Une jeunesse difficile : portrait économique et social de la jeunesse française


UNE JEUNESSE DIFFICILE : Portrait économique et social de la jeunesse française coordonné par D Cohen :
À quelques mois d’intervalle, deux visages de la jeunesse française ont fait irruption dans le débat politique : la jeunesse des banlieues à l’automne 2005, puis la jeunesse estudiantine, au printemps 2006. Elles ont rappelé à l’opinion publique ce que sociologues et économistes soulignaient depuis longtemps : la jeunesse est en première ligne des ruptures qui ont accompagné les mutations de la société. Un fait invite à réfléchir : en France, comme dans la majeure partie des pays développés, le suicide des jeunes ne cesse de croître, défiant les lois de la sociologie établies depuis Durkheim selon lesquelles le suicide est l’apanage des vieux. Les jeunes paient cher les retards de la société à reconnaître les difficultés nouvelles auxquelles ils doivent désormais faire face.
Pour tracer le portrait économique et social de la jeunesse contemporaine, il n’est pas inutile de rappeler ce que furent ses modèles antérieurs.
Deux modèles sociaux d’entrée dans la vie ont longtemps distingué d’un
côté une jeunesse étudiante et bourgeoise et de l’autre une mise au travail
précoce qui était la norme parmi les classes populaires1.
  • Le premier modèle se traduisait pour les garçons par une période plus ou moins longue entre la fin du lycée et l’accès à une profession, meublée d’études, de rencontres,d’expériences amoureuses et de loisirs financés par la famille. Le mariage et l’accès à une profession stable venaient mettre un terme à cette période de jeunesse.
  • Jeunesse dont les membres masculins des classes populaires se trouvaient privés : pour eux, le service militaire marquait une césure
    définitive avec la vie adolescente. La fin du service, le mariage et la prise d’un emploi définitif se succédaient en quelques mois.
    S’ils n’étaient pas symétriques, ces deux modèles de passage à la vie
    adulte ne manquaient pas de se compenser. Privés d’une formation longue et des plaisirs de la jeunesse estudiantine, les jeunes de milieu populaire accédaient plus vite à un statut d’adulte de plein droit et à la maturité sociale et psychologique qui en découlait. Leur statut de travailleur leur permettait de ne plus dépendre de leur famille d’origine et d’accéder aux responsabilités de chef de famille. Ce qu’ils perdaient en salaire et en formation, ils le gagnaient en expérience de la vie et en maturité.

La crise de l’emploi a porté un coup mortel au modèle ouvrier de passage à l’âge adulte où il importait d’abord que, le plus tôt possible, le jeune ait un bon métier, puisse gagner sa vie et fonder une famille. Du fait de la précarité nouvelle de l’accès à l’emploi, les jeunes ouvriers sont désormais dépendants de leur famille d’origine, ce qui les place en porte à faux à la fois vis-à-vis des modèles traditionnels et des tendances individualistes de la société moderne.
La démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur est le second trait qui bouleverse la signification d’une entrée précoce dans la vie professionnelle.Pour ne prendre qu’un exemple, en 1969, 57 % des emplois de cadres supérieurs sont occupés par des titulaires d’une licence (au moins). Cela signifie que 43 % d’entre eux ne disposent pas de ce bagage : une véritable promotion est possible, pour les jeunes issus des milieux populaires et non diplômés. Aujourd’hui 75 % des emplois de cadres supérieurs sont occupés par des licenciés : la part de la promotion interne devient beaucoup plus difficile, l’accès à un diplôme de l’enseignement supérieur tend à devenir une condition sine qua non de la promotion sociale.
Pour les jeunes diplômés, les « jeunes bourgeois » d’hier, la situation n’est pas moins rude. Le diplôme rendait alors quasi automatique l’accès à un emploi de cadre, aujourd’hui seuls 48 % des emplois non qualifiés sont effectués par des sans diplôme, contre 83 % hier.
Ces données jettent une lumière crue sur la nature des profondes transformations intervenues au cours des trente dernières années. À la fin des années 1960, tout le monde y trouvait son compte : les diplômés
parce que leurs titres de l’enseignement supérieur leur assuraient à 30 ans un statut de cadre près (ou plus) de huit fois sur dix. Les non-diplômés parce que loin d’être saturées par les diplômés frais émoulus de leurs écoles, les catégories de cadres, moyens et supérieurs, leur étaient encore largement ouvertes et accessibles. Ce petit moment de bonheur partagé faisait la part belle à la méritocratie scolaire tout en favorisant la promotion interne acquise sur fond d’expérience.
Les relations entre diplômes et emplois sont désormais beaucoup plus tendues. Sans diplôme correspondant au niveau du poste, les chances d’accès tendent désormais vers zéro. Rien n’interdit de penser que ceux qui, hier, auraient profité de la promotion encore ouverte aux non-diplômés sont ceux-là mêmes qui ont profité aujourd’hui de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. Selon cette interprétation, la période récente n’a pas détérioré les règles de promotion sociale des ouvriers, mais en a seulement changé superficiellement la forme.
Une autre interprétation, plus pessimiste, fait valoir que ce n’est pas la
même chose de savoir dès l’âge de 20 ans si l’on aura accès à la promotion ouverte aux diplômés, ou si l’on en est irrémédiablement exclu. Le « voile de l’ignorance » sur son propre destin est un élément qui donne espoir. S’il est levé trop tôt, le désespoir naît, même s’il masque l’illusion d’une promotion qui ne viendra pas.
Quelle que soit l’interprétation que l’on voudra donner de cette évolution,
les effets éventuellement pervers de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur ne doivent pourtant pas conduire à jeter le bébé
avec l’eau du bain.

Pour lire la suite : http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS6.pdf

0 commentaires: