La réforme de l'impôt sur les successions en débat


Une des principales réformes annoncée par Nicolas Sarkozy pour relancer le dynamisme de l'économie est la réforme des droits de succession qui est une mesure de mesure de politique économique qui est l'objet de débats chez les économistes :

  • une mesure souhaitée par les français
Comme l'indique L Maurin " Les droits de succession payés lors d’un décès n’ont pas bonne presse en France. 85,8 % des Français souhaiteraient les voir supprimés, selon un sondage HarrisInteractive réalisé en mars dernier.

  • Les mesures proposées par N Sarkozy durant la campagne :

Le candidat Nicolas Sarkozy a bien lu les sondages et a compris l'intérêt des français à leur héritage
«Je voudrais exonérer de droits de succession et de droits de donation 95% des Français. (…) Quand on a travaillé dur toute sa vie, qu’est-ce qui donne du sens à la vie? C’est de faire que ses enfants commencent un peu plus haut que soi-même on a commencé. Eh bien, je ne vois pas pourquoi on devrait payer des impôts sur les successions ou sur les donations.»"

M. Sarkozy dans son discours de Poitiers a dit: « Je souhaite que l’on donne à chacun la liberté de choisir l’école de ses enfants, son temps de travail, l’âge où il cesse de travailler, la liberté de transmettre le fruit de son travail à ses enfants sans droits de succession, de disposer comme il l’entend d’au moins la moitié de son revenu, de prendre sa retraite quand il le veut, et même de travailler autant qu’il le veut après avoir pris sa retraite. "

et il poursuit : "Je m’inscris vigoureusement en faux contre ceux qui considèrent que la suppression de l’impôt sur les successions pour 95 % des ménages est une mesure en faveur de la rente. Qualifier de rentiers toutes ces familles qui n’ont fait que travailler toute leur vie, payer des impôts sur leurs revenus, et dont le seul tort est de préférer laisser quelque chose à leurs enfants plutôt que de consommer eux-mêmes est tout simplement injuste et insultant »

  • les arguments avancés pour justifier la mesure :

P Salin économiste à Dauphine justifie la réforme en écrivant : " La seule réforme qui ait un sens à la fois économique et moral est la suppression de tous les droits de succession. Tout le reste n’est que du bricolage fiscal au gré des opportunités politiques. Même si les droits de succession ont été grandement amputés ces dernières années, ils demeurent un impôt inique, sans légitimité économique et aux
conséquences graves, comme la fuite des capitaux.Mieux, je me place même sur un plan éthique
pour dénoncer cet impôt : comment en effet justifier un prélèvement, qui reste élevé, sur un mort au seul motif qu’il a su se constituer ou entretenir dans sa vie passée un capital ?
Cela remet en cause la légitimité de la propriété du capital et par conséquent la liberté du propriétaire de donner la destination qu’il souhaite à ce capital après sa mort. Cela revient à punir celui qui a fait l’effort toute sa vie d’accumuler un patrimoine, non sans avoir au passage acquitté des impôts souvent importants. C’est toute l’absurdité de la progressivité des droits de succession . (..) La suppression de cet impôt ne serait en rien un « cadeau » fait aux plus fortunés : il n’a tout simplement pas de sens dans un pays qui reconnaît le droit à la propriété privée. "

  • Mais une mesure contestée et contestable :
Pourtant aux USA des self made men se sont opposés à la logique de cette mesure : L’analyse de Philippe Frémeaux, directeur d’Alternatives Economiques (extrait d’une chronique de France Musique):

Warren Buffet, deuxième fortune mondiale, vient de décider, de donner 85 % de sa fortune, à des fondations caritatives, et notamment à la fondation Bill et Melinda Gates, qui finance la recherche médicale et la délivrance de médicaments au profit des populations du tiers monde. Comment analyser ce renouveau de la charité privée ?

Warren Buffet, fondateur de la société d’investissements Bershire Hataway partage avec Bill Gates, le fondateur de Microsoft la conviction qu’il est légitime, pour un individu, d’accumuler une immense fortune si celle-ci provient de sa contribution à la création de richesses. En revanche, ils estiment l’un et l’autre que cela n’a pas de sens de transmettre une telle fortune à leurs descendants et qu’il est plus juste qu’elle revienne à la collectivité sous des formes qu’ils ont l’un et l’autre choisies. Bill Gates avait d’ores et déjà affecté une grande partie de sa fortune à la fondation qu’il a créé avec sa femme. Le voilà rejoint par Warren Buffet.

En résumé, Warren Buffett et Bill Gates ont un comportement qui contredit le programme des partis politiques de droite, aux Etats-Unis comme en Europe...

