUE
TYPE DE SOCIETE

Sociétés primitives ou archaïques
sociétés modernes

  • TAILLE DE LA COMMUNAUTE
    - restreinte
    - densité forte
  • PLACE ET ROLE DE L’INDIVIDU

    - société primitive

- l’individualisme est totalement inconnu,
-l’individu est soumis à la communauté
-les individus sont semblables
- La conscience collective est largement dépassée par les consciences individuelles

-sociétés modernes :
- les individus se sont émancipés des contraintes imposés par la collectivité:les individus sont libres
- les individus sont différents et complémentaires il doivent prendre conscience de cela pour concourir au bon fonctionnement de la société.

  • PLACE ET ROLE DE LA COMMUNAUTE

    - la communauté préexiste à l’individu , en fonction de la tradition, la communauté établit des valeurs , des règles , un sacré auxquels l’individu doit se conformer
    - L’individu préexiste à la communauté, le consensus qui va générer la communauté résulte de la différence de l’hétérogénéité de la complémentarité des individus
  • TYPE DE DROIT
    - subordination des individus à la conscience collectif, le droit est répressif en cas de violation des règles édictées par la communauté, car elle se sent attaquée dans ce qu’elle a de plus fondamental : droit pénal;
    - le droit perd son caractère répressif , devient un droit restitutif qui ne recoure plus essentiellement à la punition mais à la réparation: droit commercial, droit civil

    La question est alors de savoir quelles sont les raisons qui expliquent le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique .


    B - UNE ANALYSE SOCIOLOGIQUE DE L’ORIGINE DE LA DIVISION DU TRAVAIL (3 p 237)

    Loi mise en évidence par Durkheim : M.Lallement écrit : « Pour le Durkheim de « La division du travail social » , il existe une sorte de loi de gravitation du monde social qui conduit la solidarité mécanique à se raréfier au profit d’une solidarité organique toujours croissante »

    Fondements de la loi :
    - Durkheim rejette les explications fournies par les économistes qui considèrent que la division du travail s’explique par la recherche du bonheur passant par davantage de richesses .
    - Or , rétorque Durkheim : « Les métamorphoses que provoque la division du travail coûtent trop longtemps et rapportent peu immédiatement . Il n’est donc pas intéressant pour une génération de se sacrifier ainsi . » ( M.Lallement )

    Durkheim va alors chercher les explications qui sont à l’origine de la division du travail . Il en avance 3 , 2 accessoires et 1 essentielle :
    la moindre prégnance de la conscience commune qui donnerait davantage de liberté d’actions aux individus .
    la diminution de l’hérédité .
    la troisième explication est l’explication fondamentale : l’augmentation de la densité morale et matérielle

    Justification de l’augmentation de la densité matérielle et morale :
    · Il constate que la solidarité mécanique est caractéristique des communautés de taille réduite qui entretiennent peu de relations entre elles (à la limite qui vivent en autarcie) et qu’au contraire la solidarité organique se retrouve dans les sociétés denses : aussi bien d’un point de vue démographique , que du point de vue des relations sociales existant entre les individus et les groupes sociaux.
    · En effet , plus la taille de la population augmente , plus les relations entre les individus se développent , plus la lutte pour la survie va devenir délicate .
    · Dès lors , deux solutions ( pas forcément conscientes ) peuvent être envisagées
    - soit l’élimination des plus faibles , seuls les plus forts pouvant survivre dans un environnement n’ayant pas su évoluer,
    - soit la spécialisation des individus qui leur permet en s’adonnant à des tâches différentes de ne plus entrer en concurrence ,de produire plus, de faire évoluer leur environnement donc de ne plus avoir à lutter pour le vie , mais au contraire d’être complémentaires . Cette spécialisation se remarque certes essentiellement dans la vie économique mais elle concerne selon Durkheim tous les aspects de la vie sociale : « Les fonctions politiques , administratives , judiciaires se spécialisent de plus en plus . Il en est de même des fonctions artistiques et scientifiques . »

    R.Boudon synthétise la pensée de Durkheim en une loi : la croissance de la densité morale et matérielle donne naissance à la division du travail , celle-ci par un effet de rétroaction positif renforce la densité morale et matérielle . On observe donc un processus autoentretenu , assurant le passage progressif de la solidarité mécanique à la solidarité organique

    L’étude de la division du travail est représentative de la méthode sociologique de Durkheim . En effet , pour expliquer le développement de la division du travail , 2 types d’analyse pourraient être suivies :
    · partir des individus et des motivations qui les ont conduit à se spécialiser . Cette solution , selon Durkheim n’est pas la bonne : l’introspection (une analyse subjectiviste) ne mène à rien car la division du travail est un processus largement inconscient , dont l’origine ne se trouve pas dans l’action individuelle mais au niveau social .
    · il faut alors mener une étude objective des phénomènes sociaux au niveau macro-sociologique , c’est-à-dire traiter les faits sociaux comme des choses(cf. cours de première sur le suicide), car selon les propres mots de Durkheim : « Ils consistent en des manière d’agir , de penser et de sentir extérieurs à l’individu et qui sont doués d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui. »

    Conséquence positive de la division du travail selon Durkheim : « Le plus remarquable effet de la division du travail n’est pas qu’elle augmente le rendement des fonctions divisées mais qu’elle les rend solidaires ( .. .) Nous sommes ainsi conduits à nous demander si la division du travail n’aurait pas fonction d’intégrer le corps social , d’en assurer l’unité » .La principale fonction de la division du travail serait donc d’ordre moral : produire de la solidarité entre les membres de la société .

    Effet pervers de la division du travail selon Boudon :Mais alors se pose un problème clairement explicité par Boudon : « Le processus évolutif entraîne en même temps un développement constant de l’individualisme et de l’égoïsme , conséquence du développement de la solidarité organique , l’individualisme exerce un effet dissolvant sur la solidarité elle-même » et donc finalement sur la société .

    III - DURKHEIM : UN THEORICIEN DE LA COHESION SOCIALE ET DE L’INTEGRATION

    A- LES PATHOLOGIES DES SOCIETES MODERNES .

    Durkheim constate que le développement de la division du travail n’est pas sans poser de problèmes même si ceux-ci ne doivent être que transitoires puisqu’ils sont caractéristiques du passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique . En particulier , Durkheim constate , à la fin du XIX° , un développement de tendances anomiques . Toute la difficulté est que dans l’œuvre durkheimienne , on constate 2 définitions différentes de l’anomie :
    · la première se trouve dans son livre « La division du travail social » : l’anomie y caractérise une situation où : « la division du travail ne produit pas la solidarité car les relations des organes ne sont pas réglementées , c’est-à-dire que les organes entre lesquels le travail est divisé ne sont pas suffisamment en contact ou bien que ce contact n’est pas suffisamment prolongé pour produire les relations nécessaires au bon fonctionnement des sociétés différenciées » ( Durkheim ) . On se rend compte ici que Durkheim s’interroge sur les effets pervers engendrés par la division du travail , en particulier sur la montée de l’individualisme .
    · la seconde, dans son livre « Le suicide » , l’anomie renvoie toujours aux défauts de règle sociale mais l’accent est désormais placé sur le fait que les passions issues du processus d’individuation ne sont plus contenues par les règles morales et que les individus en pâtissent . L’individu souffre alors du mal de l’infini que l’anomie apporte partout avec elle .En effet , Durkheim constate que les passions individuelles sont illimitées , qu ’elles ne connaissent pas de bornes . L’individu risque donc d’émettre des désirs irréalisables , qu’il ne pourra satisfaire . Ceci engendrera un sentiment d’insatisfaction , une déception que Durkheim compare à un abîme sans fond que rien ne saurait combler . Ce sentiment est le signe de l’affaiblissement des capacités de régulation de la société qui se produit à des époques où le système moral en vigueur depuis des siècles est ébranlé , ne répond plus aux conditions nouvelles de l’existence humaine , sans qu’un nouveau système se soit encore formé pour remplacer celui qui est condamné . C’est ce qui caractérise l’époque à laquelle vit Durkheim et en particulier la sphère dans laquelle se développe la division du travail . Durkheim écrit ainsi : « il y a une sphère de la vie sociale où l’anomie est actuellement à l’état chronique ,c’est le monde du commerce et de l’industrie »
    L’augmentation des suicides est d’autant plus important à la fin du XIX° siècle que la division du travail développe des tendances individualistes , favorisant ainsi le suicide égoïste : l’homme est d’autant plus exposé à se tuer qu’il est plus détaché de toute collectivité , qu’il vit davantage en égoïste . L’homme tient d’autant moins à lui qu’il ne tient qu’à lui . Inversement , selon Durkheim , l’homme se tue d’autant moins qu’il a plus à penser à autre chose qu’à lui-même , c’est-à-dire aux autres .Durkheim peut donc établir une relation entre le taux de suicide et le repli sur soi de l’individu c’est-à-dire le défaut d’intégration sociale .

    B-LE DEFAUT D’INTEGRATION SOCIALE ET DE REGLES COLLECTIVES .

    R.Nisbet considère que l’objet du livre de la DTS est de démontrer que la division du travail favorise l’intégration de l’individu à la société , sans que le corps social ait besoin de recourir à la contrainte , comme cela était le cas dans les sociétés caractérisées par la solidarité mécanique .
    Une fois explicitées les conséquences bénéfiques de la division du travail , Durkheim se demande comment établir les bases de la cohésion sociale afin que l’individualisme résultant de la division du travail n’entraîne pas l’éclatement du corps social . La réponse se trouve dans la capacité que la collectivité possède d’imposer des règles collectives qui sont à l’origine de la cohésion sociale . Mais encore faut-il que ces règles reposent sur un consensus Ceci conduit , une fois de plus , Durkheim à s’opposer aux économistes libéraux quand il se penche sur la question de l’autorité , de la réglementation et de la liberté .
    · selon les libéraux , il faut mettre au premier plan la liberté et limiter au maximum les règles collectives qui entraveraient l’action , le libre arbitre des individus .
    · Durkheim , au contraire , considère que le laisser-faire conduirait à imposer la loi du plus fort . En effet , contrairement à ce qu’affirment les libéraux , la liberté n’est pas naturelle : « elle est elle-même le produit d’une réglementation . » Pour imposer cette réglementation , il est nécessaire qu’une puissance morale respectable soit capable de l’édicter aux individus . Or , « la seule personne morale qui soit au-dessus des personnalités particulières est celle que forme la collectivité . » Durkheim peut donc en conclure que l’absence de solidarité entre les individus ne résulte pas de l’imposition d’un trop grand nombre de règles mais au contraire d’une absence ou d’une insuffisance de réglementations qui peut déboucher sur un état d’anomie .
    Toute la difficulté est alors de forger des règles qui repose sur le consensus social . Dès lors que ce n’est plus le cas , les règles peuvent faire plus de mal que de bien et même : « parfois ce sont ces règles même qui sont la cause du mal » . Durkheim prend en particulier l’exemple de l’opposition existant entre les classes sociales : l’organisation de la société en classes est réglementée , mais ce n’est pas consensuel ; les classes inférieures considérant qu’elles sont injustement maintenues en bas de la hiérarchie sociale , elles aspirent à s’élever mais pour y arriver , elles doivent remettre en cause le « rôle qui leur est dévolu par la coutume ou par la loi » . Ceci donne lieu à la lutte des classes qui selon Durkheim est une forme pathologique .


    C - LES REMEDES PRECONISEES PAR DURKHEIM .

    Durkheim envisage 2 types de remèdes principaux :

    1- la solution corporative

    P.Steiner écrit : « Si les anciennes institutions ( Etat , religion , famille ) ne peuvent plus jouer pleinement leur rôle socialisateur dans la société à solidarité organique , il faut résolument se tourner vers la création de nouvelles formes sociales . Dans cette perspective et à un moment où l’organisation du monde industriel et ouvrier n’en est qu’à ses premiers balbutiements , Durkheim propose de créer des groupements professionnels ou corporations , ces groupes réunissant ouvriers et patrons dans les différents branches du commerce et de l’industrie . » Selon Durkheim, ces corporations présenteraient de nombreux avantages :
    - Elles sont adaptées à l’état de la société de la fin du XIX° qui voit s’accroître considérablement la place tenue par l’activité économique, alors que cette sphère d’activité se situe en dehors du cadre d’intervention de l’Etat , de la religion et de la famille .
    - Le groupement professionnel peut jouer un rôle intégrateur , car presque toute la vie de l’individu est occupée par l’activité professionnelle . L’action corporatiste se fait ainsi sentir sur tout le détail des occupations des individus qui grâce à elle sont orientées dans un sens collectif .
    - le groupement professionnel , en organisant la vie économique , permettra de faire émerger un accord sur la répartition des richesses et donc de faire apparaître : « cette loi de justice distributive si urgente » qui rendra légitime la nouvelle structure hiérarchique qui s’est mise progressivement en place au cours du XIX° . On mesure ici à quel point la problématique durkheimienne est éloignée de celle de Marx . En effet , Marx considère que , structurellement , ce qui caractérise la société capitaliste , c’est l’antagonisme de classes , qui ne disparaîtra qu’avec la révolution et l’instauration d’un régime socialiste . Dès lors , selon les marxistes , un régime corporatiste ne résout aucun problème . Au contraire , Durkheim , pensant que l’opposition de classes résultant d’un défaut de coopération peut préconiser comme solution le développement de corporations professionnelles instituant des règles . Il faut néanmoins être prudent et ne pas assimiler les corporations préconisées par Durkheim avec celles développées par les Etats fascistes en Europe au XX° ( Italie de Mussolini , Allemagne nazie, ... )

    2 - le culte de l’individu , nouveau sacré ?

    Durkheim constate que plus les sociétés deviennent volumineuses , moins les traditions prescrivent les modalités de l’action humaine . « On s’achemine ainsi peu à peu vers un état qui est presque atteint dès maintenant et où les membres d’un même groupe social n’auront plus rien de commun entre eux que leur qualité d’hommes , que les attributs constitutifs de la personne humaine en général . ( ... ) . Dès lors , la communion des esprits ne peut plus se faire sur des rites et des préjugés définis , puisque rites et préjugés sont emportés par le cours des choses , par suite il ne reste plus rien que les hommes puissent aimer et honorer en commun , si ce n’est l’homme lui-même . Voilà comment l’homme est devenu un Dieu pour l’homme et pourquoi il ne peut plus sans se mentir à soi-même se faire d’autres dieux . Et comme chacun de nous incarne quelque chose de l’humanité , chaque conscience individuelle a en elle quelque chose de divin et se trouve ainsi marquée d’un caractère qui la rend sacré et inviolable aux autres . Tout l’individualisme est là et c’est là ce qui en fait la doctrine nécessaire . ( ... ) Ainsi , l’individualiste qui défend les droits de l’individu , défend du même coup les intérêts vitaux de la société , car il empêche qu’on appauvrisse criminellement cette dernière réserve d’idées et de sentiments collectifs qui sont l’âme même de la nation . » ( Durkheim , « La science sociale et l’action » )

    Conclusion : Durkheim considère donc que dans les sociétés caractérisées par la société organique le seul dénominateur commun qui demeure , qui lie les hommes est la qualité d’homme . Dès lors la personne humaine devient sacrée ( on éprouve moins le besoin de recourir à la religion ) car faire disparaître un homme c’est appauvrir l’ensemble de la collectivité ( les sanctions les plus lourdes frappent désormais non plus les blasphèmes à l’encontre de la religion comme au Moyen-Age , les atteintes au droit de la propriété mais les atteintes à la personne humaine ) .

    CONCLUSION :

    L’étude de la division du travail nous montre qu’un même sujet peut être appréhendé de manière très différente par des auteurs qui peuvent arriver à des conclusion contradictoires :
    · les économistes libéraux ont une vision strictement économique de la division du travail dont les effets idylliques permettent de justifier l’absence de toute intervention sur la société .
    · Marx , tout en étant d’accord avec les classiques sur les bienfaits de la division du travail du point de vue de l’efficacité économique , remet en cause son application dans le cadre d’un système capitaliste qu’il considère comme fondamentalement injuste et donc condamné à terme .
    · Durkheim occupe une position intermédiaire , il constate les effets bénéfiques de la division du travail en ne se limitant pas à la sphère matérielle mais en en montrant toute la complexité sociale . En revanche , il se refuse à tout optimisme béat ( les libéraux ) ou à tout pessimisme hors de propos ( les marxistes ) pour préconiser une politique de réforme sociale renforçant la solidarité .


    SECTION II - LA MISE EN OEUVRE DU LIEN SOCIAL: LE ROLE
    D’INTEGRATION DU GROUPE ET SES REMISES EN CAUSE.

    INTRODUCTION : TYPOLOGIE DES GROUPES

    Les critères de classification des groupes sont nombreux, celui de la taille semble le plus important, on distingue alors

    · le groupe primaire (ou restreint) qui selon CH Cooley comme une association relativement permanente, et non spécialisée d’un nombre restreint d’individu unis par des relations directes et intimes, la famille en est le prototype
    · le groupe intermédiaire contribue à former le tissu social : collectivités locales (villages, quartiers urbains, relations de voisinage), groupements économiques (collectivité de travail, associations professionnelles), groupement volontaire (syndicats, partis politiques )
    · les groupes de grande envergure sont des groupements à distance dans lesquels les relations sont indirectes, médiatisées par des institutions: l’appellation groupes sociaux leur est réservée, ils forment l’armature principale de la structure sociale et sont le produit de la stratification sociale (classes, castes, élites) ou de la différenciation socioculturelle(groupe ethnique et religieux)

    mais on peut aussi distinguer les groupes en fonction de leur degré de mobilisation, on opposera alors :

    · les groupes nominaux généralement de grande taille qui correspondent à un agrégat d’individus présentant des caractéristiques similaires mais sans véritable lien.
    · les groupes mobilisés, réels ou organisés dont les membres ont pris conscience de l’intérêt commun qui les lie (ex le syndicat ou le groupe de pression.


    I – LES PRINCIPALES INSTANCES D’INTEGRATION

    Vous avez vu en première ce que les sociologues appellent les instances de socialisation, c’est-à-dire les institutions ou groupes qui transmettent la culture d’une société, ses normes et ses valeurs. Nous allons reprendre l’étude de ces instances, mais sous un angle un peu différent, pour voir non pas tant comment elles construisent l’individu en le socialisant, mais comment cette construction produit de la solidarité entre les individus d’une même société. Il y a bien sûr une multitude d’instances d’intégration, mais nous allons nous concentrer sur les principales : le travail, la famille, l’école et la citoyenneté.
    A
    - Le travail, parce qu'il donne une identité professionnelle, un revenu et des droits sociaux, est le pilier essentiel de l'intégration.

