"Mais la zone euro bénéficie maintenant aussi du privilège exorbitant de la monnaie de réserve, avec le poids croissant de l'euro dans les portefeuilles internationaux. Seulement elle n'en profite pas pour financer facilement un déficit extérieur, elle subit, à cause de cette situation, une surévaluation de sa devise.
Il paraît donc normal de suggérer que la zone euro devrait utiliser le rôle international croissant de l'euro comme monnaie de réserve pour financer, en émettant sur le marché obligataire international, des projets utiles à sa croissance. Les Etats-Unis ont commis l'erreur depuis trente ans d'utiliser le rôle de monnaie de réserve du dollar pour financer des déficits publics improductifs (baisses d'impôts directs, dépenses militaires...) puis les achats de logement et la consommation des ménages. La contrepartie de leur dette extérieure est donc des dépenses de transferts publics et des dépenses des ménages, pas du capital productif ou des infrastructures.
L'Europe pourrait éviter ce piège en utilisant sa capacité nouvelle à se financer à des conditions favorables auprès du reste du monde pour réaliser des dépenses d'infrastructures publiques, de recherche et d'éducation supérieure, d'investissements dans le capital de PME innovantes. Concrètement, ce projet pourrait prendre la forme d'un programme spécial d'émissions d'obligations en euros de la Banque européenne d'investissements destinées aux non-résidents, calibré en fonction de l'excès de demande d'euros vu plus haut, c'est-à-dire de la hausse observée de la part de l'euro dans les portefeuilles obligataires des investisseurs non européens (c'est-à-dire 300 à 500 milliards d'euros par an en ce moment), et dont le produit serait affecté uniquement à des projets stimulant la croissance à long terme et sélectionnés au niveau européen, afin d'éviter la dérive vers le financement de transferts publics, de dépenses courantes.
L'existence de ce programme réduirait les handicaps de la zone euro (il reste bien sûr à traiter la difficulté du champ : union européenne ou zone euro puisque ce sont les actifs en euros qui font l'objet d'une forte demande) dans les domaines cités plus haut (recherche et développement, enseignement supérieur, espace, transports rapides ou économies en énergie, absence de croissance des PME...) et, faisant apparaître une offre de titres en euros en face de la demande pour ces titres, éviterait l'appréciation tendancielle de l'euro.
le second de JP Fitoussi critique la gestion de la crise d ela BCE et conteste la vision très pessimiste de linflation que défend la BCE :
"Un autre signe de la passivité du gouvernement européen devant les circonstances présentes a trait à la politique monétaire. Le taux d'intérêt est le même qu'il y a dix mois, 4 %, alors que sur la même période il est passé de 5,25 % à 2 % aux Etats-Unis. La Fed a-t-elle tort de réagir aussi vigoureusement, alors que le taux d'inflation américain est plus élevé que le taux européen ? La BCE dit craindre les effets de "second tour", c'est-à-dire la compensation par les salaires de l'augmentation des prix, car alors une spirale inflationniste pourrait ruiner tous ses efforts. Elle fait bien son métier dans le cadre du mandat qui lui a été confié. Mais il faut en comprendre les conséquences.
La taxe extérieure à laquelle équivaut l'augmentation du prix du pétrole et des autres matières premières pèse avant tout sur les salaires. La baisse du pouvoir d'achat du salaire médian devient la variable d'ajustement susceptible de calmer les pressions inflationnistes, aidant de fait les autorités monétaires à atteindre leur objectif. Or tous les chocs actuels ont un impact inégalitaire. Ils frappent de façon disproportionnée les plus bas revenus : pour les biens de consommation primaire, le fardeau est d'autant plus élevé que le salaire est faible, alors qu'il peut disparaître pour des revenus élevés qui bénéficient de la baisse des prix d'autres biens. La crise bancaire, qui va rationner davantage l'accès au crédit des moins favorisés, est aussi créatrice d'inégalités nouvelles.
Aussi, qu'il s'agisse de la politique monétaire ou budgétaire, le policy mix européen apparaît inadapté aux temps présent et à venir. Si l'on ajoute que la perspective d'un ralentissement mondial, donnée pour certaine, et l'appréciation de l'euro ne peuvent que réduire les exportations nettes européennes, c'est l'ensemble des composantes de la demande qui risquent d'être orientées à la baisse. Les Etats-Unis sont engagés dans une politique opposée : dépréciation du change pour accroître la demande externe ; politiques monétaire et budgétaire expansionnistes pour soutenir la demande interne."
Croissance : des Cassandre aux Candide, par Jean-Paul Fitoussi
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