Tout à fait. Parce qu’ils considèrent que le capitalisme et avec lui, la logique du marché, ne peuvent être légitimes si on ne met aucune limite à la transmission héréditaire de la richesse. La richesse doit d’abord être acquise par le travail, par le talent, et non par le simple fait d’avoir hérité de ses parents. Une société où le pouvoir économique se transmet sans avoir à faire preuve de mérite, a un petit goût d’ancien régime. C’est une société condamnée à la croissance lente, où les rentiers l’emportent sur les créateurs. C’est ce que nous avons connu, en France, au XIXème siècle, avant que la création de l’Impôt sur le revenu progressif et de l’impôt sur les successions ne viennent redistribuer un minimum les cartes, comme l’a bien montré l’économiste Thomas Piketty.

En résumé, vous semblez considérer que l’abolition des droits de succession est nuisible à la croissance ?

Evidemment. Elle est même en contradiction avec l’éthique fondamentale du libéralisme. Elle ne sert qu’à satisfaire une clientèle de petits patrons, de professions libérales aisées, voire de managers avides qui ont accumulé de quoi dispenser leurs enfants de travailler en s’accordant des revenus colossaux. Une société dynamique, une société de croissance, c’est au contraire une société où le travail est valorisé. Et valoriser le travail, c’est donner la priorité aux revenus qu’il engendre, c’est permettre à l’innovateur génial, à l’investisseur astucieux de faire fortune. Ce n’est pas créer une nouvelle aristocratie du capital

Dans une note de lecture sur le livre : Le capitalisme d'héritiers. La crise française du travail par Thomas Philippon au seuil - La république des idées éconoclaste explique : " Les français aiment le travail, les enquêtes internationales le montrent. Il compte même plus dans leur vie que dans la plupart des autres pays développés. Et pourtant, la France est aussi parmi les pays où le chômage est le plus élevé et le taux d'emploi le plus faible. On aime le travail, mais on l'évite. "

Pourquoi donc : "Le paradoxe s'expliquerait par des relations sociales déplorables. Là aussi, les enquêtes montrent que la France est parmi les pays où la satisfaction dans ce domaine est la plus faible. Pourtant, cet indicateur est nettement corrélé à des taux d'emploi élevés et des taux de chômage faibles. "

"D'où vient le mal ? D'un déficit de coopération dans le monde économique, d'une méfiance exacerbée entre individus, plus particulièrement entre groupes : patrons et salariés, cadres et non cadres. Pour l'auteur, les analyses en termes de rigidité du marché du travail expliquent bien moins les mauvaises performances en matière d'emploi que ce déficit de coopération. D'après Thomas Philippon, ce sont pas moins de 70% des différences en matière de taux d'emploi qui sont expliquées par de mauvaises relations sociales dans l'entreprise !"

"A quoi imputer cette insuffisance ? A une forme de capitalisme typiquement français qui repose sur l'héritage. Héritage direct, lorsqu'il s'agit de transmission héréditaire du pouvoir dans les entreprises ; héritage sociologique lorsqu'il s'agit de la logique de reproduction sociale. L'ambition de l'auteur est de montrer que ce fonctionnement institutionnel a un coût économique considérable."

"Il établit tout d'abord un lien historique entre la faiblesse des syndicats à l'aube du vingtième siècle et les mauvaises relations sociales aujourd'hui. La démonstration est menée avec une grande clarté méthodologique. Reste encore à expliquer pourquoi plus d'un siècle après, on aboutit à une persistance des mauvaises relations sociales. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, le capitalisme français n'évolue guère, comparé à celui d'autres pays développés. Le paternalisme, qui n'eut qu'un temps ailleurs, persiste en France, soutenu par le goût des hiérarchies et des statuts. Alors que les autres pays voient le management se professionnaliser, la France reste à l'écart du mouvement et la direction des entreprises y reste largement une affaire de famille. Au sortir de la seconde guerre mondiale, c'est une régulation bureaucratique qui prend le relai du paternalisme pour réguler les conflits du travail"

"Le capitalisme familial sert de rempart au libéralisme. Le capitalisme familial a deux dimensions. La première a trait au contrôle patrimonial de l'entreprise ; la seconde se réfère au management de l'entreprise. En matière de contrôle, près de 65% des entreprises françaises cotées sont contrôlées par un actionnariat familial (contre 24% en Grande Bretagne). Cette situation semble répondre à l'hostilité des relations sociales. Les entreprises familiales tendent à les pacifier. Le revers de la médaille réside dans des pratiques managériales spécifiques qui semblent peu propices à élever la productivité et favoriser la croissance de l'entreprise. En matière de gestion des ressources humaines, elles on tendance à figer les situations et limiter l'émancipation des travailleurs. Globalement, ce trait spécifique du management des entreprises françaises est sans effet notable sur leur niveau technologique, mais se ressent négativement en matière organisationnelle. En définitive, le contrôle familial de l'actionnariat est probablement neutre en matière de performances économiques (il est certes un frein à la croissance, mais évite les excès de celle-ci dans le cadre d'un actionnariat dispersé où les dirigeants ont plus de marges de manoeuvre). Il n'en va pas de même en matière de transmission héréditaire du management. Il suscite guerres de succession et restreint le vivier de compétences en se limitant au giron familial.