    Le travail comme activité centrale dans la société, comme activité donnant statut et rôle à l’individu, n’apparaît en tant que tel qu’au 18è siècle, selon certains philosophes comme D.Méda. Sa place sociale s’est considérablement accrue depuis cette époque et le travail est « le » moyen pour l’individu de se construire une identité professionnelle et sociale, de s’assurer un revenu, et d’obtenir des droits sociaux.
    · Le travail permet de se construire une identité professionnelle. Nous avons vu au chapitre précédent que la division du travail permet à chacun de se rattacher à un collectif intermédiaire entre la société et l’individu : le « métier », la profession, la catégorie sociale. Par le travail on peut d’une part se reconnaître des semblables, qui partagent notre profession ou notre situation économique et sociale, et d’autre part se distinguer d’autres personnes, qui exercent un métier différent, et ont donc d’autres valeurs, d’autres référence, avec qui on peut même être en conflit. Cela peut paraître paradoxal, mais un individu a besoin de ce double mouvement de différenciation et d’assimilation pour s’intégrer. L’identification à autrui nous rattache à la société, fait exister le collectif, et la différenciation nous donne une place dans ce collectif. Dans le travail, cette « place » va se caractériser par un statut social – en quelque sorte le rang du travailleur dans les différentes hiérarchies sociales (prestige, pouvoir, mais aussi richesse) – et un rôle social – c’est-à-dire l’utilité du travailleur dans l’entreprise et au-delà dans la société, ce à quoi « il sert ».
    · Le travail assure un revenu et la participation à la société de consommation. Travailler, plus précisément être actif, s’est s’assurer un revenu, qui est déjà une reconnaissance de l’utilité sociale de ce que l’on fait. En ce premier sens, déjà, le travail est intégrateur. Mais le revenu permet aussi à l’individu de consommer les biens valorisés par la société, et donc de s’y faire reconnaître. Si nous consommons tous à peu près les mêmes choses (voitures, logement, loisirs, vêtements, etc.) ce n’est pas seulement parce que ces biens sont objectivement utiles ou nécessaires, mais aussi parce qu’ils nous donnent un certain statut social. Pensez à ce que cela peut représenter en termes d’autonomie et d’identité personnelle d’acheter sa première voiture.
    · Le travail assure des droits sociaux. Les droits sociaux sont les prestations sociales constitutives de l’Etat providence dont on reparlera à la deuxième section de ce chapitre. C’est, par exemple, la possibilité d’une indemnisation pour les salariés qui se retrouvent au chômage. Ces droits sociaux matérialisent la solidarité entre les individus, et plus encore l’appartenance à la société : c’est bien parce qu’on travaille en France que l’on bénéficie d’une panoplie de droits et de prestations, qui diffèrent d’un pays à l’autre, chaque société organisant sa sphère de solidarité.
    Le travail, parce qu’il permet à l’individu d’acquérir un statut social, de disposer de revenus et d’accéder à des droits et des garanties sociales, est donc devenu un pilier de l’intégration sociale. La nécessité impérieuse (pas seulement matériellement mais aussi socialement) d’avoir un emploi, la volonté très marquée dans les enquêtes d’opinion de s’épanouir dans son travail, montrent bien que le travail n’est pas seulement une activité parmi d’autres. Le travail est plus que cela, il est fortement chargé symboliquement, autrement dit il fait partie du registre des valeurs.
    B - La famille, parce qu'elle transmet dès la naissance des normes et des valeurs, et parce qu'elle est le lieu d'activités communes, a un rôle fondateur dans l'intégration. 0[0]
    C’est dans la famille que se passe une bonne partie de la socialisation primaire des individus. C’est là d’abord que sont transmises les normes et les valeurs en vigueur dans la société. Mais la famille est aussi un réseau d’entraide et de solidarité qui contribue à la cohésion sociale.
    · La famille transmet les normes et les valeurs en vigueur dans la société. Vous avez abordé ce mécanisme de la socialisation familiale en classe de première, et vous savez comment la famille transmet le langage, les mœurs, les rôles sociaux (à commencer par ceux de parents et d’enfants !). Nous n’allons pas analyser ce processus ici, mais simplement rappeler son importance pour bien s’intégrer à la société. L’exemple de la langue est le plus parlant (si on peut dire !) : comment ne pas se sentir étranger dans une société si on n'en parle pas la langue ? Comment interagir avec les autres si on ne peut se comprendre ?
    · La famille est le lieu d’activités communes. C’est vrai évidemment pour les activités quotidiennes, comme les repas par exemple. Ces activités donnent lieu à un partage des tâches à l’intérieur de la famille, un peu comme le travail est divisé dans l’entreprise, qui organise des rôles familiaux (qui prépare le repas, qui s’occupe des tâches ménagères, des courses, des démarches administratives, etc.). Les loisirs pris en famille permettent aussi de tisser des liens de socialisation . Enfin, la famille peut aussi être un lieu d’activité économique, comme dans les familles d’agriculteurs traditionnelles ou chez les ouvriers du textile au début du 19ème siècle (les « canuts » lyonnais par exemple).
    · La famille constitue un réseau de solidarité. Il est évident que la famille implique un ensemble d’obligations et de droits réciproques permanents entre ses membres, tant sur le plan légal que sur le plan affectif. C’est notamment la relation entre parents et enfants, bien plus durable que la relation de couple par exemple, ou encore la relation entre grands-parents et petits-enfants, avec ce qu’elle implique souvent en termes d’échange de services ou de transferts financiers.Mais quel est l’impact de ces liens sur l’intégration ? Comme le travail, la famille est un « échelon intermédiaire » entre la société et l’individu, où celui-ci peut prendre place, donner du sens à sa présence parce qu’elle s’insère dans un tissu de relations de proximité. La famille est en fait un « lieu », un espace de partage où la solidarité prend une dimension concrète. La famille est souvent, pour l'individu, le premier recours en cas de « pépin », mais aussi un recours pour organiser au mieux sa vie matérielle (par exemple, la garde des enfants par les grands-parents, occasionnellement ou régulièrement).
    C - L'école transmet une culture et des valeurs partagées et rend possible l'intégration professionnelle.
    Avec la famille, l’école joue un rôle important dans la socialisation des futurs citoyens. Elle contribue donc à l’intégration sociale des membres de la société, en transmettant des normes et des valeurs, mais aussi en favorisant l’épanouissement individuel et en préparant l’entrée dans la vie active.
    · Le rôle traditionnel de l’école : la transmission d’une culture commune. L’ « école républicaine », celle qui s’est construite au cours de la 3è République, en particulier avec les lois de Jules Ferry rendant la scolarité obligatoire, est d’abord celle qui a comme objectif de « fabriquer des bons français ». Elle a imposé la langue française au détriment des langues régionales de manière très systématique (et vous savez depuis la classe de première combien la langue est un élément essentiel de la culture d’une société). Elle a valorisé la science et la raison, et à travers elles, l’idée d’une culture universelle dépassant les particularismes religieux. Elle a diffusé tout un ensemble de valeurs patriotiques (les grandes dates de l’histoire de France, les « grands hommes », le drapeau français, la Révolution française, etc) qui ont contribué à construire réellement la Nation française : les enfants, une fois passés par l’école, avaient à la fois une langue, des références culturelles et des racines historiques communes, quelle que soit leur origine sociale, régionale, religieuse ou ethnique. On mesure à quel point ce fonctionnement était en effet intégrateur.
    · La préparation à la vie active. L’école prépare à l’entrée dans le monde du travail en dispensant des qualifications et en les validant par des diplômes. On retrouve dans cette fonction utilitaire de l’école un peu la même fonction intégratrice que la division du travail : donner une place à chacun en lui donnant une identité professionnelle. Le diplôme, c’est la reconnaissance de capacités et donc d’une sorte « d’utilité sociale », mais c’est aussi le début de l’appartenance à un monde professionnel.
    · La construction des individus. L’école doit permettre à l’enfant de développer sa personnalité, de s’épanouir, donc de construire son identité personnelle, par définition différente de celle des autres enfants. Cela peut paraître paradoxal de dire que la construction de l’identité individuelle concourt à l’intégration sociale, mais le paradoxe n’est qu’apparent. Emile Durkheim avait déjà souligné que l’individu était nécessairement une construction sociale : ce n’est que dans un cadre social, par opposition avec les autres et plus généralement dans l’interaction avec les autres que l’on peut affirmer une personnalité propre.
    l’école rencontre aujourd’hui des difficultés dans sa mission intégratrice, mais ces difficultés, largement évoquées dans les médias, ne doit pas conduire à sous-estimer le rôle de l’école dans la cohésion sociale. Le développement de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, le prolongement et la démocratisation des études font que le poids de l’école dans le processus d’intégration s’est considérablement renforcé au cours du 20ème siècle.
    D - Par la citoyenneté, les individus sont reconnus comme membres de la nation, disposant de droits et de devoirs identiques.

    La citoyenneté, que nous allons commencer par définir, joue aussi un rôle non négligeable dans l’intégration.
    · Qu’est-ce que la citoyenneté ? La citoyenneté est d’abord politique. On peut dire que c’est la capacité à être membre d’une communauté politique et, à ce titre, à participer à la prise des décisions. Ces décisions sont celles qui concernent la vie en société et en particulier la façon de régler les conflits surgissant entre les membres de la société. La citoyenneté s’exerce au travers d’un certain nombre de droits (égalité juridique des citoyens, droit de vote, etc…) et de devoirs (défense du pays, financement des dépenses collectives, etc).
    · En quoi la citoyenneté est-elle intégratrice dans une société démocratique ? Chaque citoyen, au-delà de toutes les différences qu’il peut avoir avec les autres citoyens, est dépositaires d’une parcelle de légitimité. A ce titre, il dispose des mêmes droits et devoirs que les autres, et il est appelé à les exercer concrètement. C’est cette égalité entre les individus et l’implication dans le gouvernement de la société qui est intégrateur. La Nation se veut intégratrice de ses membres au-delà de leurs différences religieuses, ethniques, ou de genre (homme/femme). Elle transcende donc tous les particularismes au nom des valeurs universelles (égalité, démocratie, liberté). Enfin, pour conclure, on peut remarquer que si l’exercice traditionnel de la citoyenneté politique semble aujourd’hui en déclin, il y a sans doute des formes nouvelles d’exercice de cette citoyenneté : quand on voit le nombre d’associations s’accroître, le nombre de gens qui s’impliquent bénévolement, par exemple, dans les Restos du Cœur, on peut penser qu’il y a là de nouvelles formes de participation, qui sont essentiellement politiques
    II- LA FAMILLE : UN GROUPE REGULATEUR EN CRISE OU EN ADAPTATION CONTINUELLE ?(8 à 10 p 241-242)

    INTRODUCTION

    Martine Segalen introduit son livre sociologie de la famille ainsi :
    · Les a priori de nos jugements concernent la famille contemporaine, référée à une famille mythique, plus « sentie » que véritablement analysée ou connue. La presse, la télévision répercutent les mêmes clichés : « famille en miettes », « dépérissement de la famille », « famille assistée », « ébranlement contemporain de la famille » etc... qui accentuent l'association entre « famille » et « crise ».
    · Résumons ici les principales formulations de ce thème qui seront analysées au long les divers chapitres. La famille contemporaine s'est rètrècie, repliée sur le couple. cessant d'être lieu de production, elle n'est plus que lieu de consommation. Elle l'assure plus les fonctions d'assistance dont elle se chargeait autrefois : le soin aux vieillards, la garde des malades ou l'hébergement des fous etc... Les fonctions qu'elle conserve, comme la socialisation des enfants, sont partagées avec d'autres institutions. En outre, cette famille « insulaire » n'entretient plus guère de relations avec les autres cellules familiales. Celles-ci se sont « appauvries », et en disant cela, on se réfère implicitement à une époque passée où elles étaient « riches ». Dans cette représentation, la cellule familiale, objet de manipulation de la part des institutions sociales, apparaît faible.
    · Un autre discours lui reconnaît au contraire une formidable puissance dans la mesure où elle se fait refuge, lieu privilégié de l'affectivité. Le couple, et secondairement les enfants, y investiraient tous les sentiments qui ne peuvent s'exprimer dans une société déshumanisée. Toute la chaleur des relations sociales, qui, autrefois enveloppait de nombreux parents, voisins et amis, serait désormais concentrée sur le foyer conjugal et , les proches parents.
    · La contradiction entre les deux discours est patente : famille en crise d'une part, famille détentrice d'un pouvoir exorbitant d'autre part : celui de détenir toute la puissance affective dans une société qui en est chiche. Selon un mot relevé par une sociologue enquêtant auprès de familles parisiennes : « La famille va mal, mais ma famille va bien ».
    · Y a-t-il véritablement « crise » de la famille? Ces discours ne manquent-ils pas leur objet, ne maquillent-ils pas une crise de la société ?
    · Une façon de démystifier ce discours est de reconnaître dans un premier temps qu'il n'est pas nouveau. Tout au long du XIXe siècle, ce thème est récurrent. L'industrialisation attirait dans les villes des masses d'ouvriers dèculturés et prolétarisés; le nombre d'abandons d'enfants, de naissances illégitimes va alors s'accroître ainsi que la délinquance des jeunes. L'instabilité familiale des classes prolétariennes inquiète les classes dominantes qui souhaitent réaffirmer le pouvoir de la famille, restaurer l'autorité patriarcale comme l'autorité monarchique, faire de la famille un agent de moralisation de la classe ouvrière.
    SOURCE : M Segalen, sociologie de la famille, A Colin, 1981.

    Le discours sur la famille mêle sans toujours s’en rendre compte les paradoxes et les contradictions :
    · d’un premier point de vue qui remonte au début de la révolution industrielle la famille est en crise, elle s’est coupée de la communauté, elle a perdu la majorité de ses fonctions, elle s’est donc appauvrie. Dés lors cela peut déboucher sur deux discours contradictoires :
    - selon certains elle ne sert plus à rien, elle est condamnée à disparaître sous sa forme actuelle, il faut réinventer une famille différente.
    - Au contraire selon d’autres il faut revenir au modèle familial traditionnel (lequel ? ) car la famille est la cellule de base de la société ; la crise de la famille équivaut alors à la crise de la société.
    · d’un second point de vue la famille demeure aujourd’hui le seul point d’ancrage d’une société en crise. Les individus investissent énormément dans la famille :
    ·
    - Selon un sondage la croix la famille est la valeur la plus importante (58 % des personnes interrogées loin devant l’argent (6 %) la réussite (5 %).
    - Selon P Broussard (le monde du 25 09 1994) : « Les adolescents ces 6 millions de 13 - 20 ans dont on prétend qu’ils ne croient plus en rien, considèrent bien la famille comme le plus sûr des refuges, contre les bourrasques de l’époque. Par gros temps, elle demeure le seul point d’ancrage qui vaille, un îlot d’affection et de sécurité »

    A - LA FAMILLE EN CRISE ?

    1 - UN CONSTAT.

    a - les faits.

    Constat : Comme l’indique F Aballea Jusqu’aux années 70 un modèle caractérise les sociétés industrielles:
    · jeune âge au mariage des conjoints (24,5 pour le hommes en 72)
    · nombre d’enfants assurant le renouvellement des générations(supérieur à 2.1 enfants par femme)
    · taux de divorces faibles.

    Une remise en cause de la norme traditionnelle ? :
    · Par rapport à ce modèle familial considéré comme la norme , la maternité solitaire, le concubinage, le divorce sont considérés comme déviants. D’ailleurs les politiques d’aide aux familles au logement ont été conçues par rapport à ce modèle.
    · Mais à partir des année 70 tous les pays européens quelque soit leur culture, leur tradition, leur religion connaissent une rupture. Le modèle dominant semble alors entrer en crise:

    Constat :
    · l’âge moyen au mariage augmente pour les deux sexes (passant de 24.5 à 30 ans pour les hommes en 2000)
    · l’indice synthétique de fécondité s’effondre passant de 2.6 enfants par femme à moins de 1.7 aujourd’hui
    · le taux de naissances hors-mariage passe de 6% en 67 à 40.7% en 2000
    · le taux de nuptialité chute ( de 7,8 pour 1000 en 70 à 5.2 pour 1000 en 2000 )
    · la part des couples qui cohabitent hors mariage passe de 3.6% en 1970 à 17.2% en 2000.
    · le taux de divorce est multiplié par 3 en trente ans (de 11.8% en 1970 à 39% en 1999)
    · le taux de célibat chez les 25-49 ans passe de16.8% à 40.7% en 2000 pour les hommes
    · la part des ménages d’une personne s’accroît de 20 % en 68 à 30.8 % en 2000.
    · La part des familles monoparentales passe de 9 % en 68 à 13 % en 90 et 20.2% en 1999

    Conclusion : Le cercle des familles se rétrécit, et l’instabilité des couples atomise de plus en plus de foyers

    b - les déterminants.

    On peut donc selon de nombreux auteurs parler de crise de la famille, elle résulte de déterminants diverses mais convergents :
    · Cette crise de la famille semble s’inscrire dans un mouvement général de sécularisation et de privatisation de la vie conjugale et de dénégation de la légitimité de toute autorité à légiférer en matière de rapports personnels.
    · elle est en cohérence avec l’état d’une société caractérisée par le salariat, donc la perte de fonctions économiques et patrimoniales de la famille ( cf. la thèse de Talcott Parsons).
    · Elle résulte aussi de la perte d’influence de la famille dans les processus de socialisation des enfants avec le développement du système éducatif .
    · Elle reflète enfin la montée de l’individualisme, l’exacerbation de l’autonomie des personnes et de l’égalité des sexes, la contestation de l’autorité.

    Mais cette crise de la famille n’est pas sans avoir des effets sur l’intégration des individus dans la société.

    2 - LES REPERCUSSIONS

    a - l’analyse durkheimienne

    On peut reprendre l’analyse de Durkheim dans laquelle la famille occupe une place essentielle dans le processus d’intégration des individus dans la société.
    Le concept d'intégration va servir de fil directeur à l'explication de ces résultais, et la famille va fournir à Durkheim le modèle réduit de la société. La famille protège du suicide, puisque les gens mariés se suicident moins que les personnes seules, célibataires. veuves ou divorcées. Mais le lien lui même entre un homme et une femme n’est pas l'essentiel. Tout tient à la taille de la famille, comme le montre un dossier copieux de statistiques complémentaires. Famille nombreuse, famille solide, famille solidaire, famille cohérente, voilà le noyau de l'intuition durkheimienne : la
    famille relie fortement les uns aux autres les individus qui la composent. Elle les intègre, et, du même coup, les protège. L'intégration est une fonction fondamentale, au sens biologique de ce terme. Une société, et il peut s'agir pour Durkheim aussi bien d'une famille, d'une nation, d'une religion, d'un village, n'existe que dans la mesure où elle maintien: son unité contre les différences .individuelles. Et une société protège d'autant plus du suicide qu’elle est plus cohérente
    SOURCE : C Baudelot et R Establet, le suicide , l’évolution d’un fait social, économie et statistiques , 1984.
    Durkheim considère que
    · la famille protège du suicide,
    · que plus la taille de la famille croit, , plus la solidarité entre ses membres se développe.
    · Les individus étant reliés les uns aux autres sont intégrés et du même coup protégé du suicide.

    Conséquence :
    · « Inquiet des conséquences sociales de l’individualisation croissante , Durkheim défendra l’idée d’une institution forte et s’engagera contre le projet de loi sur le divorce par consentement mutuel. Le sociologue estime que si l’institution matrimoniale est un contrat entre deux individus libres, elle est aussi une institution qui échappe en partie aux décisions des conjoints. L’adoption du projet de divorce par consentement mutuel mettrait en péril la stabilité de l’institution matrimoniale et, au-delà, du lien social » (F de Singly)
    · Dés lors , une lecture durkheimienne de la situation actuelle amène à penser que la déstructuration que connaît l’institution familiale va entraîner une perte de lien social , qui détermine un risque d’isolement des individus .

    b -rupture du lien familial et exclusion .

    Comme l’indique C Martin dans « l’exclusion : l’état des savoirs » : « la rupture familiale contribue au risque d’exclusion :
    · non seulement du fait de l’appauvrissement qu’elle engendre,
    · 0mais plus fondamentalement encore du fait de l’isolement , de la perte de sociabilité, de soutien et d’intégration qu’elle provoque.
    · Ne pas appartenir à un tissu de relations familiales, à un réseau de sociabilité et de solidarité privée est ainsi construit comme un risque : un risque solitude en quelque sorte » .

    Constat : Ce risque solitude s’accroît :
    · avec l’âge,
    · avec l’insuffisance des moyens matériels (un tiers des familles monoparentales font l’objet de mesures de revenu minimum , elles représentent 8 % de la population mais 20 % des bénéficiaires du RMI, les personnes seules représentant quant à elles 60 % des bénéficiaires ),
    · avec la perte du réseau familial

    Conclusion : il joue donc comme un cumul de handicaps .

    B - UNE CRISE A RELATIVISER

    La crise de la famille qui fait aujourd’hui les gros titres des journaux en particulier en raison de la démission des parents qui serait à l’origine de la violence des jeunes doit être relativisée . En effet :
    · le réseau d’entraide familial n’a jamais été aussi vivace ,
    · les processus de déstructuration des familles sont accompagnés de processus de recomposition ,
    · enfin le célibat , la famille monoparentale peut résulter d’un choix qui ne se traduit pas toujours par une perte du lien social.

    1 - UN RESEAU FAMILIAL BIEN VIVANT .

    Contrairement à ce qu’affirmait Parsons en 1955 :
    · l’évolution économique n’a pas fait disparaître la famille élargie en l’isolant de son réseau de parenté.
    · Bien au contraire il semble que la solidarité familiale joue à plein en temps de crise :
    - une personne de plus de 60 an sur trois aide financièrement son entourage familial.
    - Les grands-parents assurent ainsi une fonction redistributrice, et se substitue à la défaillance des mécanismes de protection sociale.
    - Les grands-parents se consacrent aussi à la garde des petits enfants (un tiers des enfants de moins de trois ans sont gardées par les grands-parents) .
    - Le réseau de parenté constitue donc un groupe intermédiaire qui a 2 fonctions essentielles :
    une fonction de protection : la parenté protège l’individu contre les risques de la vie sociale, en apportant une aide financière , une disponibilité en temps
    une fonction d’insertion dans laquelle la parenté se mobilise en faisant jouer son capital relationnel afin d’insérer l’individu dans l’environnement social en lui trouvant un travail , un logement

    Remarque : On assiste à :
    · un développement de ces solidarités familiales depuis le début des années 80 , avec la crise de l’Etat-Providence qui a tendance aujourd’hui à désinvestir le social en se reposant sur les solidarités familiales .
    · Mais cette évolution n’est pas sans risques . :
    - En effet , on constate que plus le niveau de vie est élevé , plus les aides à la parenté sont variées et fréquentes .
    - On risque donc d’observer un accroissement des inégalités si l’Etat se désinvestit trop ; les familles les plus fragiles ( ouvriers , employés ) ayant la plus forte probabilité d’avoirn de leurs membres frappés par le chômage ou l’exclusion et n’ayant pas les moyens financiers d’assumer cette charge .

    2 - LA RECOMPOSITION DES FAMILLES.

