Octobre 2008 : le retour de l’État ?
Perspectives politiques sur la crise financière
par Bruno Bernardi [17-10-2008]
Le déroulement de la crise financière et les tentatives pour l’enrayer ont donné lieu à l’émergence d’un nouveau thème : nous assisterions, divine surprise pour les uns, calamité pour les autres, au retour de l’État. Bruno Bernardi se demande si cette idée n’est pas un leurre, derrière lequel il faudrait discerner les enjeux des mutations en cours : une nouvelle étape vers l’absorption de la société par le marché ou une reconfiguration globale de notre horizon historique et politique ?
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En moins d’un an, ce qu’on a appelé la crise des subprimes – ces crédits immobiliers risqués qui ont proliféré durant les dernières années aux États-Unis – s’est propagée (par le procédé de morcellement et de revente des crédits dénommé titrisation) à l’ensemble du système financier mondial. La crise de confiance qui en est résultée a mis en péril l’existence de nombreuses institutions bancaires de premier plan, désorganisé et tari le marché du crédit, provoqué un effondrement des marchés boursiers, laissant présager une période de récession à l’échelle planétaire. Sous la crise financière semble se profiler une crise économique globale. Au cœur de cette tourmente, le marché en désarroi s’est tourné vers les institutions politiques comme ultime recours devant la débâcle. Les États, en se faisant directement fournisseurs de liquidités, de crédits auprès des banques, de garanties aux déposants et, plus directement encore, en entrant dans le capital de grands groupes financiers, ont « repris la main ». Ces mesures seront-elles efficaces, au moins pour atténuer les effets de la crise en cours ? Éviteront-elles une dépression ? Ce sont des questions pratiquement ouvertes et qui, théoriquement, relèvent pour l’essentiel de la science économique.
On peut cependant aborder ces évènements sous un autre angle, plus directement politique.N’assistons-nous pas à un spectaculaire renversement dans les représentations dominantes de ce que doit être, dans son ensemble, l’organisation sociale ?
Les dernières décennies avaient vu monter en puissance l’idée selon laquelle la marché, par sa dynamique propre et les équilibres qu’il contribue à former, était par définition la structure portante de l’ensemble de l’organisation matérielle de la société, et que l’État, comme la fonction politique qui lui est attachée, ne devaient jouer qu’un rôle restreint, d’accompagnement, en tout cas qu’il n’avait aucune légitimité en tant qu’agent économique. Cette lame de fond, que l’on a qualifiée de révolution conservatrice ou de vague néolibérale, a été d’abord attachée aux noms de Margaret Thatcher et Ronald Reagan. On connaît la célèbre formule de ce dernier, prononcée lors de son discours d’investiture, le 20 janvier 1981 : « l’État n’est pas la solution à notre problème ; l’État est le problème » [1].
Trois décennies plus tard, on ne peut voir sans une ironique perplexité les héritiers de Reagan et Thatcher, les chantres du tout - marché, de la redéfinition du périmètre des politiques publiques (son rétrécissement), se muer en quelques jours, voire en quelques heures, en hérauts de la décision politique, défenseurs de l’État entrepreneur, et recourir massivement à des mesures par pudeur appelées de nationalisation, quand étatisation serait le mot exact.
Plus fondamentalement, beaucoup estiment que nous sommes à un tournant dans la manière de penser les rapports entre économie et politique, État et marché. Comblant les uns, horrifiant les autres, nous assisterions, après une longue éclipse, au retour de l’État. Mais, avant de valider ou infirmer ce renversement de perspective, de l’applaudir ou le condamner, n’est-il pas nécessaire, prenant un peu de recul, d’interroger cette idée même d’un retour de l’État ?
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