Comment mesurer les méfaits du capitalisme d'héritier ? En observant tout d'abord le rejet des français pour l'entreprise, les entreprises françaises très spécifiquement. Dans la plupart des pays, la question des entreprises où il est agréable de travailler débouche sur un classement où les premières places sont largement occupées par des firmes nationales. Pas en France, où la plupart des entreprises où il fait bon vivre sont des filiales d'entreprises étrangèresAu rayon des solutions, Philippon retient quelques pistes indicatives. Au sujet de la transmission d'entreprises, "la plus mauvais idée si l'on veut améliorer les relations dans l'entreprise, la justice sociale et la performance économique de l'économie française à long terme serait de supprimer l'impôt sur les successions. [...] Il devrait être aussi facile pour un entrepreneur de transmettre son entreprise à sa fille ou à son fils spirituel qu'à sa fille ou à son fils naturel(le). Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui, car la transmission en ligne directe est nettement plus facile et moins onéreuse que les autres.". En matière de croissance des PME, l'auteur retient une option simple : développer le système financier pour que les comportements à l'égard du risque des entreprises familiales puisse s'accorder avec les besoins en matière d'innovation, par le biais d'investisseurs plus disposés à supporter les risques

T Piketty explique dans une analyse comme toujours pertinente : " L’expérience du XXe siècle suggère que des sociétés trop évidemment inégales sont intrinsèquement instables. L’étude du siècle passé confirme qu’une trop forte concentration du capital peut avoir des conséquences négatives en termes d’efficacité économique, et pas seulement du point de vue de la justice sociale. Il est fort possible que l’aplatissement des inégalités patrimoniales survenu au cours de la période 1914-1945, en accélérant le déclin des anciennes dynasties capitalistes et en favorisant l’émergence de nouvelles générations d’entrepreneurs, ait contribué à dynamiser les économies occidentales des « trente glorieuses ». L’impôt progressif a le mérite d’empêcher que se reconstituent des situations analogues à celle qui prévalait à la veille de la première guerre mondiale, et sa mise à mal pourrait avoir pour effet de long terme une certaine sclérose économique.."

L’impôt sur les successions constitue en effet une manière de remettre les pendules à l’heure en évitant que les fortunes se transmettent trop facilement. De quoi favoriser ceux qui créent de la richesse eux-mêmes, plutôt que ceux qui la reçoivent de leurs parents. « Il n’existe aucune justification économique solide pour réduire massivement un impôt sur les successions rapportant déjà si peu », relevait de son côté l’économiste Thomas Piketty dès l’été dernier , observant que cet impôt ne pèse aujourd’hui que 0,4 point de produit intérieur brut (PIB), contre un point au début du siècle.


En effet, comme pour l’impôt sur le revenu, si le taux maximal affiché paraît élevé, il ne s’applique en pratique qu’à une poignée de contribuables. Ainsi, entre époux ou en ligne directe, le taux de 40
% ne s’applique que sur la partie du patrimoine supérieure à… 1,7 million d’euros, ce qui ne concerne que le 1 % des plus fortunés. Rien à voir avec le fruit du dur labeur d’un ouvrier ou même des classes moyennes aisées ! Un smicard qui arriverait à épargner 300 euros par mois – ce qui n’est pas mince, puisque cela représente un tiers de son revenu – devrait travailler 472 ans pour arriver à mettre de côté une telle somme. Quant au ménage aux revenus médians , il devrait vivre deux siècles…

Conclusion de Guillaume Allègre, économiste à l’OFCE : « Les droits de succession ne peuvent pas s’apparenter à une confiscation des fruits du travail ».


Une mesure économique qui ne peut donc être complètement justifiée par des critères d'efficacité, mais en plus une mesure couteuse en ces temps d'austérité et de dérapage non controlé du déficit et de la dette
"Un choix politique coûteux pour les finances publiques : la mesure conduirait l’Etat à renoncer à 5 milliards d’euros par an (sur 7 milliards de recettes au total), de quoi par exemple construire 42 000 logements sociaux par an et loger 170 000 personnes, ou multiplier par 8 le budget des zones d’éducation prioritaires..."

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