    · Selon H Tincq : « les divorces sont trois fois plus nombreux aujourd’hui qu’au début des années 60. (Mais) après le divorce on se remarie ou, le plus souvent, on cohabite. Cela donne les fameuses familles recomposées c’est à dire les situations d’après divorce quand le couple est multiplié par deux et que les enfants ont deux foyers de référence.
    · Comme l’explique M Segalen « plutôt que soustraction, il y a alors abondance de parents. L’enfant ne dispose plus d’un père mais de deux pères, un père biologique et un père social » ».

    Conséquences : On peut donc dire que la famille semble faire preuve d’une certaine capacité d’adaptation et d’inventions de nouveaux modèles.

    Constat : On constate d’ailleurs d’après V de Galejac que: « l’augmentation du célibat :
    · dont on peut mettre en avant avec raison les aspects désocialisants ,
    · suscite aussi dans certains cas l’invention d’autres formes de familiarité. De nouvelles tribus se constituent de femmes seules , de jeunes. »

    3 – L’INVENTION DE NOUVELLES FORMES FAMILIALES

    Au moment où on observe un développement des divorces , un effondrement de la fécondité ( d’ailleurs à relativiser d’après Le Bras ) , on constate symétriquement l’invention de nouvelles formes familiales :
    · la question de la filiation est aujourd’hui débattue :
    - jusqu’à une époque récente , les droits et les devoirs qui y étaient rattachés relevaient du mariage qui confondait le lien biologique et le lien social .
    - Les filiations sont aujourd’hui dissociées puisqu’on peut être élevé par le compagnon de sa mère ; certains pères sociaux militent donc afin de voir reconnu dans la loi un lien avec les enfants qu’ils ont élevés .
    - En même temps , le développement des techniques de la reproduction assistée et les progrès de la biologie ouvre des débats sur la filiation qui ne sont pas véritablement tranchés
    · la question du couple évolue aussi :
    - l’impossibilité de former certains couples est vécue comme une injustice ( cas des homosexuels ) ;
    - les catégories touchées par cette exclusion ont donc revendiqué une reconnaissance de leur vie de couple par un contrat auquel seraient associés des droits fiscaux , d’héritage , de responsabilité mutuelle .

    Le PACS une solution ? : Le PACS qui vient d’être adopté est moralement révolutionnaire et oppose 2 conceptions antinomiques de la famille :
    · la première considère que :
    - la famille est une structure à composition fixe qui joue un rôle essentiel de reproduction sociale et qui doit donc être protégée contre la tendance des individus à vouloir s’émanciper de leurs devoirs
    - Les partisans de ce courant considèrent que le PACS ne va faire qu’aggraver la crise de la famille et risque , à terme , de mettre en danger la relation de filiation , si les familles pacsées obtiennent , comme certains le demandent , le droit à l’adoption conjointe et à l’assistance à la procréation
    · le second courant considère :
    - au contraire , que la désaffection à l’égard de la famille et les multiplications des formes familiales sont les symptômes d’une crise de la famille que l’on doit prendre en compte et à laquelle on doit apporter des solutions sous peine de voir la société déstabilisée .
    - Pour les tenants de ce courant , le PACS n’est que la reconnaissance légale d’une situation de fait .

    4- LE CHOIX DE LA VIE SOLITAIRE.

    La solitude n’est pas toujours subie elle peut aussi résulter de la part des individus d’un choix qui ne se traduit d’ailleurs pas alors, par une perte de lien social mais par l’invention de nouvelles formes de lien social . C’est en particulier le cas des femmes pour qui l’isolement est le moyen privilégiée pour réussir une vie professionnelle :
    · On constate en effet que le taux de célibat augmente pour les femmes quand on s’élève dans la hiérarchie socioprofessionnelle : il passe de 4.5 % pour les agricultrices à 15 % pour les cadres supérieurs.
    · La situation est inversée pour les hommes .

    Selon JC Kaufmann :
    · « les femmes qui refusent l’ancienne stratégie matrimoniale de la réalisation de soi par l’intermédiaire du mari concentrent leurs efforts sur la conquête d’un emploi valorisant nécessitant de repousser les engagements familiaux. »
    · Cela peut être risqué quand le prix à payer pour la réussite professionnelle se traduit par un isolement durable d’autant plus sensibles que les amis entrent en couple et ont des enfants .
    · Mais « l’investissement dans le travail peut représenter une atténuation du risque d’isolement en ouvrant la perspective de l’insertion dans le monde du travail. Alors que le statut de mère au foyer peut aboutir au confinement dans un réseau restreint de relations, se traduisant en risque social en cas de séparation conjugale et en développement du sentiment de solitude ».


    CONCLUSION :

    Parler aujourd’hui de crise de la famille comme un fait accompli n’est pas aussi évident que l’on pouvait a priori le penser :
    · Certes les indicateurs démographiques sont dans le rouge , certes les signes d’un trouble profond se multiplient. Mais la famille apparaît plus que jamais comme la valeur de référence, au plan individuel comme au plan collectif. Nous assistons aujourd’hui à la disparition d’un modèle (celui qui a domine durant les trente glorieuses) ,
    · mais le nouveau modèle qui est en train de se construire n’a pas encore imposé sa cohérence. Ces flottements se traduisent donc par la recherche de nouveaux équilibres .
    · On retrouve alors le véritable sens du terme crise qui correspond pour reprendre les termes de Schumpeter un processus de destruction créatrice :
    - aujourd’hui nous vivons une période de remise en cause d’un modèle qui n’apparaît plus adapté aux évolutions de la sociétés ,
    - et les individus inventent , par un processus de tâtonnements comportant des essais et des erreurs de nouvelles formes familiales qui se substitueront à celles qui existent .


    III - VERS UNE SECULARISATION DE LA SOCIETE ?

    INTRODUCTION : UN VILLAGE BRETON EXEMPLAIRE

    Exemple de compréhension : Y Lambert a étudié un village breton (Limerzel)qui est caractéristique de la civilisation paroissiale :
    · le catholicisme y constitue un système totalisant d’attitudes et de certitudes à la fois religieuse morales , sociales et politiques inculquées dés l’enfance dans la famille à l’église, à l’école . Comme le dit Y Lambert : « la paroisse a souvent été une institution locale totale qui ne se contentait pas du soin des âmes mais qui encadrait toute la vie des individus dans un lieu donné ».
    · Le catholicisme y fournit les repères qui ordonnent toute la vie quotidienne, qui règlent les relations entre hommes et femmes, entre dominants et dominés , et qui définissent le rapport au travail , à la vie , à la souffrance , à la mort.
    · Le catholicisme y unifie la société villageoise, la met en ordre fait que chacun reste à sa place . C’est une religion de la crainte et de la miséricorde accordée au pécheur repentant. L a fidélité religieuse est vécue sous le contrôle vigilant du clergé à la fois comme la condition d’accès au salut après la mort, et comme le moyen de réussir sa vie , d’écarter les maux et d’attirer les faveurs du ciel sur les récoltes , la famille , la santé.

    Conclusion : On comprend dés lors que dans ce contexte la pratique religieuse soit très élevée ,avant 1930, chaque dimanche l’église est pleine comme un oeuf . Mais en 1930 et 1958 cette civilisation paroissiale s’écroule.

    A - UNE CRISE DU RELIGIEUX

    Constat : Cette crise du religieux est observable à plusieurs niveaux :
    · le taux de pratique religieuse s’est effondré: aujourd’hui seuls 10 % des hommes et 16 % des femmes ont une pratique religieuse régulière, la pratique occasionnelle tourne autour de 2O % . La pratique est d’autant plus faible que l’âge diminue : 21 % des 60 ans et plus ont une pratique régulière 8 % des 25-39 ans
    · Les églises se vident donc , en un certain sens on pourrait dire heureusement car l’église doit faire face à une crise des recrutements et n’aurait pu assumer la charge qu’elle supportait dans les années 30 .En effet le nombre d’ordination de prêtre n’a cessé de chuter passant de 1000 par dans les années 50 à une centaine durant les années 80-90.

    Conséquence : L’institution est donc en crise :
    · la population n’accepte plus d’être encadrée par des prêtres qui déciderait à sa place quelle doit être la conduite à suivre dans tous les domaines de la vie.
    · Un nombre croissant de français considère que l’église ne doit pas se mêler comme elle le fait de questions qui relèvent de la conscience individuelle .

    Conclusion : Peut on dire pour autant que l’on assiste comme le pensait A Comte à une sécularisation de la société et que les prêtres devenus inutiles vont être remplacés par des savants ?

    B - OU UNE REDEFINITION DES CROYANCES ?

    Il semble que la vision qui a été donnée plus haut doive être relativisée sur plusieurs points :
    · Contrairement à l’exemple du village breton qui a été donnée dans l’introduction , de nombreuses régions françaises n’ont jamais été christianisés en profondeur . :
    - Ce sont les régions que le chanoine Boulard appelle pays de mission .
    - Ces régions ont donc été les premières à perdre les signes d’appartenance religieuse dés que le pouvoir de contrainte de l’église a été limitée .
    - On ne donc peut véritablement pas parler de déchristianisation. Ceci relativise l’image traditionnelle uniforme de la France fille aînée de l’église .
    · On assiste à une situation paradoxale :
    - Seuls 10 % des français sont pratiquants réguliers ,
    - mais 67 % des français se déclarent catholiques, une majorité important est baptisée et est enterrée religieusement.
    - 23 % seulement se déclarent sans religion .
    - Comme l’indique F Champion : « l’appartenance religieuse constitue un point d’attache historique et un héritage familial à transmettre ».
    · Les Français sont donc majoritairement croyants mais ils vivent différemment leur croyance :
    - ils ne veulent plus d’une religion publique , ils vivent la croyance sur un mode privé sans les contrainte imposées par l’institution .
    - F Champion écrit « tout se passe comme si le christianisme avait cessé d’être un système globalisant et unifié, à prendre en bloc, pour devenir un ensemble de pièces détachées, offert aux libres compositions personnelles, aux adhésions sélectives à un nombre limité de croyances, de pratiques, de prescriptions. Ce système de religion à la carte signifie le refus d’une institution régulatrice des pratiques et des croyances, le refus d’une orthodoxie, au profit du principe de la souveraineté individuelle. »

    Conclusion : On assiste non pas à une fin du religieux , mais bien au contraire à un développement des croyances parallèles qui selon Y Lambert ont les caractéristiques suivantes :
    · elles sont libres,
    · individuelles ,
    · diffuses,
    · subjectivement articulées à la science (astrologie, télépathie, vie extraterrestre)
    · plutôt immanentes,
    · non culpabilisantes
    · et d’orientation mondaine y compris dans leur rapport à l’au-delà ».

    Conséquences : Face au développement de ces croyances la catholicisme a été obligé d’évoluer sous peine d’être marginalisé ( par exemple l’église soutient le développement des mouvements charismatiques, avec tous les risques de dérapage qu’ils comportent )

    IV- UNIVERSALISME, COMMUNAUTARISME ET COHESION SOCIALE : DE QUI DOIT-ON ETRE SOLIDAIRE ?
    Un autre défi auquel doivent faire face les sociétés modernes est la montée du communautarisme : la nécessité du lien social ne semble plus aller de soi aujourd’hui, et il y a une tendance à se replier sur la communauté ethnique ou religieuse, la région, ou même sur la sphère privée (soi-même, la famille). Alexis de Tocqueville avait déjà envisagé ce repli des individus sur des appartenances intermédiaires et le délitement du lien politique et social national dans les sociétés démocratiques modernes. Nous allons tenter d’expliquer cette mutation et d’en montrer les dangers potentiels.
    · Le modèle de l’individualisme universaliste. Le modèle de cohésion sociale qu’appliquent les sociétés modernes est fondamentalement basé sur l’individualisme. En effet, il s’est construit sur la fin des solidarités intermédiaires (famille, religion, ethnie, territoire, …), affaiblies par les mutations sociales comme l’urbanisation, la déchristianisation, la réduction de la taille des familles. Le développement d’un lien politique national, d’une culture et d’une protection sociale nationales a renforcé ce mouvement d’individualisation en même temps qu’il s’appuyait dessus. Tout se passe comme si aujourd’hui le lien social se tissait directement entre l’individu et l’ensemble de la société représenté le plus souvent par l'Etat ou les Adminsitrations publiques, ce qui permet d’un point de vue positif d’émanciper la personne des vieilles attaches issues de la société traditionnelle. Il y a aussi une forme de rationalisation de la solidarité, dont on recherchera l’efficacité et dont on discutera les buts. On est dans ce qu’on appelle un individualisme universaliste : « individualisme » parce qu’on met en avant les droits individuels, « universaliste » parce que ces mêmes droits sont reconnus à tout le monde.
    · Les limites d’un universalisme trop abstrait. L’inconvénient de ce modèle de solidarité est qu’il débouche sur une pratique « froide » du lien social, parce qu’anonyme et administrative. Les prestations sociales, par exemple, ne s’accompagnent certainement pas d’autant de chaleur humaine, de liens affectifs, que l’entraide familiale ou de voisinage. De même, quand on paie ses cotisations sociales ou ses impôts, on fait un acte de solidarité, mais qui peut ne plus être perçu comme tel, ni par soi, ni par ceux qui en profitent, parce qu’il passe par l’interface de la Sécurité Sociale ou de l’Etat. A la limite, cette anonymisation du lien détruit le sentiment de solidarité parce que les individus se sentent dispenser personnellement du devoir d’entraide dès lors qu’il est assumé collectivement. Ce mouvement est renforcé aujourd’hui par l’affaiblissement des identités nationales dans un contexte de paix durable (les conflits aident à « souder » les communautés nationales !) et de mondialisation économique et culturelle.
    · Le communautarisme et la recherche d’un lien social moins abstrait. A l'opposé du mouvement d’universalisation et de rationalisation du lien social que nous venons d’évoquer, on constate aussi une tendance inverse de reconstitution de liens communautaires, basés sur l’appartenance, sur l’identification de l’individu à un groupe intermédiaire. On trouve ainsi, par exemple, des médias de type communautaire (« Pink TV », « Filles TV »). Vous avez aussi entendu parler des revendications régionalistes (Corse, Pays Basque, Lombardie, …) : utilisation de la langue régionale comme langue administrative ou langue d’enseignement (ce qui discrimine évidemment ceux qui ne sont pas originaires de la région), autonomie financière qui remet en cause la redistribution fiscale entre régions et donc la solidarité nationale. Le développement des signes d’appartenance religieuses ostensibles (on pense bien sûr au voile, mais ce n’est pas le seul exemple) est également l’indice d’une montée du communautarisme religieux. Ces mouvements peuvent être vus comme l’expression d’une forme d’individualisme : les individus affichent leurs particularités pour marquer leur autonomie vis-à-vis de la société (c’est surtout vrai pour les identités minoritaires). En ce sens on peut parler d’individualisme communautaire. Mais ce sont aussi des formes de lien social moins abstraites, peut-être aussi plus spontanées, et qui tissent souvent des solidarités de proximité. Il est par exemple plus facile de se fabriquer une identité en marquant son appartenance à un groupe clairement différencié des autres. Et des mouvements de solidarité de voisinage (en cas de catastrophe naturelle par exemple) sont plus ressentis comme des gestes personnalisés.
    · Mais le communautarisme peut déboucher sur une remise en cause de la cohésion sociale. Le communautarisme menace le lien politique, car si on cultive les différences entre les groupes constituant la société, on met forcément à mal l’idée de citoyenneté qui se fonde justement sur les points communs et non les différences entre individus. Dans les cas extrêmes, on peut arriver à ce que les groupes aient des représentations politiques distinctes. Un autre danger du communautarisme est qu’il peut limiter l’ampleur de la solidarité en la réservant au groupe (un parti politique français demande par exemple des systèmes de sécurité sociale séparés pour les immigrés et les Français).
    V- LA MONTEE DE L'INDIVIDUALISME REND PLUS DIFFICILE LE FONCTIONNEMENT DES INSTANCES D'INTEGRATION SOCIALE. ]
    Tout le monde semble s’entendre aujourd’hui pour dire que les sociétés modernes sont individualistes – on dit même parfois que la civilisation occidentale a « inventé » l’individualisme. Mais la signification exacte de cette montée de l’individualisme n’est pas toujours très claire. De même, on convient généralement de ce que cet individualisme menace la cohésion sociale, mais sans préciser par quels mécanismes. C’est donc à ces questions que nous allons essayer de répondre maintenant. Nous montrerons aussi que l’individualisme n’est pas forcément un phénomène négatif, même du point de vue de l’intégration sociale.
    · Les liens familiaux fragilisés par l’individualisme. La réduction de la taille des familles, conséquence des divorces et du plus petit nombre d’enfants, diminue de manière mécanique le nombre de personnes avec qui l’individu a des liens familiaux. Cela signifie que la solidarité familiale sera limitée à un nombre réduit de personnes. La diminution du nombre de mariages et la hausse des naissances hors mariage montrent aussi ce qu’on peut appeler une désinstitutionnalisation de la famille : elle est de moins en moins une institution normée (toutes les familles ont les mêmes formes), et repose de plus en plus sur les choix des individus. Rester ensemble ne va plus de soi, et le lien familial est plus fragile. La socialisation et le contrôle social qu’exerçait la famille, c’est-à-dire transmettre des normes et des valeurs et veiller à leur respect, sont plus difficile à exercer, parce que, dans une société individualiste, la tolérance et l’épanouissement personnel sont devenu primordiaux.
    · L’école face aux comportements calculateurs. Nous avons vu plus haut le rôle de l’école dans la construction d’une culture commune. Mais du fait de l’importance du diplôme dans l’accès à l’emploi, les familles développent des stratégies scolaires vis-à-vis des diplômes : choisir la bonne filière, le bon lycée, la bonne option, la bonne université, etc. Le calcul l’emporte de plus en plus sur le rapport gratuit à la culture : l’élève veut bien travailler, mais à condition que « ça rapporte ». Ces comportements sont compréhensibles dans la mesure où l’accès à l’emploi est de plus en plus difficile, mais ils vont à l’encontre de certains objectifs de l’école. L’égalité des chances, par exemple, est remise en cause par la différenciation précoce des parcours scolaires. De même, la diffusion d’une culture commune est parfois sacrifiée au profit de l’acquisition de compétences « utiles » pour le cursus scolaire et l’intégration professionnelle.
    · L’engagement citoyen est confronté aux calculs d’intérêt. La crise de la citoyenneté politique, qui se manifeste surtout par le développement de l’abstention, peut être analysée comme une conséquence de l’individualisme. Dans une société ou les individus ont accès à un certain confort matériel, les citoyens sont moins intéressés par les affaires publiques, qui ne les concernent pas directement. Déjà au 19ème siècle, Alexis de Tocqueville prédisait que la démocratie serait un jour confrontée à l’indifférence des citoyens : est-on en train de vivre ce phénomène ? Il faut d’ailleurs le rapprocher du comportement de « passager clandestin » qu’on a étudié dans le cas des conflits sociaux . Cependant, l’individualisme n’est pas l’égoïsme, et il n’est pas forcément négatif. Dans le langage courant, on tend parfois à assimiler l’individualisme et l’égoïsme, mais c’est abusif. Alors que l’égoïsme est le fait de faire passer avant tout son intérêt personnel, l’individualisme consiste en un développement dans la société des droits et des responsabilités individuelles, favorisant l’initiative et l ‘indépendance des individus. Mais on peut être individualiste et altruiste, si l’on se soucie des autres par une inclination de sa propre volonté, pas au nom d’un devoir social. De plus, la montée de l’individualisme n’est sans doute pas aussi dangereuse qu’on veut parfois le croire. Par exemple, les liens familiaux, s’ils se transforment, restent souvent extrêmement vivaces : les liens intergénérationnels sont encore très forts, l’enfant devenant une valeur centrale de la famille. Ils se développent même avec l’allongement de l’espérance de vie des grands-parents. De même, si la participation politique décline, l’investissement citoyen reste fort mais sous des formes renouvelées, notamment dans des associations humanitaires dont le caractère politique est évident.
    · On le voit, si la montée de l’individualisme complique beaucoup la mécanique de l’intégration sociale, c’est sans doute surtout parce qu’il l’oblige à s’adapter à une nouvelle mentalité, à de nouvelles valeurs.


    SECTION III - VERS UNE RUPTURE DU LIEN SOCIAL ?

    INTRODUCTION : EXCLUSION - PAUVRETE - MARGINALITE – DEVIANCE SONT-ILS SYNONYMES ?

