Les États-Unis battent un record d’inégalités vieux de 80 ans !
"La nouvelle aurait dû faire la « une » des médias si l’on accordait autant d’importance aux indicateurs sociaux qu’à la croissance économique ou aux performances boursières. Il est rare qu’un record mette près de 80 ans à être battu. Mais les politiques néolibérales au service des nantis et des actionnaires, appliquées avec obstination depuis les années 1980 aux États-Unis et ailleurs, ont permis cette « performance ». Une étude très récente (15 mars 2008) d’Emmanuel Saez, économiste à Berkeley (Californie), en fournit les preuves.
La courbe obtenue par Emmanuel Saez (à la page 6 de son texte) fait partie de ces rares graphiques dont on aimerait qu’ils fassent le tour du monde et la couverture des magazines, en alternance avec des courbes semblables sur l’empreinte écologique des nations… Qu’y voit-on ?
1) En début de période, de 1917 à 1928, les 10 % les plus riches voient leur part du gâteau national progresser nettement, passant de 40 % à 49 %. Un déclin modeste commence ensuite, de 1928 à 1939, suivi par un plongeon pendant la guerre, ou cette part chute à 33-34 %. Plus étonnant est le fait que ce niveau assez bas reste de mise ensuite, à partir de 1945, pendant les « Trente Glorieuses » et jusqu’à la fin des années 1970. Plus de trois décennies d’inégalités relativement réduites, selon ce critère.
2) À partir de 1981-82, années charnières pour les inégalités, y compris en France (voir mon essai « En finir avec les inégalités », 2006), un retournement de tendance s’installe puis s’accélère. Le néolibéralisme produit ses impacts délétères, ou, si l’on préfère, il a des effets incroyablement bénéfiques pour les plus riches.
3) Après 25 ans de progression forte et presque continue (juste un mini plongeon entre 2000 et 2002, une situation vite corrigée ensuite), l’année 2006, dernière année pour laquelle on dispose de données, enregistre un record historique : LES 10 % LES PLUS RICHES DEPASSENT LEUR PERFORMANCE DE 1928 ET, POUR LA PREMIERE FOIS, ILS ACCAPARENT LA MOITIE DU REVENU DES MENAGES.
JG adrey note que la détérioration des inégalités concerne aussi la France :
"En France, l’évolution des inégalités de revenu, évaluée selon les mêmes critères, est moins catastrophique, mais elle suit une tendance semblable, surtout dans la période récente, comme l’a montré la belle étude de Camille Landais dont j’ai rendu compte dans mon premier texte sur ce blog, le 7 septembre 2007 : « Nouvelles estivales d’un pays qui affiche l’égalité au fronton de ses édifices publics ». Entre autres résultats, l’auteur montrait qu’entre 1998 et 2005, la progression du pouvoir d’achat du revenu fiscal des 90 % des ménages du bas n’avait été que de 4,6 %, alors que celle des 1 % les plus riches était de 19,4 %, et celle des 0,01 % les plus riches de 42,6 %. Il concluait ainsi : « Tout en restant un pays plus égalitaire que les pays anglo-saxons en termes de distribution des revenus primaires, la tendance actuelle n’exclut pas que la France puisse converger vers les modèles anglo-saxons. Tous les éléments disponibles pour 2006-2007 laissent d’ailleurs penser que la tendance de croissance des hauts revenus et des hauts salaires se poursuit, voire s’amplifie. ». Voir :
http://www.jourdan.ens.fr/~clandais/documents/htrev.pdf
Jean Gadrey dans un article de son blog intitulé : Il faut tenir bon sur la mesure de la pauvreté !
S'inquiète de la politique mis en oeuvre par m Hirsch : l'objectif annoncé est clair et précis : "Martin Hirsch avait énoncé et fait reprendre par Nicolas Sarkozy, en octobre 2007, un « engagement national contre la pauvreté » (une réduction d’un tiers du nombre de pauvres d’ici 2012)."
