les effets programmés de la suppression de la carte scolaire

Sur le site de l'école démocratique : L'école démocratique un article de Nico Hirtt qui s'interroge sur les effets de la suppression de la carte scolaire :
"Le nouveau président français a également annoncé sa volonté d’en finir avec le « collège unique », qui retarde l’orientation jusqu’au seuil de l’enseignement secondaire supérieur (le lycée). Il estime qu’une trop grande inégalité de performances entre élèves produirait une « baisse de niveau » dont souffrirent particulièrement les jeunes de milieux populaires, car ils ne peuvent pas facilement échapper à ces classes hétérogènes. D’autres pensent au contraire qu’une orientation plus précoce prendra forcément la forme d’une sélection sociale et viendra donc, derechef, accroître la ségrégation sociale dans l’enseignement français.

Qui a raison ? A priori, les deux argumentations pourraient sembler tenir la route. Pourtant, une étude que vient de publier l’association belge « Appel pour une école démocratique » permet désormais de trancher cette question1. Nous en reprenons ici les grandes lignes et les conclusions.

Classement des pays, selon l’équité dans l’enseignement

L’étude commence par établir un classement du degré d’inégalité sociale dans les systèmes d’enseignement des pays d’Europe occidentale [1]. Ce classement est basé sur un « indice de détermination sociale des performances scolaires » calculé à partir des résultats obtenus en mathématique aux tests internationaux PISA 2003 [2].

Un indice zéro signifie que les résultats des élèves sont totalement indépendants de leur origine sociale. Un indice égal à 1 signifie que la probabilité qu’un enfant de milieu social “supérieur” obtienne de meilleurs résultats qu’un enfant de milieu “inférieur” est deux fois plus élevée que la probabilité inverse. En pratique, aucun pays ne se rapproche de zéro et aucun ne dépasse l’unité.

Le graphique 1 nous montre un classement désormais bien connu : la Belgique et l’Allemagne sont les champions de l’inégalité sociale à l’école, alors que les pays méditerranéens et scandinaves (à l’exception du Danemark) obtiennent les meilleurs résultats. Quant à la France, son classement est très médiocre : une quatrième plus mauvaise place, qui semble venir confirmer l’idée que la carte scolaire et le collège unique ont été incapables d’assurer l’équité du système éducatif français. Pourtant, avec son indice de 0,77, elle occupe, avec la Danemark, les Pays-Bas, l’Autriche et l’Irlande, une position à peu près médiane entre le score de la Belgique (0,93) et celui de la Finlande (0,55).

Liberté de choix et équité

Qu’est-ce qui explique ces différences entre pays ? La réponse à cette question est évidemment multiple et complexe. Un nombre incalculable de facteurs culturels, pédagogiques, organisationnels, géographiques, sociaux, budgétaires... s’entrecroisent sans doute pour produire le classement ci-dessus. Néanmoins, des techniques statistiques adaptées permettent de déterminer l’importance relative de certains de ces facteurs. En particulier, nous avons voulu étudier l’impact de deux facteurs structurels : le degré de liberté dans le choix d’un établissement scolaire et l’âge du premier « palier » qui divise les élèves en filières d’enseignement séparées.

La liberté de choix des parents (ou des élèves) dépend de trois facteurs :
- la densité d’écoles situées à proximité du domicile
- l’existence (ou non) d’une réglementation plus ou moins contraignante en matière d’affectation des élèves aux écoles publiques (un système de carte scolaire, par exemple)
- la part de l’enseignement non-public dans l’offre scolaire (enseignement privé ou sous contrat, qui échappe à toute réglementation en matière de recrutement d’élèves).

En combinant ces trois facteurs, nous avons construit un « indice de liberté de choix ». Lorsque les élèves ne peuvent accéder qu’à une seule école - parce qu’il n’y a pas d’enseignement privé, parce qu’ils n’ont pas le droit de choisir ou simplement parce que la densité d’écoles est trop faible - alors cet indice prend la valeur zéro. Au contraire, la valeur de cet indice s’éloigne de zéro lorsque la densité d’écoles est élevée, lorsque la part de l’enseignement privé est importante et lorsque les pays imposent peu de contraintes dans l’affectation des élèves aux établissements publics.

La Belgique est le pays où l’indice de liberté de choix est le plus élevé (1,87). Cela s’explique aisément en raison des trois facteurs qui interviennent dans le calcul de cet indice : en Belgique, environ 60% des écoles sont des établissements privés sous contrat (généralement catholiques) ; qui plus est, ce pays ne connaît aucune forme de régulation venant limiter la liberté de choix des parents, même dans l’enseignement public ; enfin, la très forte densité de population (343 habitants/km2) fait en sorte que l’offre d’établissements scolaires est particulièrement élevée. Au contraire, le Portugal, qui combine un enseignement presque exclusivement public, une carte scolaire aussi stricte qu’en France et une densité d’écoles relativement peu importante (en raison d’un taux d’urbanisation assez peu élevé), présente l’indice le plus faible (0,18). En deuxième position, vient la Finlande (0,49). Quant à la France, elle occupe à nouveau une position intermédiaire (0,65), reflet de l’action conjuguée de la carte scolaire d’un côté, d’un enseignement privé numériquement important de l’autre.

Revenons à notre question essentielle : existe-t-il une corrélation entre la liberté de choix et l’équité sociale dans l’enseignement ? Pour y répondre, il suffit de comparer nos deux indices : l’indice de détermination sociale et l’indice de liberté de choix. Voici ce que l’on obtient.

Sur le graphique 3, chaque point situe l’un des quinze pays sous étude selon les deux indices en question. Plus un pays se trouve à droite sur ce graphique, plus les parents y disposent d’une grande liberté de choisir l’école de leur enfant ; plus un pays se situe en haut du graphique, plus les performances scolaires sont fortement déterminées par l’origine sociale. Le résultat est frappant. Les points se distribuent assez régulièrement le long d’une ligne droite croissante, signe d’une très forte corrélation entre liberté de choix et inégalité sociale. Seule l’Allemagne (DEU) s’écarte considérablement de la tendance générale ; nous y reviendrons. Un calcul statistique appelé « régression linéaire » permet d’aller plus loin dans ce constat. Il nous apprend en effet que 47% des écarts entre ces quinze pays, en termes d’équité des systèmes éducatifs, sont liés au degré de liberté de choix [3]. En langage simple : la liberté de choix produit bel et bien de l’inégalité.

Pour en revenir à la France, on peut montrer que la suppression de la carte scolaire ferait passer l’indice de liberté de choix de 0,65 à 1,14. Ceci tendrait à augmenter l’indice de détermination sociale des performances scolaires d’un peu moins d’un dixième de point. La France glisserait donc le long de la droite pointillée du graphique, vers le haut et vers la droite. Elle dépasserait alors le Royaume Uni en matière d’inégalité sociale dans l’enseignement. Les mesures visant à favoriser le développement de l’enseignement privé sous contrat viendraient sans doute renforcer encore cet effet.


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Etude complète
Le document technique complet, détaillant notre étude sur la liberté de choix et l’équité.












En complément le commentaire de M Duru-Bellat sur le sitede la république des idées :
dont la conclusion est : Il reste que l’idéologie du choix et du « sauve qui peut » individuel met en péril la notion même de système éducatif. Mais les rappels récurrents des recherches les plus solides pèsent finalement assez peu face à la force de conviction et aux intérêts de certains qui la sous-tendent.


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