    Comme l’indique S Paugam dans l’exclusion : l’état des savoirs : « En France l’exclusion est devenue au cours des dix dernières années, une notion familière presque banale, tant il en est question dans les commentaires de l’actualité , dans les programmes politiques et dans les actions menées sur le terrain (...). L’exclusion est désormais le paradigme à partir duquel notre société prend conscience d’elle-même et de ses dysfonctionnements, et recherche, parfois dans l’urgence et la confusion des solutions aux maux qui la tenaillent. La communauté scientifique peut ,à juste titre, relever le caractère équivoque de cette notion si diffuse qu’elle en perd toute signification et souligne les incohérences du débat qu’elle suscite ». Il semble que cette citation résume en partie toutes les difficultés à définir le terme exclusion :
    · c’est un mot d’usage récent :
    - il apparaît dans les année 60 pour caractériser la situation d’une population identifiée comme faisant partie du quart-monde qui malgré la forte croissance économique des années 60 n’arrive pas à s’intégrer au modèle de consommation qui se développe alors .
    - Puis ce terme disparaît pour réapparaître au début des année 80 mais en prenant un sens différent : l’exclusion résulte désormais de la dégradation du marché de l’emploi et d’affaiblissement des liens sociaux .
    · C’est un terme équivoque, mal ou peu défini et dont en plus la définition évolue au cours du temps.
    · C’est un terme qui est utilisé par des acteurs sociaux différents pour caractériser des réalités n’ayant que peu de points communs ; et porter des jugements sur les populations concernées antinomiques ( des victimes de la société ou des parasites sociaux)
    · C’est un terme qui est assimilé à des mots décrivant des réalités différentes : les exclus contrairement à ce qui est souvent affirmé ne sont pas des marginaux .


    La distinction exclu, marginal et déviant : comme l’indique D Schnapper :
    · Le marginal vit en marge de la société mais il est dans la société , l’exclu lui se trouve en dehors .
    · L’exclu ne peut être non plus assimilé sans risque au déviant : on retrouve ici un jugement de valeur considérant que les exclus les pauvres sont , comme l’écrivait Chevallier , des classes laborieuses donc des classes dangereuses .

    I - DEFINITIONS ET MESURES DE L’EXCLUSION . (20 p 248)

    Comme l’écrit P Rosanvallon dans la nouvelle question sociale tous les phénomènes d’exclusion comportent la même leçon : « l’approche statistique classique est inadéquate à leur compréhension (...) :
    · Cela n’a aucun sens d’essayer d’appréhender les exclus comme une catégorie, ce sont les processus d’exclusion qu’il faut prendre en compte.
    · La situation des individus concernés doit en effet être comprise à partir des ruptures des décalages et des pannes qu’ils ont vécus.
    Conséquence : Il ne sert donc pas à grand chose de compter les exclus :
    · Cela ne permet pas de les constituer en objet d’action sociale.
    · L’important est d’abord de bien analyser la nature des trajectoires qui conduisent aux situations d’exclusion en tant qu’elles sont chaque fois les résultantes d’un processus particulier ».
    La méthode à utiliser : La compréhension de l’exclusion nécessite donc avant tout :
    · de multiplier les analyses biographiques pour mieux saisir comment les exclus sont arrivés dans la situation dans laquelle ils se trouvent .
    · Il faut étudier précisément les trajectoires ,les ruptures qui de la précarité ont pu à terme faire tomber l’individu dans l’exclusion .
    · On se rend alors compte qu’aujourd’hui l’exclusion résulte d’un faisceau de causes dont l’essentielle( mais pas la seule : cf. la solitude des personnes âgées qui se sentent abandonnés , cf. les paysans étudiés par P Bourdieu qui ont l’impression d’avoir perdu leur vie quand leurs enfants ne veulent pas prendre leur suite ) semble bien être la perte de l’emploi.

    Conclusion : En effet comme l’indique R Castel dans les métamorphoses de la question sociale :aujourd’hui la question sociale c’est la question du salariat « parce que le salariat en est venu à structurer notre notre formation sociale presque toute entière :
    · Le salariat a :
    - longtemps campé aux marges de la société (sociétés féodales),
    - il s’y est ensuite installé en demeurant subordonné (19 ème),
    - il s’y est enfin diffuser jusqu’à l’envelopper de part en part pour imposer sa marque (trente glorieuses).
    · Mais c’est :
    - précisément au moment où les attributs attachés au travail pour caractériser le statut qui place et classe un individu dans la société paraissaient s’être imposés définitivement au détriment des autres supports de l’identité, comme l’appartenance familiale ou l’inscription dans une communauté,
    - que cette centralité du travail est remise en question .(...) Le travail est plus que le travail et donc le non-travail est plus que le chômage( les répercussions du chômage sur les liens familiaux).
    · Aussi la caractéristique la plus troublante de la situation actuelle est elle sans doute la réapparition d’un profil de travailleurs sans travail; lesquels occupe littéralement dans la société une place de surnuméraires, d’inutiles au monde » .
    · En effet dans notre société :
    - l’occupation d’un emploi procure valeur, reconnaissance, dignité et identité sociale.
    - Le chômage apparaît ,en creux, sans valeur, négation de toute reconnaissance, frappé d’indignité, destructeur de l’identité.
    - Comme le dit A Gorz : « si les chômeurs sont exclus c’est parce que « le chômage leur interdit de participer à la production de la société et, par cette participation, d’acquérir sur la société des droits et des pouvoirs. (...). Aussi longtemps que le fonctionnement du système social, sa production et reproduction, exigeront du travail humain, le travail si réduit que soit le temps qu’il occupe dans la vie de chacun, sera indispensable à la pleine citoyenneté. »

    Conséquences : On peut donc penser que l’exclu :
    · n’est pas seulement celui qui n’a pas un revenu suffisant pour s’intégrer au mode de vie moyen de la population ,
    · et donc que les mesures de traitement social de l’exclusion , telles que le RMI, aussi essentielles soient-elles ne permettront pas à elles seules de réinsérer les individus dans la société .

    II – LA PAUVRETE

    A – DEFINITIONS ( 19 p 270)

    1 – la pauvreté absolue

    la pauvreté absolue désigne l’incapacité pour un individu de satisfaire ses besoins fondamentaux (se nourrir, se loger, se vêtir, etc.) . Elle est définie de façon précise en France puisqu’en 2002 est définie comme pauvre toute personne disposant de moins de 10 euros par jour.
    Cette définition paraît pourtant insuffisante car elle ne prend pas en compte le contexte économique et social dans lequel se situe l’individu.

    2 – la pauvreté relative

    l’union européenne définit comme pauvres : « les individus ou les familles dont les resssources ( matérielles, culturelles et sociales) sont si faibles qu’ils sont exclus des modes de vie minimaux acceptables dans l’Etat membre dans lequel ils vivent »
    A Sen écrit quant à lui « être relativement pauvre dans un pays riche constitue un grand handicap, du point de vue des capacités, même lorsqu’on dispose d’un revenu élevé au regard des normes internationales. (…) Pour participer à la vie d’une communauté, il faut parfois satisfaire à certaines exigences en matière d’équipements techniques (télévision,voiture, etc.) »

    Trois indicateurs principaux permettent alors de mesurer la pauvreté :

    a – la pauvreté monétaire

    · En France sont considérés comme pauvres, les personnes disposant de revenus inférieurs à 50% du revenu médian de la population
    · L’Europe quant à elle considère comme pauvres les ménages dont les revenus sont inférieurs à la moitié de la moyenne des revenus de la population du pays membre dans lequel ils vivent .

    b– la pauvreté existencielle

    En France elle est mesurée par l’indicateur conditions de vie qui est calculé annuellement par l’INSEE, sont retenues 28 dimensions de la vie quotidienne regroupées dans quatre domaines :
    · contraintes budgétaires
    · restrictions de consommation
    · retards de paiement
    · difficulté de logements
    Sont considérés comme pauvres les individus cumulant les handicaps dans chacune des catégories retenues

    c – la pauvreté administrative

    sont considérés comme pauvres les bénéficiaires des minima sociaux


    3 – LA PAUVRETE SELON LE PNUD

    le PNUD définit la pauvreté comme : « la négation des opportunités et des possibilités de choix les plus essentielles – longévité , santé , créativité , mais aussi conditions de vie décentes , dignité , respect de soi-même et des autres , accès à tout ce qui donne de la valeur à la vie . »
    Dans le cadre d’une théorie du développement , le PNU est alors amené à différencier 3 définitions de la pauvreté :

    a- l’approche par les revenus

    Elle définit un seuil de revenu à partir duquel on est considéré comme pauvre . Le PNUD distingue alors la situation des PVD de celle des PDEM :
    · pour les PVD , il retient une définition de la pauvreté absolue : sont pauvres tous ceux qui ne disposent de revenus suffisants pour assurer la couverture des besoins fondamentaux
    · pour les PDEM , le PNUD retient une définition relative de la pauvreté

    b- l’approche par les besoins

    Elle considère qu’il faut prendre en compte non seulement l’indicateur quantitatif , mais surtout assurer les prestations élémentaires dans les domaines vitaux : santé , éducation , …

    c- l’approche par les capacités

    Est pauvre : celui qui connaît des carences sensibles dans les domaines essentiels qui l’empêchent de participer à la vie sociale

    CONCLUSION : le PNUD va opérer la synthèse de tous ces critères dans l’IPH ( cf chap croissance et développement )

    B - MESURES DE LA PAUVRETE (20-22 p270-271)

    1 – CONSTAT ET EVOLUTION

    En France , le taux de pauvreté a connu une évolution pour laquelle il faut distinguer 2 phases :
    · le nombre de ménages pauvres a chuté de 2,538 millions en 70 à 1,5 millions en 84 ( passant de 15,7 à 7,5 % de la population )
    · de 84 à 97 , le nombre de pauvres a légèrement augmenté de 1,5 à 1,629 millions
    La France occupe une position intermédiaire dans l’UE dont le taux de pauvreté moyen se situe à 17 % .Il faut distinguer :
    · les pays ayant un taux de pauvreté inférieur ou égal à 14 % : le Danemark , les Pays-Bas , le Luxembourg , l’Autriche
    · les pays ayant un taux compris entre 15 et 17 % : Allemagne , France , Belgique
    · les pays ayant un taux compris entre 17 et 20 % : Irlande , RU , Espagne et Italie
    · les pays ayant un taux supérieur à 20 % : Grèce et Portugal
    Il ne faut pas oublier que la pauvreté nécessite une approche dynamique , c’est-à-dire qu’il faut mesurer le taux de pauvres qui reste durablement dans une situation difficile . Ainsi , si l’on compare les EU aux Pays-Bas , on constate :
    · aux EU , le taux de pauvreté relative est de 14 % , seuls 28 % de la population pauvre est sortie de la pauvreté dans la période étudiée et que 52 % des pauvres sont restés au moins 5 ans en situation de pauvreté
    · aux Pays-Bas , le taux de pauvreté est seulement de 6 % , 44 % des pauvres sont sortis de la pauvreté sur la période étudiée , seuls 29 % des pauvres sont restés au moins 5 ans en situation de pauvreté

    2 – PROBLEMES DE MESURE

    Selon l’indicateur retenu , le nombre de pauvres ou le taux de pauvreté se révèle très différent . Ainsi , si l’on retient :
    · l’indicateur pauvreté relative en France , 1,7 million de ménages, c’est-à-dire 4,2 millions de personnes : 7 % de la population vivent avec un revenu inférieur à la demi-médiane
    · l’indicateur pauvreté existencielle , l’INSEE considère que 11,8 % de la population est pauvre
    · l’indicateur pauvreté administrative dénombre quant à lui environ 5 millions de personnes
    La pauvreté mesurée est donc très sensible à l’indicateur retenu : par exemple :
    · si l’on passe d’un indicateur où sont considérés comme pauvres les personnes disposant de moins de 50 % du niveau de vie médian ( 557 euros par mois par unité de consommation ) , on comptabilise 3,674 millions de pauvres , soit 6,4 % de la population française
    · si l’on passe à un indicateur où sont considérés comme pauvres les personnes disposant de moins de 60 % du revenu médian ( 669 euros par mois par unité de consommation ) , alors le nombre de pauvres est quasiment multiplié par 2 ( 7,076 millions ) soit 12,3 % de la population
    L’Union Européenne a bien mesuré l’importance du choix du critère quand on opère des comparaisons internationales . Ainsi , si l’on retient la moyenne ou la médiane , on change profondément l’image de la pauvreté . Il est alors possible de montrer que la pauvreté est 2 fois plus importante qu’au Royaume-Uni ou qu’elle est équivalente dans les 2 pays .

    En Europe, la pauvreté recule, mais plus ou moins vite selon les pays : le Monde, 09-05-06

    A l'aune des critères retenus pour l'Europe, 16 % de la population européenne, soit 72 millions de personnes, vivaient en 2003 en dessous des seuils de pauvreté monétaire." Telle est la conclusion d'une étude de Sarah Bouquerel et Pierre-Alain de Mallerey, deux économistes maîtres de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris, que vient de publier la Fondation Robert-Schuman.
    La tendance générale, à court terme et à long terme, est au recul général de la pauvreté, notent Mme Bouquerel et M. de Mallerey. Il y a moins de pauvres dans l'Union européenne qu'en 1970, même si la réalité perçue par l'opinion publique ne va pas nécessairement dans ce sens."
    Les deux experts soulignent d'abord les importants problèmes méthodologiques auxquels se heurte la mesure de la pauvreté. C'est "un phénomène multiforme, difficile à cerner avec exactitude", estiment les deux économistes, en remarquant que "s'il ne fait aucun doute qu'un ménage ne disposant pas des ressources nécessaires pour subvenir à ses besoins les plus élémentaires comme se nourrir, se loger ou se chauffer est pauvre, (...) que dire d'un foyer qui ne peut partir en vacances, acquérir un lave-vaisselle ?"
    La pauvreté est à la fois objective, liée aux revenus, et subjective, liée aux représentations sociales, "qui varient selon les contextes et les pays." Le fait de ne pas posséder une voiture n'aura pas la même signification au Portugal ou au Danemark, observent les deux économistes.
    En 1984, un Conseil européen avait tenté de prendre en compte ces deux dimensions : "Des personnes vivent dans des situations de pauvreté si leur revenu et leurs ressources matérielles, culturelles et sociales sont à ce point insuffisants qu'elles les empêchent d'avoir des conditions acceptables dans le pays membre où elles vivent."
    Parmi les critères envisageables de la pauvreté - "administrative", qui s'intéresse aux bénéficiaires de dispositifs sociaux ; "conditions de vie", qui prend en compte les privations ; "subjective", établie à partir de questionnaires sur la situation financière -, les Etats membres de l'Union européenne ont finalement décidé de retenir celui "de pauvreté monétaire relative".
    Sont considérés comme pauvres les individus ne disposant pas d'un revenu égal à 60 % du revenu médian dans le pays concerné. " La pauvreté ainsi définie est une notion strictement nationale et non européenne", soulignent Mme Bouquerel et M. de Mallerey.
    En utilisant la méthode des standards de pouvoir d'achat (SPA), le seuil de pauvreté pour une personne vivant seule se situait ainsi en 2001 à 2 183 SPA en Estonie et à 14 376 SPA au Luxembourg.
    "Un Allemand pauvre a un pouvoir d'achat environ deux fois supérieur à celui d'un Portugais pauvre, ce qui amène à relativiser la notion de pauvreté, notent les deux économistes. S'il existe des pauvres en Estonie, au Portugal, en Italie, en France et même au Luxembourg, le pauvre Européen, lui, l'Union européenne ne le connaît pas encore."
    Les pays enregistrant les résultats les plus défavorables sont la Slovaquie, l'Irlande et la Grèce (21 % de la population en situation de pauvreté), suivis du Portugal, de l'Italie, de l'Espagne (19 %), du Royaume-Uni et de l'Estonie (18 %). A l'autre extrémité, on trouve la République tchèque (8 %), le Luxembourg, la Hongrie et la Slovénie (10 %), suivis de la Finlande et de la Suède (11 %), du Danemark, de la France, des Pays-Bas (12 %) et de l'Autriche (13 %).
    La performance de la République tchèque tient au fait que la notion de pauvreté monétaire relative est pour partie une mesure d'inégalité. Ce biais statistique explique aussi que le pays d'Europe où la pauvreté a le plus baissé depuis dix ans est l'Allemagne, malgré la faiblesse de sa croissance. Et celui où elle a le plus progressé est l'Irlande, qui a, au contraire, enregistré un boom économique.



    III - LA DEVIANCE

    A - L’ANALYSE DE MERTON .


    Merton dans son analyse distingue deux éléments :
    · La société définit des objectif légitimes qui sont hiérarchisés en fonction de la valeur que la société leur accorde , les individus cherchent donc à atteindre ces objectifs mais alors se pose le problème des moyens que l’on peut utiliser pour y arriver
    · Comme pour les objectifs Merton considère que la société définit des moyens légitimes pour atteindre les buts valorisés, moyens qui ne remettent pas en cause l’équilibre de la société .

    Se pose alors le problème de la congruence entre les objectifs légitimes et les moyens légitimes dont disposent les individu
    - soit les individus peuvent atteindre par des moyens légitimes les buts valorisés par la société et l’équilibre est alors maintenu
    - soit la société n’est pas capable d’assurer la congruence entre moyens et objectifs légitimes, alors les individus qui peuvent atteindre les objectifs légitimes par les moyens légitimes vont adopter un comportement qui les conduits à utiliser les moyens les plus efficaces pour atteindre leurs buts même si cela doit se faire en dehors du cadre défini par la société . La société devient alors instable et présente des phénomènes d’anomie ( attention la définition de l’anomie au sens de Merton est différente de celle de Durkheim ).

    Merton va alors être conduit à différencier 5 types d’adaptation des individus :

    1 - le conformisme : la majorité des individu accepte les buts et les moyens légitimes, l’équilibre de la société , sa continuité peuvent être maintenus , cela correspond au cas que l’on rencontre le plus fréquemment .
    2 - L’innovation : ceci correspond au comportement déviant selon Merton :
    - la société incitant les individus à valoriser plus les objectifs légitimes ( la réussite sociale par exemple) que les moyens légitimes pour les atteindre l’individu va utiliser les moyens qui lui semblent les plus efficaces , seul le résultat final étant pris en compte .
    - Ce comportement selon Merton est caractéristique de la société américaine qui valorise tellement la réussite sociale qu’elle conduit les individus à contourner les normes qu’elle a pourtant définies.

    3 - Le ritualisme : dans ce cas l’individu respecte les moyens légitimes fixés pour atteindre les objectifs légitimes . Mais l’individu sait très bien qu’il n’est pas forcément capable de réussir, de s’élever dans la société , il va donc réduire ses aspirations pour ne pas avoir à se remettre en cause en cas d’échec .

    4 - L’évasion. : les individus qui adoptent ce comportement sont dans la société , mais sont des étrangers pour les membres de la société qui ne comprennent pas leurs motivations car ils rejettent aussi bien les objectifs que les moyens légitimes. Cette attitude interpelle pourtant les membres de la société qui se rendent compte que ce comportement trouve son origine dans la société, qu’il traduit souvent un malaise social .

    5 - La rébellion : ces individus comme les précédents rejettent les moyens comme les objectifs , mais :
    - ils n’adoptent pas une attitude passive de fuite ,
    - au contraire ils cherchent à transformer la société à définir de nouveaux objectifs auxquels correspondront de nouveaux moyens légitimes qui seront moins arbitraires , plus conformes à la justice.

    Les limites : L’analyse de Merton a le mérite de proposer une typologie des modes d’adaptation des individus aux normes imposées par la société . Mis elle n’explicite pas véritablement les raisons de la remise en cause de ces normes, et donc l’origine de la déviance .


    B - L’ANALYSE INTERACTIONNISTE DE LA DEVIANCE .

    1 - INTERACTIONNISTES ET FONCTIONNALISTES : DEUX CONCEPTIONS DIFFERENTES DE LA SOCIOLOGIE.

    Les critiques : Les interactionnistes reprochent à Durkheim et à Merton d’être
    - trop fonctionnalistes c’est à dire de considérer que les individus lors de leur socialisation apprennent des valeurs et des normes auxquelles ils vont se référer durant leur vie : les individus en ce sens sont passifs , ils sont agis par la société.
    - Les interactionnistes considèrent au contraire que, certes les individus se réfèrent aux normes et aux valeurs qu’ils ont reçues mais qu’ils disposent de marges, d’espaces de liberté qui leurs permettent de jouer avec les normes .

    Les conséquences :
    · En ce sens on ne peut a priori définir le comportement d’un individu dans telle ou telle situation , l’individu est agissant, c’est par son action qu’il écrit son histoire .
    · Les interactionnistes ne sont donc pas favorables , comme Durkheim ou Merton, aux concepts généraux de la sociologie (l’anomie par exemple) , ils multiplient les analyses biographiques qui leur permettent de mieux saisir le sens des actions des individus.

    2 - DEFINITION DE LA DEVIANCE :


    a - définitions :

    Selon HS Becker la déviance a reçu plusieurs définitions qui sont plus contradictoires que complémentaires et qui contribuent à entretenir le flou sur cette notion :
    · une première approche de la déviance est statistique : est déviant tout ce qui s’écarte par trop de la moyenne , cela n’explique ni comment est définie la déviance, ni de quoi elle résulte.
    · Une deuxième approche définit la déviance comme quelque chose de pathologique révélant l’existence d’un mal social . Cette conception n’est pas sans poser des problèmes : quel mal, quelle origine . Cela conduit souvent à reprendre le jugement profane qui considère que la déviance ne vient pas du corps social , mais de l’individu .
    · une troisième approche , celle des fonctionnalistes , que seraient déviants, dysfonctionnels les éléments qui remettent en cause la stabilité , l’équilibre d’une société . Cela suppose qu’il y a accord de tous les membres de la société sur les fonctions qui assurent la stabilité, ce qui n’est pas généralement le cas .
    · Une quatrième approche serait de considérer comme déviants les individus qui ne respectent pas les normes définies par le groupe. Ceci suppose qu’il existe un accord sur les normes.