Mais selon J Gadrey les moyens mis en oeuvre pour atteindre les résultats sont plutôt surprenants et inquiétants :
On savait depuis des mois qu’il souhaitait changer la mesure de la pauvreté :
« En arrière fond de ces débats, on trouve l’engagement public de réduire de 7 à 5 millions le nombre de pauvres d’ici 2012. Faisons le pari : la seule façon d’y parvenir avec ce qui se profile, en l’absence d’engagements financiers et humains massifs de l’État, sera de changer la définition statistique de la pauvreté… Bien des pauvres sortiront alors avec bonheur des chiffres de la pauvreté »… Il suffit pour cela… « de recourir… à une définition de la pauvreté en termes absolus (l’accès à un panier fixe de biens) et non en termes relatifs (une fraction du revenu médian de la population). »
UN INDICATEUR CENTRAL RECONNU DOMINE EN EUROPE : L'INDICATEUR DE PAUVRETE RELATIVE :
Jean Gadrey écrit :
"En France, en Europe et dans la plupart des pays développés, on évalue prioritairement le nombre de pauvres sur la base des revenus des ménages et d’un seuil de pauvreté monétaire défini en termes relatifs, comme proportion (le plus souvent 60 %) du revenu médian de l’ensemble des ménages. C’est sur cette base que l’on estime qu’en 2005, (dernière année connue dans les statistiques publiées en mai 2008 !), il y avait 7,1 millions de pauvres « au seuil de 60 % » en France, chiffre que citait Martin Hirsch lorsqu’il s’engageait à le réduire de 2 millions. C’est aussi de cette façon que l’on évalue le seuil de pauvreté « à 60 % » à 817 euros
Les arguments en faveur de la définition relative de la pauvreté monétaire sont connus (voir mon article dans Alternatives économiques de juin 2006) : être économiquement pauvre, dans une société donnée, c’est ne pas avoir accès à certains standards de niveau de vie. Or ces standards changent avec le temps. Ce ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’en 1900, ou même en 1960 ou 1980.
Or, depuis des mois, Martin Hirsch s’active pour que l’on change ce thermomètre. Il s’abstient toutefois de parler de pauvreté absolue : il avance masqué, avec une notion de « pauvreté ancrée dans le temps », ce qui est pourtant identique. L’idée est la suivante : on conserverait (dans l’exemple d’une personne seule) le niveau de 817 euros « à prix constants » pour les années à venir, ce qui veut dire que le pouvoir d’achat du nouveau seuil de pauvreté en 2012 serait identique à celui de 2005. Comme, au fil des ans, le revenu médian va progresser à prix constants (il a par exemple augmenté de 11,5 % entre 1998 et 2005), ce seuil de pauvreté immuable sera de plus en plus faible par rapport à la médiane : l’écart se creusera entre les pauvres ainsi comptabilisés et les autres. Selon l’ONPES (Observatoire National de la Pauvreté), cet indicateur « aboutit à dissocier la question de la pauvreté de celle des inégalités et compromet ainsi l’objectif de cohésion sociale ».
1,7 MILLION DE PAUVRES DISPARAISSENT PAR MAGIE
Avec cette méthode, Martin Hirsch pourrait réduire le nombre de pauvres de 1,7 million entre 2006 et 2012 sans rien faire, sauf un tour de passe-passe statistique. En voici la preuve, sur la base d’un exercice rétrospectif. Supposons qu’un homologue de Martin Hirsch ait décidé avant lui de mettre en œuvre un indicateur de pauvreté « ancré en 2000 » et posons-nous la question : combien cela ferait-il disparaître mécaniquement de pauvres des statistiques en 2005 (par rapport à l’indicateur de pauvreté relative) ?
Lorsque Martin Hirsch présentera son bilan, on peut parier qu’il fera tout pour mettre en avant son « indicateur central », celui qui réduit la pauvreté sans rien faire dès lors que le revenu médian progresse. Cette manipulation serait un mauvais coup pour la démocratie statistique, et pour la démocratie tout court. Il faut la dénoncer.
Cette stratégie est d'autant plus inquiétante que : le rapport de l'ONPES 2007-2008 conclut son introduction par :– entre la proclamation de droits universels et la création de dispositifs spécifiques pour les personnes précarisées, qui comportent un risque de stigmatisation;
– entre l’émergence de prestations conditionnelles, comme cela a pu être le cas lors de la mise en place du contrat d’insertion pour les allocataires du RMI, et le développement d’un accompagnement social ou juridique approprié aux personnes les plus en difficulté ;
– entre l’affirmation d’une notion d’opposabilité et la difficulté à rendre effectifs certains droits fondamentaux, comme le droit au logement dans un contexte de pénurie et de coût élevé du parc locatif."
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