    Becker montre les limites de toutes ces conceptions :
    · il considère que l’origine de la déviance n’est pas à chercher dans les comportements déviants , dans les populations considérées comme déviantes ,
    · mais dans ce que la société définit comme déviant .

    définition de la déviance selon Becker: Est déviant celui que la société étiquette comme déviant parce qu’il ne correspond pas aux normes que la société a édicté. Becker démontre que l’individu qui est désigné par la société comme déviant n’a pas forcément transgressé les normes de la société, ce n’est pas lui qui rejette la société , c’est la société qui le rejette .

    Il paraît donc important de savoir comment et par qui sont créées les normes :
    · Becker considère qu’elles sont le fait de véritables croisés qui veulent extirper le mal, le vice de la société, qui considèrent que le mauvais fonctionnement de la société résulte de l’absence de normes. Ils vont alors définir des normes qui correspondent à leur vision de la société qui semble à Becker intransigeante .
    · Une fois la norme fixée , il faut déterminer des individus , des populations qui se situent en dehors de la norme et qui seront alors considérées comme déviantes, qui seront stigmatisées pour leur non-conformité ou mis en dehors de la société .
    · l faut donc faire respecter les normes ,ce qui nécessite la création d’un corps de professionnels qui font respecter les règles, qui par leur action déterminent une population déviante a priori.

    b- Les répercussions du processus de stigmatisation : La théorie de l’étiquetage

    On peut-alors se demander à quelle point le fait d’être défini comme déviant ne conduit pas l’individu à adopter un comportement déviant ? C’est la théorie de l’étiquetage qui considère que :
    · l’on devient délinquant quasiment par héritage social. Le criminel se trouve en présence de systèmes de valeurs concurrents, et il va construire sa personnalité en prenant en compte les opinions des autres à son égard.
    · Le simple fait d’appartenir à un milieu social où règne la délinquance va lui permettre de se construire une identité par réaction et en intégrant les attentes de ceux qui littéralement lui collent une étiquette de mauvais garçon.
    · Le déviant est ainsi celui qui est désigné comme tel par le reste de la société conformiste.

    3 - UN EXEMPLE DE DEVIANCE : LES BANDES DANS LES BANLIEUES.

    Comment expliquer les comportements déviants qui semblent pour la majorité des français caractérisés aujourd’hui les banlieues :les sociologues avancent une série de raisons complémentaires :
    · Selon D Lapeyronnie le monde de la banlieue est un monde sans père, c’est à dire un monde dépourvu de repères. La disparition de la figure paternelle comme pôle d’identification , comme modèle pour ses enfants, fait que les jeunes des banlieues n’ont pas appris les normes qui leur permettraient de s’intégrer à la société. Quand le père n’est pas absent , son échec dans la vie (une longue période de chômage par exemple) fait qu’il ne dispose d’aucune autorité, d’aucun prestige pour socialiser ses enfants . Il délègue son pouvoir à sa femme, qui elle-même le délègue aux enfants .
    · Les jeunes de la rue dans les représentations qu’on s’en fait prennent figure et acquièrent par les « gueules de loubs » qu’on leur attribue une identité qui les conduit à adopter des comportements déviants . Selon JY Barreyre le premier signe de déviance (et de défiance) qu’on leur attribue est l’errance c’est à dire le fait d’occuper le paysage, de ne rein faire, ce qui les assimile à des voyous . Le deuxième indice de leur marginalité est leur regroupement en bandes qui sont considérées comme potentiellement dangereuses.

    La limite de ces visions : adoptées par les personnes du quartier qui se sentent agressées par la seule présence de ces jeunes , est que le Même jeune qui dans le contexte de la bande est considéré comme étant un voyou, dés lors qu’il changera de contexte (une mairie), qu’il sera seul , de loubard devient un fils , un citoyen , un élève .

    Les répercussions : A Jazouli dans les années banlieues, considère que plus que la dérive ethnique ce qui est très inquiétant c’est « le développement accéléré, au sein de la jeunesse exclue, d’un discours autonome et agressif justifiant la délinquance, le vol et la violence par la situation sociale vécue. Ce discours où les jeunes qu’ils appartiennent ou non à des bandes affinitaires se présentent et se mettent en scène comme des robins des bois modernes se banalise (...). L’envie de consommation est en permanence confrontée à la modestie des revenus. (..). Les loyers et charges impayés, le non-remboursement fréquent des crédits à la consommation, la recherche permanente des combines pour avoir des produits et des biens de toutes sortes à des prix imbattables créent un univers où ces transgressions sont perçues comme autant de moyens légitimes pour se sortir de l’exclusion ».

    Conclusion : A travers l’exemple des jeunes des banlieues l’on saisit mieux qu’elles sont les répercussions de l’exclusion , de l’absence de perspectives d’avenir (ce qui n’est en rien une excuse) :
    · Les jeunes qui n’ont pas de projet , qui se sentent rejetés par la société, qui sont a priori étiquetés comme délinquant (délit de faciès) sont alors conduits à adopter des comportements déviants .
    · Il faut désormais s’intéresser aux mesures à prendre pour lutter contre l’exclusion qui doivent être non seulement curatives (traitement social de l’exclusion: ex le RMI), mais surtout préventives (afin d’éviter aux individus en situation de précarité de tomber dans l’exclusion).
    · Cela éviterait ainsi de répéter le constat réalisé par le groupe technique quantitatif sur la prospective de l’exclusion : « il paraît de bon sens de penser que beaucoup de ceux qui ont affaire avec la justice ont aussi à voir avec l’exclusion. »

    L’exclusion est une des principales questions sociales auxquelles est confrontée la société française aujourd’hui . Elle risque d’entraîner une fracture sociale, une rupture du lien social qui mette à mal la cohésion de la société et risque de déboucher sur la multiplication de comportements déviants (attention il ne faut en aucun cas assimiler exclusion à déviance). Dés lors des mesures de lutte contre l’exclusion s’avèrent nécessaires .




    SECTION IV- PROTECTION SOCIALE ET SOLIDARITES COLLECTIVES.
    Le développement de la protection sociale et des solidarités collectives est caractéristique du 20ème siècle, surtout dans sa deuxième moitié, dans les pays développés. C’est l’Etat qui en a été l’artisan, d’où son appellation, Etat providence, pour signifier que l’Etat, donc la solidarité nationale, allait prendre en charge les individus, un peu comme auparavant, on se confiait à la providence divine et à l’église. Aujourd’hui, l’Etat providence est partout en crise, pour des raisons qui ne sont pas que financières et que nous étudierons. Nous proposerons ensuite l’étude de deux exemples de risques sociaux, la pauvreté et la vieillesse, pour montrer concrètement comment la solidarité collective a pris en charge ces risques sociaux, et pourquoi ces dispositifs sont aujourd’hui en crise.
    I - LE DEVELOPPEMENT DE L'ETAT PROVIDENCE.

    Il faut comprendre d’abord pourquoi l’Etat providence s’est créé, en réponse à quels besoins. Nous pourrons voir ensuite quelles sont les grandes logiques qui président au développement des Etats providence et quelle typologie on peut faire, dans la mesure où les formes qu’ont prises les solidarités collectives sont variées.
    A- L'ETAT PROVIDENCE EST UN SYSTEME DE REDISTRIBUTION DES REVENUS VISANT A PROTEGER LES INDIVIDUS CONTRE LES RISQUES SOCIAUX.
    Pour mieux comprendre cette définition de l’Etat providence, il est nécessaire d’abord de clarifier la notion de risque social. Ensuite, nous pourrons voir en quoi consiste concrètement la « protection sociale » avant d’examiner les mécanismes de redistribution des revenus qu’elle implique.
    · Les risques sociaux peuvent être définis comme des évènements incontrôlables provoquant soit des dépenses importantes pour l’individu (la maladie ou l’accident, par exemple), soit une diminution sensible de ses revenus habituels (chômage, cessation d’activité, par exemple). Ces risques ont bien sûr toujours existé : la vieillesse ne date pas d’aujourd’hui (même si beaucoup plus de gens l’atteignent aujourd’hui qu’avant) ! Mais dans une société traditionnelle, c’est essentiellement la famille, dans une moindre mesure la paroisse (c'est-à-dire l’Eglise), qui assurent cette prise en charge des individus subissant des risques sociaux. Les liens de dépendance sont alors très forts, en particulier entre les enfants et les parents. La révolution industrielle et les transformations de la société qui l’ont accompagnée ont bouleversé ces solidarités traditionnelles : l’urbanisation et la faiblesse des rémunérations des travailleurs imposent la réduction de la taille des familles, la taille des logements rend impossible la prise en charge de parents âgés, etc Parallèlement, les individus, se différenciant de plus en plus, revendiquent une autonomie personnelle grandissante : ils préfèrent pouvoir s’adresser à une entité abstraite, l’Etat providence, expression de la solidarité collective, plutôt que de dépendre de leur famille, par exemple.
    · La protection sociale est donc un système qui offre aux individus une protection collective, déshumanisée (car administrative) contre les risques sociaux. Cette protection sociale a aussi comme avantage d’être (ou du moins c’est son objectif) universelle, c’est-à-dire de concerner l’ensemble des personnes vivant sur le territoire national. Concrètement, la solidarité s’exprime à travers le financement de la protection sociale : tous les citoyens sont appelés à financer les dépenses de protection sociale, indépendamment de leur situation personnelle face aux divers risques sociaux. Ainsi, un salarié sans enfant paie des cotisations pour financer les allocations familiales, et un travailleur peu exposé au chômage ou à la pauvreté contribue néanmoins au financement de l’UNEDIC ou du RMI. Mais tous en profitent selon leurs besoins le moment venu, quand ils sont malades, au chômage ou trop vieux pour continuer à travailler.
    · La protection sociale se traduit par une importante redistribution des revenus. Cette redistribution est d’abord horizontale, c’est-à-dire indépendante du revenu des personnes. C’est le cas des remboursements maladie, par exemple : les personnes en bonne santé, qu’elles soient riches ou pauvres, financent par leurs cotisations les dépenses des personnes malades, qu’elles soient riches ou pauvres. Mais elle peut aussi être verticale, c’est-à-dire redistribuer l’argent des plus riches vers les plus pauvres. C’est le cas notamment du RMI qui est financé par les impôts payés par l’ensemble des Français, et notamment les plus riches, mais dont les prestations sont réservées aux ménages les plus modestes.
    B
    - L'ETAT PROVIDENCE MET EN OEUVRE DEUX TYPES DE SOLIDARITE : L'ASSURANCE CONTRE LA PERTE DE REVENU ET L'ASSISTANCE AUX PLUS DEMUNIS.
    On distingue en général deux sortes d’Etats providence, en fonction de la logique qui préside au système de protection sociale mis en place. Après avoir présenté les deux logiques possibles, et pour les illustrer, nous essaierons de caractériser le système français en fonction de ces deux logiques.
    · La logique de l’assurance : Chaque actif cotise proportionnellement à son revenu et il reçoit des prestations proportionnelles à ses cotisations. Pour les personnes qui ne travaillent pas, il faut envisager un système d’aide sociale particulier. Ici, il n’y a donc pas a priori de volonté de réduire les inégalités, la redistribution s’effectuant entre actifs en bonne santé et malades, entre actifs et retraités, entre actifs sans enfant et actifs ayant des enfants, etc. Le versement des prestations est « sous condition de cotisation », c’est-à-dire qu’il faut avoir cotisé pour en bénéficier. On parle parfois de « système bismarkien », du nom du Chancelier Bismark, qui mit en place le système d’assurances sociales en Allemagne à la fin du 19ème siècle.
    · La logique de l’assistance : La protection sociale est un système redistributif visant à assurer une plus grande égalité entre tous en couvrant les besoins considérés comme « de base ». Dans ce type de système, tous les individus sont couverts quelle que soit leur situation professionnelle (c’est le principe d’universalité) ; les prestations dépendent des besoins et non du montant des cotisations, elles sont même parfois « sous condition de ressources », c’est-à-dire que la prestation décroît avec le niveau de revenu, ce qui accroît l’effet redistributif du système (les plus riches cotisent plus et perçoivent moins). Le système est géré par le service public et financé par l’impôt : la participation au système doit être obligatoire pour qu’il y ait redistribution des revenus, sinon les plus riches, qui sont en quelque sorte les « perdants » dans cette logique, refuseraient d’y participer. On parle parfois de système beveridgien, du nom de Lord Beveridge qui publia pendant la seconde guerre mondiale à Londres un rapport célèbre sur le « Welfare State » (Etat providence), et qui inspira notamment le système de protection sociale britannique d’après guerre.
    · En France, comme dans d’assez nombreux pays, le système mis en place aujourd’hui tient un peu des deux logiques, assurance et assistance. La protection sociale est en principe liée aux cotisations sociales versées : pour bénéficier de prestations, il faut avoir cotisé, c’est-à-dire avoir travaillé. C’est l’activité qui est à la source de la protection sociale. On cotise pour chacun des « risques » (vieillesse, maladie, maternité-famille, chômage, accidents du travail). Tout assuré social a droit aux prestations sociales, c’est-à-dire à des revenus versés quand les conditions requises sont remplies (allocations familiales, remboursement de frais de maladie, etc…). On retrouve donc ici la logique de l’assurance. Mais depuis peu, grâce à la C.M.U. (Couverture Maladie Universelle), des personnes non assurées sociales peuvent bénéficier d’une couverture sociale en cas de maladie, ce qui n’était pas le cas auparavant. La protection sociale est donc maintenant en principe « universelle », ce qui la rapproche de la logique d’assistance. De même, le système assure aussi une fonction redistributrice : les prestations ne dépendent souvent pas des cotisations. Ainsi, un père de famille assure le droit aux prestations à son épouse si elle est inactive et à tous ses enfants mineurs. Un célibataire ayant le même salaire que ce père de famille paiera la même cotisation mais disposera de beaucoup moins de prestations (pas d’allocations familiales, beaucoup moins de remboursements de frais de maladie, etc). La redistribution se fait surtout des célibataires vers les familles et des actifs vers les personnes retraitées. Enfin, depuis le début des années 1970, se sont développées des prestations sous condition de ressources, comme par exemple les « bourses de rentrée scolaire». On est ici tout à fait dans une logique d’assistance. Par ailleurs, le système français se caractérise aussi par ce qu’on appelle le paritarisme : les institutions qui gèrent la protection sociale sont distinctes de l’Etat (La Sécurité sociale pour la maladie, la vieillesse et la famille, l’UNEDIC pour le chômage). Leur budget est supérieur, en montant, à celui de l’Etat. Elles reçoivent les cotisations et versent les prestations. La Sécurité sociale et l’UNEDIC sont gérées par les partenaires sociaux : cela signifie que leurs conseils d’administration sont composés, en principe, pour un tiers de représentants des employeurs, pour un tiers de représentants des salariés et pour le dernier tiers par des représentants de l’Etat. Autrement dit, la Sécurité sociale, l’UNEDIC, ce n’est pas la même chose que l’Etat. Ce sont des Administrations publiques au même titre que l’Etat et les Collectivités territoriales.
    C- LA SOLIDARITE PEUT ETRE PLUS OU MOINS ETENDUE : ON DIT QUE L'ETAT PROVIDENCE EST UNIVERSEL, CORPORATISTE, OU SEULEMENT RESIDUEL.
    Chaque pays a construit son propre système de protection sociale, en fonction de ses valeurs, de son histoire, de ses ressources, etc On peut cependant observer qu’il y a des grands types d’Etats providence et essayer de les regrouper en fonction de leur étendue, c’est-à-dire du degré de solidarité qu’ils impliquent entre les personnes. C’est ce qu’a fait le Danois G. Esping-Andersen en proposant de distinguer trois types principaux d’Etats providence :
    · Le modèle universaliste, d’inspiration bévéridgienne : son objectif est de permettre un accès universel (c’est-à-dire de tous les citoyens) à un niveau élevé de prestations et de services. Ces services sont offerts gratuitement et sont donc financés par l’impôt. La protection sociale ne découle pas du travail, elle est garantie à tous les citoyens. Ce système repose sur un Etat fortement interventionniste et sur la volonté d’assurer la plus grande égalité possible entre tous les citoyens. On parle également de système social-démocrate. On retrouve ce système essentiellement dans les pays de l’Europe du Nord, spécialement en Suède.
    · Le modèle corporatiste : le système repose pour l’essentiel sur les cotisations des actifs. C’est donc l’activité (le travail) qui ouvre les droits. Ces droits sont souvent proportionnels aux cotisations, selon la logique assurantielle. Les assurés sociaux peuvent compléter leur protection personnelle en souscrivant des assurances privées ou en adhérant à des mutuelles. Le système français est un système corporatiste, comme celui de l’Allemagne.
    · Le modèle résiduel (ou libéral) : la protection sociale doit être assurée par les cotisations personnelles, volontaires des individus. Il n’y a donc pas de système de protection sociale à proprement parler, mais des assurances privées auxquelles chacun cotise en fonction de ses moyens et de ses choix personnels. On a ici un Etat providence très réduit qui se contente d’instaurer un minimum de protection sociale pour les plus démunis ne pouvant absolument pas payer une assurance personnelle. L’aide publique sera donc réservée aux plus pauvres et n’assurera que les prestations essentielles. L’exemple le plus connu de ce type de système est celui des Etats-Unis (si vous regardez la série télévisée « Urgences », vous savez à quel point la question de l’assurance des patients arrivant à l’hôpital est cruciale).
    II - LA CRISE DE L'ETAT PROVIDENCE.

    On parle aujourd’hui beaucoup de crise de l’Etat providence, mais qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord que le fonctionnement de la protection sociale pose problème. Pendant les années de forte croissance, l’enrichissement de la société permettait de financer des prestations sociales toujours plus grandes et l’on pouvait penser – naïvement, sans doute – que cela permettrait de réduire les inégalités, de permettre à tous l’accès à la société de consommation et la protection contre les risques de la vie. Aujourd’hui, la crise économique rend les ressources plus rares et l’on découvre les difficultés qu’a l’Etat providence à atteindre les objectifs qu’on lui avait assignés.
    Mais la crise de l’Etat providence signifie aussi que, face à ces difficultés de fonctionnement, celui-ci doit se transformer, et que la nature de cette transformation, ce sur quoi elle doit déboucher, fait débat dans nos sociétés contemporaines. L’Etat providence s’est construit sur un certain consensus : c’était aux pouvoirs publics de prendre en charge des fonctions de solidarité et de distribution traditionnellement dévolues à d’autres (familles, Eglises, …), mais que ceux-ci ne pouvaient plus remplir compte tenu de l’évolution de la société. Toutefois, on se demande aujourd’hui jusqu’où doit aller le rôle de l’Etat, et où commence la responsabilité individuelle. Et nombreux sont ceux qui pensent qu’une protection collective trop étendue entraîne des effets pervers.
    A - LA CRISE FINANCIERE : LES DEPENSES DE PROTECTION SOCIALE AUGMENTENT, CE QUI REND LE COUT DE LA SOLIDARITE DIFFICILEMENT SUPPORTABLE POUR LES CONTRIBUABLES
    Il y a crise financière de l’Etat providence parce que le financement de la protection sociale est de plus en plus difficile, sous l’effet conjugué de la hausse des dépenses et du ralentissement des recettes lié au ralentissement de la croissance.
    · La hausse des dépenses de protection sociale est la conséquence du vieillissement de la population et de la montée du chômage. L’allongement de l’espérance de vie, qui est une bonne chose en soi, accroît toutefois la part des personnes âgées dans la population. Il faut donc dépenser plus pour les retraites (voir aussi le paragraphe 24 de ce chapitre), mais aussi plus pour la santé : on a généralement plus besoin de soins médicaux à 70 ans qu’à 20 ans ! De plus, ceux-ci se sont renchéris avec le progrès technique et les découvertes médicales. Ainsi, la consommation médicale en France (soins et médicaments) est-elle passée de 100 milliards d’euros en 1995 à 147,6 milliards en 2004 (Source : France, portrait social 2005-2006, INSEE, 2005). Par ailleurs la montée du chômage accroît les besoins d’indemnisation, ainsi que les dépenses de solidarité avec les plus pauvres (voir le paragraphe 23 de ce chapitre). On le voit, tout concourt à une hausse des dépenses de protection sociale.
    · Les recettes de l’Etat providence, par contre, marquent le pas. C’est d’abord la conséquence du ralentissement économique : le taux de croissance annuel moyen du PIB a pratiquement été divisé par deux depuis la fin des « Trente Glorieuses », et contrairement aux dépenses, les recettes ne peuvent guère augmenter plus vite que la richesse nationale. Il y a plus, car les prélèvements obligatoires servant à financer les prestations sociales sont encore beaucoup calculés en fonction des salaires (les fameuses « charges sociales »). Or, depuis les années 80, avec la montée du chômage et l’austérité salariale, les salaires constituent la catégorie de revenu qui augmente le moins vite. C’est d’ailleurs pour cela qu’a été instituée la CSG (Cotisation Sociale Généralisée) qui pèse non plus sur les seuls salaires mais sur l’ensemble des revenus des ménages.
    B
    - LA CRISE D'EFFICACITE : LA PROTECTION SOCIALE NE PROFITE PAS TOUJOURS A CEUX QUI EN ONT LE PLUS BESOIN.
    Un deuxième élément de la crise de l’Etat providence est sa difficulté croissante à atteindre les objectifs qu’il s’était donnés.
    · L’Etat providence actuel réduit peu ou mal les inégalités. On s’aperçoit tout d’abord que le « filet » de la protection sociale « a des trous », c’est-à-dire qu’une partie de la population ne bénéficie pas du système de protection et reste exposée aux risques sociaux. Le système français, bâti dans les années 50, est adapté pour protéger les travailleurs stables et leurs familles. Mais les jeunes chômeurs, les chômeurs en fin de droits, les mères célibataires ne pouvant pas cotiser, ne bénéficiaient pas des prestations. Il a fallu la création du RMI et de la CMU pour corriger un peu cette défaillance (voir le paragraphe 23 de ce chapitre). Mais le système de protection sociale redistribue parfois « à l’envers » de ce qui était prévu, et profite plus aux riches qu’aux pauvres. C’est par exemple le cas des dépenses maladie. En effet, les personnes de milieu favorisé vivent plus longtemps et surtout ont plus spontanément recours aux soins médicaux : ils profitent donc plus de la couverture maladie que les plus pauvres !
    · Les dépenses de protection sociale sont mal régulées ce qui conduit à un gaspillage de l’argent public. Quand on dit que les dépenses sont « mal régulées », cela signifie que l’on n’arrive pas à les contrôler, c’est-à-dire à sélectionner celles qui sont justifiées au regard des objectifs que l’on poursuit. C’est tout particulièrement le cas des dépenses de santé. Comme l’assurance maladie les rembourse aux patients, ceux-ci n’ont aucun intérêt à en limiter l’usage (elles ne leur coûtent rien, et de toute façon, les malades sont rarement en position de juger de la pertinence des soins qu’ont leur propose). Mais les professions médicales n’ont pas non plus intérêt à freiner les dépenses de santé qui constituent leur source de revenu. On a ainsi une envolée des dépenses, sans rapport forcément avec l’efficacité médicale.
    C
    - LA CRISE DE LEGITIMITE : LA PROTECTION SOCIALE PEUT AVOIR DES EFFETS PERVERS, ET DONC UN SURCROIT DE PROTECTION SOCIALE N'EST FORCEMENT UN PROGRES SOCIAL.
    La crise de légitimité de l’Etat providence est une interrogation sur la justification morale et politique des systèmes de protection sociale. Jusqu’où l’Etat doit-il prendre en charge les individus ? Doit-il se substituer aux mécanismes de solidarité traditionnels ? Et à trop vouloir protéger les individus contre les risques de la vie, ne va-t-on pas les déresponsabiliser ? On a là une rediscussion des objectifs de la protection sociale. Par ailleurs, et dans le même ordre d’idée, se pose aussi la question de la rationalité économique des dépenses de protection sociale.
    · La protection sociale et le risque de déresponsabilisation individuelle. On reproche souvent à l’Etat providence de développer une culture de l’assistance, de faire perdre aux individus les sens de leur responsabilité. Dès lors que la société procure une aide en cas de difficulté, on n’a plus à se soucier de risques que l’on court, on se repose sur l’idée que la collectivité interviendra en cas de malheur. Par exemple, la gratuité des secours en haute montagne incite les touristes à prendre de plus en plus de risques inconsidérés. De même, pourquoiun travailleur chercherait-il un emploi payé au SMIC s’il peut bénéficier sans travailler d’allocations d’un montant voisin du SMIC. Au-delà de cet effet pervers sur le comportement des individus, on peut dénoncer ici un recul du lien social dans la mesure où les individus ne pensent plus qu’à leurs droits sur la société (et donc sur les autres) et oublient les devoirs qu’ils ont envers elle (et donc envers les autres). C’est en cela que l’on peut parler de déresponsabilisation.
    · La protection sociale peut paradoxalement affaiblir le lien social. Il y a un risque, que certains dénoncent, d’affaiblissement du lien social engendré par le système de protection sociale : l’Etat ayant pris en charge la protection des individus, ceux-ci se sont dégagés des liens et des solidarités traditionnelles - notamment les solidarités familiales et de voisinage. C’est potentiellement une forme d’individualisme triomphant qui se développe : dès lors que l’on a payé nos impôts, nous ne nous sentons plus responsable d’autrui (pourquoi m’occuper de mon voisin puisque l’Etat a mis en place un système qui est précisément sensé pourvoir à ses besoins ?). Cela peut expliquer en partie l’exclusion : ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne sont plus protégés par le système, ne trouvent plus aucun secours dans la société, et sont renvoyés à leur responsabilité individuelle sur un mode très culpabilisant.
    · Dans un contexte financier plus difficile, les dépenses de protection sociale sont-elles économiquement rationnelles ? C’est une des questions cruciales qui est invoquée pour remettre en cause l’Etat providence. Toutes les ressources utilisées pour financer les prestations sociales font défaut aux dépenses qui assurent la compétitivité de l’économie, sa capacité d’innovation et donc de croissance. Une forte critique adressée par les économistes libéraux à l’Etat providence est que les sommes ainsi détournées de l’investissement ralentissent la croissance économique et donc la capacité à financer la protection sociale. Nos sociétés modernes vivraient « au-dessus de leurs moyens », plus soucieuses qu’elles sont de dépenser leurs richesses plutôt que de les produire.
    On voit qu’on assiste à une remise en cause assez radicale de la solidarité collective. Que peut-on en penser ? Il y a incontestablement des dérives de l’Etat providence, mais les résultats obtenus dans les pays en pointe pour le recul de la protection sociale publique, comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, laissent sceptiques. Dans ces pays, en effet, des coupes claires ont été opérées dans les budgets sociaux. Dans le même temps, les inégalités se sont fortement accrues, le nombre des gens sans protection sociale s’est fortement accru, ce qui se traduit par un recours plus difficile au système de soins et par des conditions de vie de plus en plus précaires pour une partie croissante de la population, y compris parfois celle ayant un emploi.
    SECTION V - L’EXCLUSION , LA QUESTION SOCIALE DE CETTE FIN DE SIECLE .

    I - LE REVENU MINIMUM D’INSERTION :UNE REPONSE UTILE MAIS LIMITEE A L’EXCLUSION

    A - LE PRINCIPE.

    Le 1er décembre 1988 la France se dotait d’une nouvelle loi sur le traitement de la pauvreté et de l’exclusion qui était l’expression d’une volonté collective de renforcer la cohésion sociale. Cette loi reposait sur deux logiques complémentaires :
    · assurer un revenu minimum aux plus démunis qui permette aux allocataires de couvrir leurs besoins fondamentaux , mais dont en même temps les modalités d’application sont suffisamment restrictives pour ne pas être désincitatives au travail : le RMI est ainsi nettement inférieur au salaire minimum (ceci relève de la logique méritocratique).
    · Réinsérer les individus dans la société en leur donnant des moyens financiers leur permettant de restaurer leur image sociale , mais surtout en leur donnant une formation qui devrait déboucher à terme sur un travail . L’allocataire est donc , de ce point de vue obliger de faire des stages démontrant sa volonté de sortir de l’exclusion . On retrouve ici l’idée traditionnelle selon laquelle les pauvres ont des efforts à faire .

    B - UN CONSTAT AMBIGU

    1 - LES EFFETS POSITIFS

    La perception du revenu minimum a permis aux allocataires de couvrir un certain nombre de besoins essentiels :
    · La sécurité matérielle a été complétée par l’amélioration importante de la couverture maladie qui bénéficie désormais à 97 % des Rmistes. La création de la CMU a permis de rendre universelle la prise en charge de la couverture maladie.
    · L’ouverture des droits a , de surcroît, permis aux allocataires d’améliorer leurs conditions de logement.
    · il semble aussi que le RMI ait renforcé la solidarité familiale .
    · Mais surtout le RMI a permis aux allocataires, selon B Perret et G Roustang , : « de disposer d’argent (ce qui) dans notre société est une composante essentielle du statut personnel. Pouvoir payer , au lieu d’utiliser des bons alimentaires, change l’image des Rmistes pour eux-mêmes et leur entourage.
    · Grâce au RMI , certains peuvent posséder à nouveau ou pour la première fois un carnet de chèques, signe visible de l’intégration économique sinon sociale. »
    Remarque : en 1999 a été votée la loi créant la Couverture Maladie Universelle qui est destinée à favoriser l’accès aux soins des plus démunis et donc à garantir une couverture aux 6 millions de personnes qui avaient renoncé à se soigner faute de ressources suffisantes .

    2 - LES LIMITES .

    Néanmoins le RMI n’a pas véritablement atteint ses objectifs qui étaient de réinsérer par le retour à l’emploi l’individu dans la société :
    · En effet une majorité de Rmistes ne sont pas sortis du RMI, par exemple en 1991, seuls un tiers des allocataires inscrits un an plus tôt ont un emploi ou suivent une formation .
    · Ceci entraîne une forte augmentation du nombre d’allocataires qui est passé de 335 000 en 1998 à près de un million aujourd’hui .

    Conclusion : On peut alors en conclure que le RMI qui devait correspondre à une période transitoire de la vie d’un individu est entrain de s’inscrire dans la durée : quand on devient Rmiste on a une forte probabilité de le rester .

    Les explications : Cette absence de perspective d’avenir pour les allocataires résulte de la faillite du système d’insertion qui est due principalement à trois raisons :
    · manque de mobilisation des acteurs locaux ( entreprise, collectivités locales , élus) en faveur de l’insertion qui s’est parfois traduite par la non dépense des sommes affectées à l’insertion . Ainsi le taux d’insertion varie de 30 à 80% selon les départements.
    · paradoxalement on observe aussi une insuffisance des moyens affectées à la formation : la formation représente seulement 20 % de l’allocation elle devrait au minimum en représenter 60 % . Dés lors les stages sont des stages parkings qui n’offrent pas véritablement de formation et qui ne débouchent pas sur un emploi.
    · L’allocataire est aujourd’hui obligé de suivre des stages pour s’insérer mais en contrepartie l’Etat n’a aucune obligation d’insertion de l’individu il y a de fait selon Perret et Roustang « une certaine inégalité entre les deux parties » . L’insertion ne pouvant être réalisée tant qu’un nombre insuffisant d’emplois est créé.

    Finalement on peut se demander avec Roustang et Perret si l’allocation n’avait pas pour but de freiner la dérive de l’illégalité comme le dit un Rmiste « si on ne l’avait pas , on serait où, au bord de la révolution ? ».

    Vers la disparition du RMI ? : le RMA (Revenu Minimum d’Activité) :

    Une réforme a été proposée par le gouvernement Raffarin pour 2004 qui :
    · s’appuie sur un certain nombre de rapports qui ont véhiculé l’idée que une partie non négligeable des Rmistes resteraient volontairement sans travail (le RMI représenterait donc une trappe à l’inactivité)
    · l’objectif est alors selon F Fillon « parmi ceux qui n’ont pas de travail, il faut donc distinguer les vrais exclus de ceux qui cherchent à détourner le système »,
    · pour cela le gouvernement préconise d’obliger les allocataires à prendre un travail d’utilité sociale afin selon F Filon « de les mobiliser et de les responsabiliser »

    Cette mesure paraît cependant discutable car :
    · Toutes les études empiriques qui sont disponibles montrent que les rmistes recherchent avant tout un emploi, car l’emploi procure un statut, même s’il ne s’accompagne pas de gain financier. Les enquêtes démontrent d’ailleurs que 75% des rmistes occupent déjà un petit boulot ou recherchent activement un emploi.
    · Le RMI assurait un équilibre entre l’engagement du bénéficiaire dans un contrat d’insertion et le devoir de la collectivité de lui offrir une gamme d’insertion. P Concialdi constate : « avec le RMA , exit ce devoir d’insertion de la collectivité ». Dés lors se pose la question de la capacité à améliorer les qualifications des chômeurs ?
    · Finalement la réforme ne traduit-elle pas le passage souhaité par les libéraux du welfare au workfare (cf les modèles anglo-saxons)


    II - LA NECESSITE D’UNE POLITIQUE PLUS PREVENTIVE .


    Cette idée d'un continuum allant de l'intégration à l'exclusion et sur lequel peuvent se dessiner des zones de sécurité (maximale), de fragilité et d'insécurité (maximale), avec des lignes de glissement et de rupture, a été approfondie récemment par R. Castel
    Son hypothèse est que toutes les situations sociales aujourd'hui problématisées expriment un mode particulier de dissociation du lien social, qu'il appelle la désatfiliation. La désaitiliation sociale est, dans l'hypothèse-de Castel, l'effet ou la résultante de la, conjonction de deux processus : un processus de non-intégration par le travail (et dans le monde du travail) d'une part, et un processus de non-insertion dans les réseaux proches de sociabilité familiale et sociale.
    Le croisement de ces deux axes (Intégration-non-intégiation par le travail et Insertion-non-insertion dans des réseaux de relations sociales) permet alors de distinguer les diverses zones suivantes entre lesquelles les frontières sont poreuses et qui désignent plusieurs types de statuts sociaux (voir schéma ci-dessus) :
    - zone d'autonomie (intégration + insertion) : les "intégrés-insérés" (statut social le plus favorable)
    - zone d'individualisme sans attaches (intégration sans insertion) : les "individualistes-autosuifisants"
    - zone de vulnérabilité (intégration et insertion miniminales) ; les "vulnérables »
    - zone d'assistance (non-intégration + insertion) : les "assistés"
    - zone de désafiiliation maximale (non-intégration + non-insertion) : les "exclus" (statut social le plus défavorable).
    Selon Castel, "une société ne devient duale que lorsqu'elle prend le chemin d'instituer une séparation entre ses zones d'intégration et ses zones de désintégration. Autrement dit, une société commence à se résigner au dualisme lorsqu'elle accepte la précarité et la vulnérabilité comme des états de fait (...) C'est en fonction de cette problématisation que j'ai voulu m'attacher à ces termes, précarité, vulnérabilité, désatfiliation, plutôt qu'à d'autres qui en tiennent approximativement lieu comme pauvreté, marginalité, déviance, exclusion. pour suggérer aue l'on est en présence de processus plutôt que d'états (...) L'incidence pratique de ces propos est ainsi de donner à entendre qu'une double politique sociale serait possible (,.} .l'une, a dominante préventive, consisterait à contrôler la zone de vulnerabilité par des mesures générales ; l’autre à dominante réparatrice, se proposerait de réduire la zone de désaffiliation par des mesures concrêtes d’insertion ( comme par exemple la loi sur le RMI en France en 1988.
    SOURCE : N Quecoz,où est passée la déviance dans la réflexion sociologique contemporaine, 1993.

    A travers l’analyse de R Castel on se rend bien compte que les mesures telles que le RMI pour nécessaire qu’elles soient ne sont en aucun cas suffisantes , elles devraient être couplées avec des mesures préventives qui auraient pour objectif de ne pas faire tomber les individus dans l’exclusion (ou plus exactement dans la désaffiliation pour parler comme Castel).

    CONCLUSION : le danger de réduire le social a l’exclusion;

    Chômage de longue durée, nouvelle pauvreté, sans-abri : depuis une dizaine d'années, la montée de l'exclusion a constitué le fait social majeur. La "question sociale" s'est du même coup déplacée : on est passé d'une analyse globale du système (en termes d'exploitation, de répartition, etc.) à une approche focalisée sur le segment le plus vulnérable de la population. La lutte contre l'exclusion a polarisé toute l'attention, mobilisé les énergies, ordonné la compassion. L'importance inédite prise par les organisations caritatives constitue un des symptômes de ce basculement. Ces organisations ont puissamment contribué à remodeler l'imaginaire social collectif, théâtralisant une grande coupure entre deux mondes implicitement considérés comme homogènes.
    L'invitation à lutter contre l'exclusion a ainsi simplifié le social, certainement beaucoup trop. La dynamique sociale ne saurait en effet être réduite à l'opposition entre ceux qui sont "dedans" et ceux qui sont "dehors". On peut même dire que notre compréhension de la société est aujourd'hui biaisée par la polarisation de toutes les attentions sur les phénomènes d'exclusion. Même si l'on doit considérer à juste titre que l'exclusion constitue le phénomène social majeur de notre temps, elle n'épuise pas la question sociale. La juste dénonciation de la pauvreté et de la misère du monde ne doit pas dispenser d'une approche plus globale des tensions et des contradictions qui traversent la société.
    La fragilisation multiforme du salariat (précarité, flexibilité) modifie aussi en profondeur notre société. C'est ainsi en son centre, et pas seulement dans ses marges, qu'il faut la considérer. Robert Castel n'hésite pas à dire à ce propos : "Le problème le plus grave n'est peut-être pas celui du chômage. Je ne dis pas cela pour dédramatiser les trois millions de chômeurs, mais pour inviter à regarder en amont du chômage, la dégradation de la condition travailleuse." Cette mise en garde provocante est d'autant plus appropriée que c'est bien la fragilisation de cette masse centrale qui finit par alimenter la croissance du nombre des exclus. L'exclusion est le résultat d'un processus, elle n'est pas un état social donné, il ne faut pas l'oublier.
    SOURCE : P Rosanvallon, la nouvelle question sociale. Le seuil , 1995.

    Comme l’indique Rosanvallon l’exclusion est la question sociale de la fin du siècle . Mais elle cache une question qui est encore plus fondamentale : on oppose aujourd’hui ceux qui sont dans la société à ceux qui sont en dehors les exclus, les salariés ayant un emploi étant responsables de la situation des exclus par leur mauvaise volonté à accepter plus de flexibilité, une remise en cause de leurs avantages acquis. La question est ailleurs : la dégradation de la condition du salariat n’est pas la solution au problème de l’exclusion mais au contraire semble nourrir l’exclusion





















    THEME : DANS QUELLE MESURE PEUT-ON CONSIDERER QUE LE TRAVAIL ASSURE L’INTEGRATION DES INDIVIDUS A LA SOCIETE DONC LE LIEN SOCIAL ?

    I - OUI , LE TRAVAIL ASSURE L’INTEGRATION DES INDIVIDUS A LA SOCIETE .

    A - LE TRAVAIL EST LA SOURCE ESSENTIELLE DU LIEN SOCIAL

    1 - LE LIEN SOCIAL DANS LES SOCIETES TRADITIONNELLES .

    Dans les sociétés traditionnelles , le lien social repose sur la contrainte . En effet , comme l’indique Durkheim dans les sociétés caractérisées par la solidarité mécanique, les individus sont semblables , dès lors rien n’assure leur interdépendance . Ceci risque de mettre en danger la viabilité de la société qui , pour se protéger et obliger les individus à être solidaires , va développer un droit répressif.

    2 - LE LIEN SOCIAL DANS LES SOCIETES MODERNES

    En revanche , d’après Durkheim, dans les société modernes se développe une autre forme de lien social : la solidarité organique . En effet , les sociétés modernes sont caractérisées par un individualisme très fort ; ce qui va être à la source du lien est alors la division du travail : les individus sont différents et donc complémentaires . Mais l’origine de la division du travail ne tient pas , d’après Durkheim , à des éléments de nature économique , ce qui le différencie de Smith .
    Selon les auteurs libéraux , en particulier Smith, le lien dans les sociétés modernes rompt avec celui des sociétés traditionnelles sur de nombreux points. On peut même dire qu’il en prend le contre-pied :
    - Le lien social est basé sur un contrat signé librement par des individus responsables et autonomes qui sont des homo economicus égoïstes et rationnels (« donnez moi ce dont j’ai besoin et vous aurez ce dont vous avez besoin vous même » . Le lien social n’est donc plus imposé par la société à des individus qui sont obligés de se conformer à ses diktats, ce sont au contraire les individus par le contrat qui créent la société : conception individualiste de la société qui s’oppose à la conception holiste qui dominait jusqu’alors . .
    - Le lien social ne repose plus sur un lien communautaire de nature religieuse , mais est basé sur l’économie : comme l’écrit P Rosanvallon : « Smith pense l’économie comme fondement de la société et le marché comme opérateur de l’ordre social », ce qui signifie (D Meda) que le lien social est « l’échange marchand et matériel ».
    - Dés lors et c’est une nouvelle rupture par rapport au lien traditionnel : le lien social «consiste essentiellement en une coexistence pacifique imposée » . Qu’est ce à dire ? Smith nous apporte la réponse : « sans l’aide et le concours de milliers de personnes , le plus petit particulier, dans un pays civilisé , ne pourrait être vêtu et meublé » . La division du travail « n’est donc pas simplement une économie de temps et de travail. Elle construit la société jusqu’à sa finalité ultime: celle de l’autonomie réalisée dans la dépendance généralisée » (Rosanvallon ). « Le travail est (donc) le lien social , car il met les individus obligatoirement en rapport; les oblige à coopérer et les enserre dans un filet de dépendance mutuelle (...). Ce lien social n’est ni voulu , ni aimé , il est sans parole et sans débat, les actes sociaux s’y font automatiquement » (D Méda) .
    - Ce lien obligatoire mais non contraignant reposant sur l’interdépendance des individus ne nécessite plus l’intervention d’un agent de régulation assurant sa perpétuation , en effet le lien marchand s’autorégule par le phénomène de la main invisible , « l’Etat n’a donc pour seule fonction que de permettre une fluidité toujours plus grande des échanges économiques afin de prescrire les tensions sociales » . Son rôle est donc très limité .
    On vient donc de voir que le lien social basé sur le travail et l’échange marchand est le lien fondateur de la société moderne . Aujourd’hui, dans nos sociétés de marché nous nous définissons avant tout par le travail que nous exerçons .

    3 - DANS LA SOCIETE DE MARCHE L’INDIVIDU EST AVANT TOUT UN TRAVAILLEUR.

    Comme l’indique D Méda on est passé « au long du 19 ème siècle d’une intégration communautaire fondée sur la proximité (familiale, domestique au sens large, géographique) à de nouveaux regroupements organisés autour de lieux artificiels ( la fabrique, le magasin , le bureau, l’entreprise, bref le lieu de travail, totalement distinct des autres lieux) et comment de ce fait une partie des fonctions d’apprentissage, de socialisation et de constitution des identités ont été peu à peu pris en charge par la sphère du travail. »
    D Méda poursuit : « le travail s’est constitué, au 19 ème siècle, en champ d’intégration à un triple niveau , ou en faisant participer les individus à trois types de système de coappartenance : l’entreprise , le syndicat, le salariat ».
    - l’entreprise : avec le 19 ème siècle apparaît un nouveau mode d’organisation du travail et de la main d’oeuvre qui n’a plus de lien direct avec la communauté familiale . L’individu par son appartenance à l’entreprise va donc dès lors devenir le membre d’un nouveau collectif ,établir de nouvelles relations sociales qui débordent celles qu’ils auraient eu dans le cadre familial, recevoir une identité, un statut en fonction de la place qu’il occupe dans l’entreprise, et donc s’adapter à un rôle , accepter les normes et les valeurs qui s’y réfèrent .
    - Mais l’entreprise n’est pas seulement un lieu de convivialité, c’est aussi un lieu de pouvoir, inégalement distribué, ce qui génère obligatoirement des conflits . Dès lors , les collectifs de travail, en particulier les ouvriers, vont peu à peu prendre conscience de ce qui les rassemble , et de ce qui les oppose au chef d’entreprise puis plus largement au patronat. On va alors assister au développement du syndicalisme .Celui ci , en France en particulier, va développer chez ses adhérents un fort sentiment d’appartenance , une identité de syndiqués qui tout en s’opposant à ceux développés dans l’entreprise en sont complémentaires . On comprend mieux alors ce que voulait dire Méda quand elle écrivait : « ce qui est tout à fait curieux et paradoxal, c’est que le système idéal imaginé par Marx n’est pas très éloigné de ces conceptions ». Marxistes et libéraux, chefs d’entreprises et syndiqués, dans leurs oppositions, partagent un certain nombre de valeurs communes , en particulier ils accordent au travail une place centrale dans les rapports sociaux .
    - Les rapports sociaux vont évoluer tout au long du 19ème siècle . Aux rapports ponctuels, limités au contrat, vont peu à peu se substituer de nouveaux rapports, qui vont donner naissance au 20 ème siècle à une troisième dimension génératrice d’identification : la participation au salariat qui est de plus en plus recherchée par les individus à mesure que le temps passe . La part des salariés dans la population active passe ainsi de 66 % en 1955 à 85 % en 1994. Comment expliquer cette évolution ? Le document 1 nous fournit une partie de la réponse : « Si les enfants de paysans ont déserté les campagnes et si les femmes revendiquent le droit de travailler , c’est que le travail salarié, si contraignant et déplaisant qu’il puisse être par ailleurs, libère de l’enfermement dans une communauté restreinte dans laquelle les rapports individuels sont des rapports privés, fortement personnalisés, régis par un rapport de force mouvant, des chantages affectifs, des obligations impossibles à formaliser. Les prestations que les membres de la communauté échangent n’ont pas de valeur sociale publiquement reconnue et ne leur confèrent pas de statut social » . C’est en particulier vrai pour les femmes au foyer qui , bien qu’elles fournissent un travail domestique , sont considérées comme inactives , n’ont dès lors pas de statut social , si ce n’est celui qu’elles reçoivent de leur mari . Le salariat sera donc pour (ces catégories) une émancipation : la prestation de travail y a un prix et un statut public, le rapport avec l’employeur est régi par des règles de droit universelles, destinées à mettre à l’abri le salarié de l’arbitraire et des demandes personnelles du patron. Le travail fourni a donc un statut de travail en général qualifiant son prestataire comme individu social en général capable de remplir une fonction sociale déterminée, de s’y rendre généralement utile au système social . ». En effet comme l’indique D Méda: « le 20 ème siècle a bien été le siècle de l’emploi: dès que l’individu en a un , une place lui est assignée tant dans l’entreprise que dans un ample système de droits, de garanties collectives, de protections de statuts, mais également dans la fonction générale qui incombe à la nation : la production de biens et services . (...) L a production a pris dans la vie sociale une place prépondérante , apparaissant quasiment comme l’acte majeur par lequel la société se survit à elle même. Plein-emploi et prédominance de l’acte de production consommation convergent pour faire de l’intégration par le travail le modèle de l’intégration sociale. » . Ainsi durant la période des trente glorieuses le travail a donné un statut à l’individu : celui de salarié , mais aussi celui de consommateur . Il lui a fourni les valeurs et les rôles qui s’y rattachent : le salarié doit consommer et rentrer ainsi dans le modèle de l’américan way of life qui permet aux entreprises d’écouler la production croissante résultant des gains de productivité qui améliorent le bien être des salariés(on pourrait développer ici le schéma du cercle vertueux des 30 glorieuses). La boucle est bouclée . Ne peut on en conclure alors avec R Sainsaulieu que l’entreprise est une petite société politique ?Comme l’écrit D Méda , dans son livre , le travail une valeur en voie de disparition : « peu à peu l’idée s’est fait jour d’une entreprise qui assurerait , en plus de la fonction de production, d’autres fonctions de nature sociale, permettant l’expression , la cohésion, la sociabilité des salariés: l’entreprise , société en miniature , serait devenue un haut lieu de la vie sociale. » Mais alors si l’entrée dans l’entreprise est considérée comme étant l’initiation à la vie sociale: en être tenue écarté équivaut à l’exclusion sociale .


    B - LA MEILLEURE PREUVE EN EST QUE CEUX QUI N’ONT PAS DE TRAVAIL SONT AUJOURD’HUI EXCLUS

    1 - LES RAISONS DE L’EXCLUSION RESULTANT DU CHOMAGE.

    Elles sont particulièrement bien explicitées par A Gorz quand-il écrit : « le travail désigne aujourd’hui cette activité fonctionnellement spécialisée et rémunérée en raison de son utilité au système social. Aussi longtemps que le fonctionnement du système social , sa production et reproduction exigeront du travail humain, le travail, si réduit que soit le temps qu’il occupe dans la vie de chacun , sera indispensable à la pleine citoyenneté » .Les individus qui sont privés d’emploi ne peuvent participer à la production de la société et par cette participation ne peuvent « acquérir sur la société des droits et des pouvoirs » .
    En effet , comme le dit D.Schnapper , nos sociétés sont fondées sur la production et la consommation . Or la production nécessite du travail , nos sociétés sont donc basées sur le travail. Ceci va générer un cercle vicieux qui va renforcer l’exclusion du chômeur.

    2 - LE CERCLE VICIEUX DU CHOMAGE.

    « si le pire survient et que l’on connaît une longue période de chômage, alors se manifeste la crise du sens dans toute son ampleur: le chômeur, déjà exclu du cercle professionnel, s’exclut progressivement de ces autres sphères de sens que sont les relations amicales, les projets, les loisirs, et ne peut même plus s’évader dans la consommation . Surtout plus le temps passe, et plus il perd à ses yeux sa valeur personnelle, plus se brouille la direction de sa propre vie »; l’individu perd ses relations sociales et le risque s’accroît que l’individu tombe dans ce que R Castel a appelé : « la zone de désafilliation (qui) conjugue l’absence de travail et l’isolement social » .Il est donc nécessaire face à ce risque d’essayer de réinsérer les individus dans la société , en leur donnant les moyens financiers qui leur permettront de ne pas tomber dans le dénuement , mais aussi en leur proposant des stages de réinsertion qui faciliteront le retour sur le marché du travail . C’était tout l’objectif du RMI.

    C - D’AILLEURS LES POLITIQUES DE REINSERTION SOCIALE SANS REINSERTION SUR LE MARCHE DU TRAVAIL ONT ETE DES ECHECS.

    1 - L’EXEMPLE DES POLITIQUES VISANT A DEVELOPPER LE LIEN SOCIAL DANS LES BANLIEUES

    Bien souvent le terme exclusion est mal maîtrisé . En effet : « ce que l’on entend aujourd’hui par exclusion ne désigne ni l’isolement, ni la non appartenance à une communauté ou à un groupe » On a ainsi pu constater que : « les jeunes chômeurs des banlieues s’auto-organisent en communauté (en bandes) où la solidarité, l’entraide, la coopération les lient et les intègrent plus fortement que les membres d’organisation publiquement reconnues » . Pourtant ces jeunes demeurent exclus car il leur manque ce qui insère réellement l’individu dans la société c’est à dire la possession d’un travail . Dès lors , tout le travail social qui est actuellement mené dans les banlieues qui sont considérées comme des zones prioritaires ne débouchera sur aucun résultat concret tant que l’on ne créera pas d’emplois en nombre suffisant pour faire des jeunes de véritables salariés avec tous les droits y afférents .

    2 - L’EXEMPLE DU RMI
    a - Une bonne mesure.
    Le RMI créé en 1988 est une mesure qui visait deux objectifs ainsi que l’indique son nom : le premier était d’assurer à tous les adultes de plus de 25 ans un revenu minimum qui devait leur permettre d’éviter de tomber dans la grande pauvreté ( on retient ici la définition de la pauvreté absolue , non celle de la pauvreté relative). Le second objectif était de permettre à tous les individus de bénéficier de stage de formation , de réinsertion afin d’accroître leur chance d’obtenir un emploi .
    Le premier objectif a bien été atteint: « la perception du revenu minimum a permis aux allocataires de couvrir un certains nombre de besoins essentiels, de connaître moins de difficultés pour régler des charges fixes, voire pour certains d’engager un processus de désendettement . La sécurité matérielle des allocataires a été complétée par l’amélioration importante de la couverture maladie qui bénéficie désormais à 97 % d’entre eux ». On note aussi une amélioration de l’insertion au sens de « insertion dans une sociabilité socio-familiale »: « Les études du CERC ont montré que le RMI a joué un rôle positif dans les relations avec l’entourage. La prestation semble avoir renforcé la solidarité familiale plutôt que de l’avoir remplacé ».
    b - Mais insuffisante.
    « pourtant au vu des principaux indicateurs disponibles , la dynamique d’insertion reste encore insuffisante. A la mi 91, près de 30 % des bénéficiaires qui avaient perçu l’allocation RMI au cours du premier trimestre 1990 ont un emploi ou suivent une formation. Cet accès à une activité n’a pas entraîné forcément une sortie immédiate du RMI, loin de là . »
    c - Qui risque de générer des effets pervers .
    Le RMI a eu deux effets pervers auxquels ne s’attendaient pas ses promoteurs :
    - Le RMI est devenu un stigmate pour ses bénéficiaires qui ont l’impression (pas toujours à tort) d’être considérés par la population ayant un emploi comme des fainéants qui ne font aucun effort pour s’en sortir . On retrouve ici le problème de la responsabilité personnelle de la pauvreté si chère aux libéraux qui les amènent à conclure que ce sont les aides qui créent les pauvres et donc qu’il faut les supprimer . Or « ce fait est d’autant plus injuste qu’il s’est agi pour beaucoup d’un dernier recours qu’ils ont accepté à défaut de trouver un emploi » . On constate d’ailleurs que : « les deux tiers des allocataires du RMI demandent en priorité un emploi, et les jeunes se détournent des stages lorsqu’ils ont compris qu’ils ne débouchent pas sur un vrai travail ».
    - « la garantie d’un revenu suffisant n’y changera rien . Ce revenu sera seulement un revenu octroyé qui place ses bénéficiaires dans la dépendance vis à vis de l’Etat sans leur donner aucune prise ni aucun droit sur lui » . Mais plus grave encore : « l’inconditionnalité du revenu signifie au contraire que la société se passera fort bien du concours de ceux qui préfèrent rester à l’écart : elle leur signifie qu’elle n’a pas besoin d’eux » . On risque alors de voir une partie croissante de la population (le taux de rmistes ne cessant de progresser) être durablement exclue de la société .
    Pour éviter ces risques , la seule solution réellement efficace est de réinsérer les individus par le travail .

    D - IL FAUT DONC RETISSER DU LIEN SOCIAL EN MENANT DES POLITIQUES QUI REINSERENT SUR LE MARCHE DU TRAVAIL.

    1 - DES EXEMPLES DE POLITIQUES DE REINSERTION PAR LE TRAVAIL.

    l’exemple de chômeurs qui « font partie des quelques 70 000 mille personnes en situation d’exclusion employées régulièrement dans le cadre de ces dispositifs dits d’insertion par l’économique . (...) . L’idée était à la fois de satisfaire , selon une formule souvent citée , les demandes sociales laissées sans réponse du fait de leur non rentabilité et d’offrir à la masse croissante des exclus un moyen d’insertion plus efficace et formateur que les stages parkings. En effet , les bénéficiaires de ces dispositifs sont employés en milieu professionnel normal avec un statut de salarié « qui leur permet de compter de nouveau parmi les actifs de la société parmi ses citoyens ». la grande force de tous ces dispositifs « est d’avoir compris que la réinsertion passe nécessairement par la remise au travail . Redonner un emploi est le premier point d’ancrage de la lutte contre l’exclusion ». En effet le retour à l’emploi présente deux avantages essentiels :
    - il répond à la demande des chômeurs
    - Il redonne aux populations en difficulté des repères de temps et d’espace qui facilitent leur réinsertion .
    D’ailleurs , « partout on constate que cette démarche de remise au travail apporte le plus de résultats : 50 à 70 % d’insertion ou de réinsertion à la sortie d’une entreprise d’insertion en France, 70 % de retour à l’emploi pour les jeunes issus des écoles de production danoise, 90 % de réussite pour le programme Polo.

    2 - IL FAUT REVALORISER LA PLACE DU TRAVAIL DANS LA SOCIETE

    les véritables causes de la crise du lien social dans la société française d’aujourd’hui sont selon le rapport du plan: « ce n’est pas le travail qui manque » , ce qui peut sembler paradoxal quand on dénombre 3 millions de chômeurs. A cela les auteurs de la France malade du travail ajoutent : « ce n’est pas du chômage que souffre la société française. La France est malade parce que le travail a perdu la centralité qui devait être la sienne » . Dès lors , on peut penser que , pour sortir véritablement de la crise du lien social dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, les politiques de création d’emplois , en particulier celles passant par la réduction du temps de travail , ne sont pas suffisantes, elles peuvent même favoriser l’idée que le travail doit occuper de moins en moins de place dans la vie des actifs. Or comme l’écrit C Dejours « l’identité ne peut pas se construire uniquement sur l’espace privé ». B Perret critique les analyses de ceux qui annoncent « sinon la fin du travail, du moins la réduction de son rôle social » . Or « même si son importance quantitative dans l’existence humaine a fortement diminué, même si le lien entre revenu et travail est devenu plus flou, l’emploi reste au coeur des processus d’émancipation individuelle, d’intégration et de partage du pouvoir social. Et le fait qu’il faille toujours moins de travail pour fabriquer un pantalon ou une voiture n’y change pas grand chose. » Dès lors , ne sommes nous pas condamnés , que l’on le veuille ou non , à revaloriser le rôle et la place du travail dans nos sociétés ?

    D Méda s’efforce de critiquer cette conception quand elle écrit : « la philosophie de nos sociétés modernes - en effet malades du travail , mais dans un autre sens que celui que donnent les auteurs précédemment cités à cette expression - tient toute entière dans ce syllogisme : le lien social est en crise , or le travail est le coeur du lien social, donc il faut plus de travail. » C’est toute une conception que rejette un nombre croissant de penseurs qui considèrent que le travail n’a jamais eu pour objectif essentiel de créer du lien social , qu’il sera d’autant moins à même d’occuper ce rôle dans le futur que l’on ne voit pas comment l’on pourrait créer suffisamment d’emplois pour que le chômage ne soit plus d’actualité . Dès lors ne faut-il pas envisager de nouvelles sources de lien social assurant l’intégration des individus?

    II - CETTE VISION EST CONTESTABLE , IL FAUT INNOVER , TROUVER DE NOUVELLES SOURCES DE LIEN SOCIAL ASSURANT L’INTEGRATION DES INDIVIDUS A LA SOCIETE.

    A - LE TRAVAIL N’A CREE DU LIEN SOCIAL QU’ACCESSOIREMENT , CE N’EST PAS SON OBJECTIF.

    1 - UNE CRITIQUE DE L’ANALYSE SMITHIENNE DE LA PLACE DU TRAVAIL DANS LA SOCIETE.

    Nous avons vu dans la partie I le point de vue optimiste , voire idéaliste d’A Smith , selon lequel , le travail et l’échange marchand suffisent à assurer à eux seuls la totalité du lien social .Or la vision de SMITH qui suppose que l’échange marchand repose sur des bases naturelles (l’homme a un instinct qui le pousse à échanger) est fortement critiquable . En effet si l’échange est présent dans toutes les sociétés , il n’a joué dans aucune le rôle central qu’il joue dans la notre . Mais surtout les sociétés traditionnelles refusaient l’échange marchand , car elles avaient compris que celui ci pourrait bien être destructeur du lien social. En effet si les théoriciens du 18 ème siècle comme Smith , comme Turgot (un des pionniers de la destruction des communautés) , comme Montesquieu (le doux commerce doit assurer la paix) font preuve d’un fort optimisme , la réalité observable au 19 ème va conduire à sa relativisation . On constate en effet durant la révolution industrielle une destruction du lien social traditionnel ( le lien communautaire qui était certes contraignant, mais qui était aussi protecteur) qui n’est pas remplacé par un nouveau lien social, ce qui conduit à l’apparition de ce que l’on appelle au 19 ème une nouvelle pauvreté (déjà!): le paupérisme. Celle ci semble à cette époque résulter directement de l’introduction et du développement de l’industrialisation : dans un style un peu ampoulé , le futur Napoleon III écrivait « véritable saturne du travail, l’industrie dévore ses enfants et ne vit que de leur mort ». Ceci semble provenir de l’inégalité fondamentale qui existe entre les coéchangistes dans le cadre du contrat de travail. Comme l’écrit R Castel : « la promotion du contrat de travail débouche sur la découverte de l’impuissance du contrat à fonder un ordre stable », On peut se demander pourquoi. La réponse se trouve dans la critique de la conception de Smith, mais aussi de celle des législateurs de la révolution française . Ils ont cru qu’en détruisant les communautés , en rendant les hommes libres et égaux en droit , le contrat de travail débouchait forcément sur une amélioration du bien être de tous les individus, créait du lien social en les rendant interdépendants . Or l’égalité et l’interdépendance ne sont que de façade : comme l’écrit R Castel : « si l’on abolit les protections traditionnelles, on risque de faire affleurer, non point la rationalité des lois naturelles, mais la puissance biologique des instincts, les démunis seront alors poussés par la nécessité naturelle , c’est à dire par la faim. (..) L’employeur , lui, peut attendre il peut contracter librement, car il n’est pas sous l’empire du besoin. Le travailleur est déterminé biologiquement à vendre sa force de travail parce qu’il est dans dans l’urgence, il a besoin dès maintenant de son salaire pour survivre ». La recherche des intérêts individuels qui sont divergents (et non complémentaires comme dans l’analyse smithienne) conduit alors à une amélioration du bien être du patronat, à une détérioration de celui des ouvriers . Tocqueville peut même écrire : « non seulement les riches ne sont pas unis solidement entre eux , mais on peut dire qu’il n’y a pas véritablement de lien véritable entre le pauvre et le riche. Ils ne sont pas fixés à perpétuité l’un près de l’autre, à chaque instant l’intérêt les approche et les sépare(...) . Le manufacturier ne demande à l’ouvrier que son travail, et l’ouvrier n’attend de lui que le salaire. L’un ne s’engage point à protéger, ni l’autre à défendre, et ils ne sont liés d’une manière permanente , ni par l’habitude, ni par le devoir. » Tocqueville oppose alors à l’aristocratie industrielle celle de l’ancien régime: « l’aristocratie territoriale des siècles passés était obligée par la loi, ou se croyait obligée par les moeurs, de venir au secours de ses serviteurs et de soulager leurs misères. Mais l’aristocratie manufacturière de nos jours, après avoir appauvri et abruti les hommes dont elle se sert, les livre en temps de crise à la charité publique pour les nourrir » Tocqueville se fait ici le défenseur d’un certain conservatisme social qui regrette le temps des communautés, il n’en reste pas moins que sa vision exprime particulièrement la situation dominante durant le 19 ème siècle : on assiste simultanément à un développement de la pauvreté et à une destruction du lien social . Deux conceptions vont alors s’opposer : la première considère que ces tendances ne sont que provisoires , le développement de l’anomie que l’on observe ailleurs ne fait que traduire le passage de la société traditionnelle à la société moderne : ce sera le point de vue optimiste de Durkheim et des libéraux . La seconde au contraire considère que structurellement le travail et l’échange marchand ne sont pas capables de générer un lien social suffisamment durable pour assurer l’intégration des individus à la société.

    2 - LES TRENTE GLORIEUSES : UNE PARENTHESE ?

    Durant tout le 19ème siècle , les sociétés ne sont pas véritablement arrivées à sortir des contradiction issues du développement du modèle libéral : l’enrichissement des uns conduisait à la détérioration du bien être de la majorité et à la destruction du lien social . Mais deux évolutions vont conduire à la remise en cause de ce modèle :
    - La première est qu’à partir de la fin du 19 ème siècle les entreprises vont peu à peu se rendre compte qu’elles ont besoin de stabiliser leur main d’oeuvre, elles vont donc s’efforcer de retenir leurs salariés en développant le patronage, qui à terme se généralisera sous la forme de l’Etat providence.
    - La seconde, qui est bien exprimée par la crise de 29, montre que les entreprises vont observer qu’elles ont besoin de débouchés pour absorber une production qui ne cesse d’augmenter . Elles vont alors se résoudre à accepter une augmentation des salaires , l’instauration de l’Etat Providence, qui doivent permettre aux salariés de consommer et d’être les premiers clients de leurs entreprises (Ford).
    Toute la question est alors de savoir si le développement de la régulation fordiste durant les trente glorieuses qui a permis l’instauration du salariat et de tous les droits y afférents permet d’assurer un lien social durable. Ou si au contraire on ne doit pas considérer que la période des trente glorieuses n’a été qu’une parenthèse durant laquelle les objectifs recherchés par le travail et l’échange marchands et ceux du travail en tant que lien social ont été provisoirement complémentaires . Mais que structurellement le travail n’est pas capable à lui tout seul de prendre en charge le lien social ; car ce n’est pas l’objectif qu’il vise .

    3 - LE TRAVAIL ET L’ECHANGE MARCHAND NE SONT PAS STRUCTURELLEMENT CREATEURS DE LIEN SOCIAL.

    Nous avons vu dans la première partie que le travail assurait l’intégration des individus et le lien social car il permettait tout à la fois :
    - l’apprentissage de la vie sociale : il nous apprend les contraintes de la vie avec les autres ;
    - il est la mesure des échanges sociaux: il est la norme sociale et la clé de contribution-rétribution sur quoi repose le lien social;
    - il permet à chacun d’avoir une utilité sociale : chacun contribue à la vie sociale en adaptant ses capacités aux besoins sociaux;
    - il est enfin un lieu de rencontres et de coopération , opposé aux lieux non publics que sont le couple ou la famille.
    Il faut maintenant que nous nous demandions si le travail a réellement pour objectif de prendre en charge ces différentes missions.

    4 - LE TRAVAIL GENERATEUR DE LIEN SOCIAL « PAR ACCIDENT »

    D Méda pose la question suivante : « tentons de comprendre si c’est le travail en soi qui est générateur de lien social ou s’il n’exerce aujourd’hui ces fonctions particulières que par accident . ». Elle poursuit : « réglons d’un mot la question de la norme : dans une société régie par le travail , où celui ci est non seulement le moyen d’acquérir un revenu, mais constitue également l’occupation de la majeur partie du temps socialisé, il est évident que les individus qui en sont tenus à l’écart en souffrent. Les enquêtes réalisées chez les chômeurs ou les Rrmistes et qui montrent que ceux ci ne veulent pas seulement d’un revenu mais aussi du travail, ne doivent pas être mal interprétées. Elles mettent certainement moins en évidence la volonté de ces personnes d’exercer un travail que le désir de vouloir être comme les autres, d’être utiles à la société , de ne pas être assistés. On ne peut pas en déduire un appétit naturel pour le travail et faire comme si nous disposions là d’une population test qui nous permettrait de savoir ce qu’il en est, en vérité du besoin de travail. Mais nonobstant la question de la norme, le travail est-il le seul moyen d’établir et de maintenir le lien social, et le permet-il réellement lui même? Cette question mérite d’être posée car c’est au nom d’un tel raisonnement que toutes les mesures conservatoires du travail sont prises: lui seul permettrait le lien social, il n’y aurait pas de solution de rechange. Or , que constatons nous ? Que l’on attend du médium (moyen) qu’est le travail la constitution d’un espace social permettant l’apprentissage de la vie avec les autres, la coopération et la collaboration des individus, la possibilité pour chacun d’eux de prouver son utilité sociale et de s’attirer ainsi la reconnaissance. Le travail permet-il cela ? Ce n’est pas certain, car là n’est pas son but : il n’a pas été inventé dans le but de voir des individus rassemblés réaliser une oeuvre commune. Dès lors, le travail est, certes, un moyen d’apprendre la vie en société, de se rencontrer , de se sociabiliser, voire d’être socialement utile, mais il l’est de manière dérivée ». En effet le but du travail , en particulier dans l’analyse libérale, est de satisfaire ses besoins matériels, non pas de générer une relation sociale. Un bon exemple nous en est fourni par un thème aujourd’hui à la mode : l’entreprise citoyenne . Qu’est ce qu’une entreprise citoyenne ? C’est selon les discours dominants : un haut lieu de socialisation, celui où s’épanouirait le collectif de travail, ou s’acquerraient les identités, où se développerait une solidarité objective. Donc en plus des ses fonctions de production, l’entreprise assurerait d’autres fonctions de nature sociale , permettant l’expression, la cohésion , la sociabilité des salariés. L’entreprise société en miniature serait devenue un haut lieu de la vie sociale. Or qu’en est-il en réalité ? L’entreprise a pour vocation de combiner différents facteurs de production pour aboutir à un produit en réalisant un profit. D’où 2 conséquences immédiates :
    - d’abord la réalisation d’une communauté de travail ne fait pas partie de ses objectifs et n’appartient pas à son concept.
    - Ensuite et c’est le point essentiel l’entreprise est tout simplement l’antithèse d’une société démocratique, pour reprendre la substance de l’expression entreprise citoyenne . Ceci ne veut pas dire que l’entreprise soit un lieu antidémocratique, mais simplement que cette catégorie ne peut lui être appliquée. Le lien de citoyenneté concerne en effet des égaux qui , par le suffrage, selon le principe un individu=une voix décident collectivement des fins à rechercher. L’entreprise est exactement le contraire : le contrat de travail salarié est un lien de subordination qui est l’inverse du lien de citoyenneté . Dès lors , le lien social généré par l’entreprise s’il existe, ne peut-être tenu comme représentatif du lien social existant dans nos sociétés démocratiques. Dans le cadre de la production fordiste , le surplus de revenu et de bien être accordé au salarié l’est au prix d’une subordination dans le cadre de l’entreprise : l’ouvrier fordien subissant les directives des bureaux , le rythme de travail imposé par les machines . La tendance actuelle qui se caractérise par une forte augmentation des licenciements met en évidence le lien purement conjoncturel qui attache les salariés aux entreprises. Ceux ci n’appartiennent pas substantiellement à l’entreprise , puisque son identité n’est pas affectée par leur départ. On se rend donc bien compte que « lorsqu’elle se dissout sous les chocs externes , elle montre que sa nature réelle est d’être un ensemble d’individus dont ni la présence, ni la coopération ne sont nécessaires. Ses fins ne sont ni celles d’un lieu démocratique, ni celles d’une communauté réalisée en vue du bien de ses membres. »C’est ce que constate D Méda dans le doc 14 quand elle considère que le lien politique est plus fondateur que le lien issu du travail . Elle écrit : « le lien social , c’est ce qui fonde la coappartenance des individus à un même espace social, ce qui fait qu’ils sont tous membres d’une même société, donc que tous à la fois ils acquiescent à l’ensemble des règles qui régissent celles la et qu’ils agissent perpétuellement - et telle est la fonction du citoyen - pour adapter ce lien conformément au type de société qu’ils voudraient . Autrement dit, le lien social , c’est d’abord et avant tout le lien politique, à travers lequel les individus sont déjà tenus et à travers lequel ils décident ensemble des règles fondamentales qui déterminent la vie en société, c’est à dire de la constitution des lois, des institutions politiques, des modes de fonctionnement démocratiques. La vraie figure du lien social, c’est à dire ce qui fait que nous, français, sommes 58 millions d’individus à former une société particulière, déterminée, spécifique, c’est le lien social ». La crise actuelle semble être un bon révélateur de l’incapacité du travail et de l’échange marchands à assurer un lien social durable .

    B - AUJOURD’HUI LE TRAVAIL EST DESTRUCTEUR DE LIEN SOCIAL, ET CECI SEMBLE ETRE UNE TENDANCE DE LONG TERME.

    1 - UN CONSTAT.

    Les chiffres sont à cet égard révélateurs :
    - le taux de chômage touche plus d’un actif sur dix aujourd’hui, 1 jeune sur 4. Sur les deux dernières années un quart des ménages ont vu un de leurs membres subir le chômage.
    - ces chômeurs ont un probabilité non négligeable , en particulier quand ils sont âgés , de rester durablement exclus du marché du travail : c’est le cas de plus d’un chômeur sur 3 aujourd’hui.
    - Les actifs qui ont la chance de conserver ou d’obtenir un emploi , ont une probabilité de moins en moins importante de bénéficier du statut de salarié fordien , avec tous les avantages y afférents (CDI, etc.).En effet la part des emplois précaires (elle concerne un salarié sur 10), et des actifs à temps partiel (un actif su 16) ne cesse de se développer.
    - Enfin et ce n’est pas le constat le plus engageant on dénombre selon un article du monde diplomatique près de six millions de personnes en situation de précarité, et qui risquent donc d’être exclues.
    Or qu’est ce qui est à l’origine de ce constat sinon la formidable capacité d’exclusion du marché du travail aujourd’hui.

    2 - LA CAPACITE D’EXCLUSION DU MARCHE DU TRAVAIL .

    Nous venons de le voir le nombre d’exclus ne cesse d’augmenter , or la question essentielle n’est pas celle que nous nous posions dans la première partie : comment réinsérer les individus dans la société , mais bien par quel processus les individu sont-ils été exclus . Et là on voit bien que le travail n’est pas capable d’assurer du lien social, puisque c’est la crise du travail qui est à l’origine de l’exclusion comme le constate R CasteL: « quel peut être le destin social d’un jeune homme ou d’une jeune femme - ces cas commencent à se présenter - qui après quelques années de galère devient Rmiste à 25 ans ». La question est d’autant plus grave que les capacités d’exclusion du marché du travail semblent se concentrer sur les populations défavorisées . On peut ici opposer deux modèles:
    - durant les 30 glorieuses les populations non qualifiées issues de l’exode rural ou de l’immigration ont pu obtenir un emploi , car dans le cadre du fordisme les entreprises avaient besoin de salariés solides physiquement pour travailler à la chaîne , c’était alors la seule qualité qu’on leur demandait . Ces populations ont pu s’intégrer au mode de vie dominant par les augmentations de salaire qui leur ont permis d’acquérir les biens typiques de l’american way of life , ce qui leur a permis de fournir des débouchés aux entreprises qui ont pu embaucher. On avait alors un cercle vertueux de l’intégration par le travail.
    - Au contraire aujourd’hui les qualités requises par les entreprises ont beaucoup évolué « connaissances et savoir-faire spécialisé sont, certes, plus que jamais nécessaires pour occuper certains emplois, mais en règle générale, cela ne suffit plus: la valorisation de la compétence technique suppose une capacité de mise en situation , des compétences sociales telles que le langage, la flexibilité comportementale, l’intuition stratégique , tout ce qui permet d’agir au sein d’un système social différencié, de participer à des activités collectives nécessitant des formes élaborées de coopération . (...) Or les compétences sociales sont, par nature, plus difficiles à identifier et à évaluer et pratiquement impossibles à formaliser dans des diplômes ou des qualification reconnues ». Dès lors , le marché du travail devient beaucoup plus sélectif , et les populations défavorisées qui présentent mal, qui ont un langage moins recherché , risque d’être exclues du marché du travail , ce qui renforcera le risque d’exclusion sociale . On assiste alors à un cercle vicieux : plus l’individu est intégré à la société, appartient à une catégorie favorisée plus ses chances d’obtenir un emploi seront élevées, et inversement . Quand le marché du travail devient demandeur, la file d’attente pour trouver du travail s’allonge, et les entreprises sélectionnent les individus qui sont les plus conformes à leur souhait . Si les catégories défavorisées ont une telle probabilité d’être au chômage c’est que la file d’attente est longue , et que leur espoir de retrouver un emploi demeure réduit tant que ceux qui sont devant dans la file d’attente n’ont pas retrouvé un emploi . Or on peut douter de la capacité du marché du travail à générer suffisamment d’emplois pour réduire durablement le chômage .

    3 - SEMBLE ETRE UNE TENDANCE LOURDE.

    B Perret écrit que « l’opinion constate que l’industrie supprime inexorablement des emplois sous l’effet de l’automatisation et de la concurrence des pays à bas coût de main-d’oeuvre, et que rien dans les innovations récentes ne semble en mesure de prendre le relais de l’automobile, du réfrigérateur et de la télévision comme moteur de l’expansion ». Pour lutter contre le risque de chômage les individus poursuivent des études de plus en plus longues . Le taux d’activité des 15 -25 ans ne cesse de diminuer , passant de 57 à 38 %. A l’autre extrémité de la vie , toujours pour lutter contre le chômage on multiplie les préretraites , le taux d’activité des 55 - 65 diminue lui aussi de 57 à 38 %. On constate donc que le nombre d’individus ayant un emploi ne cesse de diminuer, que cette tendance semble être une tendance de long terme contre laquelle il sera difficile de lutter . La solution mise en avant pour réduire le chômage étant le partage du travail par sa réduction , on voit donc bien que le travail occupera une part de plus en plus faible de la vie des individus, qui disposeront alors de temps libre pour faire d’autres activités . Le travail perdra donc sa centralité .

    C - D’OU LA NECESSITE DE REINSERER LES INDIVIDUS DANS LA SOCIETE EN REINVENTANT DE NOUVELLES SOURCES DE LIEN SOCIAL.

    1 - LES NOUVELLES VOIES A EXPERIMENTER .

    Les propositions qui sont faites pour renouveler le lien social sont très diverses . Certains auteurs sont favorables au retour à un lien social plus communautaire . Ils considèrent que pendant 30 ans l’Etat Providence s’est développé et a permis de libérer les individus des contraintes communautaires qui pesaient sur eux : les personnes âgées grâce à la généralisation du système de retraite , à la multiplication des maisons de retraite ne sont plus à la charge de leurs enfants . De même , grâce à l’instauration des assurances maladies et chômage la prise en charge des risques sociaux est désormais assurée par une assurance sociétale qui donne davantage de liberté aux individus. R Castel écrit ainsi : « en établissant des régulations générales et en fondant des droits objectifs, l’Etat social creuse encore la distance par rapport aux groupes d’appartenance qui , à la limite n’ont plus de raison d’être ». Or l’entrée en crise a montré les limites de l’intervention de l’Etat Providence (qui semble lui même en crise) . Comme l’écrivent JB DE Foucauld et D Piveteau : « On ne peut se passer de l’Etat providence pour lutter contre la détresse et l’isolement,, mais on ne peut pas non plus se reposer uniquement sur lui. Or plus la société est individualiste, et plus l’Etat Providence peut donner l’illusion qu’il peut assumer seul les tâches de solidarité. Alors même que se délite le tissu de relations personnelles sans lesquelles les outils de l’Etat Providence sont sourds, aveugles et manchots, on tend au contraire à se reposer , à se décharger davantage sur lui. Le voila ainsi pressé de monter au front pour des missions dont il n’est pas capable. Ce qui alimente la déception, et nourrit une critique injuste et excessive de son action. » . Les auteurs en sont alors conduits à ne plus laisser l’individu seul face à l’Etat . Ils proposent de renouveler les formes traditionnelles de solidarité : familiale , de voisinage , etc. Toute la difficulté est que celles ci sont souvent en crise (cf la crise de la famille). Il serait alors nécessaire d’en inventer de nouvelles qui s’appuieraient sur la remise en cause du travail comme source du lien social . Comme l’écrivent JB DE Foucauld et D Piveteau : « le chômeur de longue durée qui est à la fois exclu de l’emploi du lien social et du sens, représente, sans le vouloir ni le savoir, une sorte de tragique avant-garde. Il est la pointe avancée des nouvelles contradictions et des nouvelles impasses de notre société, celles qui doivent nous conduire à formuler un projet politique qui porte à la fois sur le sens, sur le lien social et sur l’emploi. Il faut bien sur faire en sorte qu’il y ait du travail pour ceux qui en attendent. Mais il faut, en parallèle, diversifier les sources du sens et de l’identité. Oui à une croissance plus riche en emplois, mais à condition de ne pas se contenter, et d’amorcer une diversification de notre mode de développement » . Méda ne dit pas autre chose quand elle écrit (doc 14) : « un surcroît de parole et d’activité politique c’est aujourd’hui la réponse la plus intelligente, la plus digne et la plus susceptible de servir de modèle à des sociétés mondialisées, dont les membres sont de plus en plus mis à l’écart. Dès lors la force du lien social -d’abord lien politique- constituerait bien la ressource majeure à mobiliser en cette époque troublée. Le comprendre impliquerait d’opérer une double redistribution : celle de l’activité politique d’abord, celle du travail ensuite ,redevenu un des modes du lien social mais non son seul support ». Parmi les nouvelles formes de participation à la société qui sont envisageables GORZ , Foucauld ET Piveteau insistent en particulier sur les protocoles de temps choisi comme par exemple « le bénévolat associatif, lorsqu’il est exercé avec la quasi régularité d’un travail ». D’autre auteurs insistent sur le développement des loisirs dont la possibilité résulte de la réduction du temps de travail ou de l’inactivité forcée résultant du chômage . Tout le problème est que ces activités ne se développeront pas tant qu’elles ne seront pas légitimées par l’Etat et la société .

    2 - UN TRAVAIL DE LEGITIMATION DES NOUVELLES SOURCES D’IDENTITE S’AVERE NECESSAIRE.

    En effet JB DE Foucauld et D Piveteau écrivent : « lorsque pour reprendre l’expression de P Boulte , les sources de l’identité se raréfient, le travail rémunéré apparaît comme une bouée de sauvetage, particulièrement s’il repose sur des relations juridiques claires. Alors qu’au contraire , le bénévolat , les activités domestiques , l’éducation des enfants ou l’investissement dans les loisirs culturels ou artistiques qui constituent des positions sociales moins encadrées et moins charpentées , ne pèsent apparemment pas du même poids. » R Castel surenchérit : « la vie sociale ne fonctionne pas seulement au travail, et il est toujours bon d’avoir plusieurs cordes à son arc, loisirs culture, participation à d’autres activités valorisantes .... Mais, sauf pour les minorités de privilégiés ou de petits groupes qui acceptent de subir l’opprobre social ( cf les jeunes des banlieues), ce qui permet de tendre l’arc et de faire partir les flèches dans plusieurs directions, c’est une force tirée du travail » (doc 3). Dés lors : « le projet personnel et le projet professionnel deviennent des vases communicants, et si le niveau reflue dans l’un , il refluera aussi dans l’autre. Alors très logiquement on se cramponne à son métier et on y investit . (...) C’est la spirale de la fragilité : pour conjurer le risque où l’on est de se retrouver dépourvu de tout, on orchestre soi même son propre appauvrissement » Pour que les individus s’investissent réellement dans des activités qui ne relèvent pas du travail salarié , il faut donc que celles ci soient légitimées : « tout un potentiel d’initiatives reste en jachère faute de pouvoir s’inscrire dans des cadres qui fixent un peu leur ossature, et leur donnent de la respectabilité. En aidant à ce que d’autres activités inspirent la même considération que le contrat de travail ou le statut de fonctionnaire, l’Etat favoriserait un nouveau dynamisme de la société, contribuerait à élargir les sources de l’identité, et oeuvrerait à un nouvel équilibre de notre mode de développement » Toute la question est de savoir si l’Etat peut et veut le faire , et si son intervention serait suffisante pour remettre en cause deux siècles de domination du lien social par le travail ?
























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