Un plan pour sauver qui ?

Un plan pour sauver qui ?


La France d'abord:

Sur Libération : L'Etat met 360 milliards sur la table pour sauver les banques


Nicolas Sarkozy, cet après-midi, à l'Elysée, après le conseil des ministres.

Nicolas Sarkozy, cet après-midi, à l'Elysée, après le conseil des ministres. (REUTERS)


L'Etat met 360 milliards sur la table pour sauver les banques

l'Allemagne ensuite : Sur contre info : Berlin : un plan de 470 milliards d’euros lundi 13 octobre

Berlin au chevet des banques et des épargnants. Au lendemain d’une réunion de l’Eurogroupe, l’Allemagne doit présenter aujourd’hui son propre plan de sauvetage d’un volume attendu de 470 milliards d’euros.

Berlin : un plan de 470 milliards d’euros

Et pendant ce temps là à Londres :

Répit. Etonnant, venant du pays opposant à la monnaie unique, du berceau du libéralisme poussé, par pragmatisme, à renier ses convictions. Et à nationaliser à tout va. Du FMI en passant par George Bush, hier, la réponse britannique semble plus appropriée que la réponse… américaine. Et voilà Brown, l’ex-VRP du social-libéralisme assumer son virage idéologique, sans risquer d’être démenti par les Européens : «Les vieilles solutions d’hier ne nous seront pas utiles pour les défis d’aujourd’hui et de demain.» S’il reste à en connaître l’efficacité, au moins, la preuve par les faits est là. La garantie des prêts interbancaires que l’Union européenne va suivre ? Londres l’a mise en musique mercredi, à hauteur de 250 milliards de livres. L’injection de liquidités sur le marché pour soulager la contraction du crédit ? C’est fait : 200 milliards de livres. La quasi-nationalisation des bijoux du pays ? Prévue pour ce lundi, à commencer par les deux plus grosses banques (RBS et HBOS) : 75 milliards de livres (contre 50 prévus mercredi). La pire crise depuis 1929 ? Alistair Darling, son ministre des Finances, l’a évoquée il y a un mois, quand son homologue française pensait, elle, que «le plus gros de la crise» était «passé».

Brown, sauvetage «modèle»

p Jorion s'interroge sur la logique de ces multiples plans : Le plus audacieux mène la bande, par Paul Jorion


« En matière de nationalisation du système financier, le pays qui frappe le plus vite, le plus fort détermine le niveau sur lequel les autres sont obligés de s’aligner, » constate Paul Jorion. Mais Gordon Brown a-t-il réellement fait preuve d’audace ou bien plus prosaïquement d’un indispensable réalisme devant une situation plus que dégradée ? Dans ce cas, serait-ce en raison de cette autre forme de la « relation spéciale » entre Londres et son ancienne colonie qu’entretiennent aussi la City et Wall Street ou bien d’une situation de fragilité qui serait commune aux banques européennes ? Questions ouvertes mais réponses potentiellement ruineuses.

Par Paul Jorion, 11 octobre 2008

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Il y a bien longtemps - à la vitesse où vont aujourd’hui les choses, le 14 juillet dernier, j’écrivais dans L’Amérique a changé... même si elle ne le sait pas encore : « Pour Oncle Sam, cela change tout : hier soir, les États-Unis ont basculé du libéralisme dans la social-démocratie ».

L’Amérique ne le savait pas encore il y a trois mois et elle ne le sait même pas encore aujourd’hui mais elle le saura peut-être la semaine prochaine - si mes tuyaux ne sont pas crevés. Le processus va très vite et même en s’accélérant et la raison en est la suivante : c’est le plus audacieux qui mène la bande.

Ce qu’on observe depuis quelques jours, c’est qu’en matière de nationalisation du système financier, le pays qui frappe le plus vite le plus fort détermine le niveau sur lequel les autres sont obligés de s’aligner : quand l’Irlande garantit tous les dépôts à vue, l’Angleterre doit suivre, sous peine de voir toutes ses banques siphonnées aussitôt vers l’Irlande, mais pour ce faire elle est obligée d’aller plus loin dans la nationalisation que n’importe qui d’autre, fixant automatiquement la nouvelle norme pour ceux qui ne veulent pas être laissés pour compte dans le nouveau paysage de la compétitivité : pour les États-Unis, pour l’Allemagne qui avait juré ses grands dieux la semaine précédente qu’il n’en serait rien, pour le Benelux, que les affaires Fortis et Dexia ont déjà conduit sur cette voie, pour l’Espagne qui vient de s’aligner sur la Grande-Bretagne, et bien entendu également pour la France, qui ne se doute encore de rien - même si l’on travaille peut-être dur ce weekend au ministère des Finances.

Je dénonce régulièrement la croyance dans l’autorégulation des marchés mais cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’effets d’auto-organisation dans le système financier et l’entraînement dans la voie de la nationalisation par le plus audacieux auquel on assiste en ce moment, en est un excellent exemple.

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

* Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.



ET PENDANT CE TEMPS LA :

Carte de la faim de la FAO

«La crise financière occulte la crise alimentaire»

Interview

Sébastien Fourmy, porte-parole d'Oxfam France, de retour des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, déplore l'écart entre les moyens mis en œuvre dans un cas et la passivité dans l'autre.

Ainsi, dans un communiqué, l'organisation non gouvernementale Oxfam affirme que «ces réunions ont offert un nombre de solutions scandaleusement faible pour les pays les plus pauvres. Les dirigeants mondiaux reconnaissent qu'il y a une crise mondiale de la pauvreté, mais l'ont ignorée». Or, la faim et la malnutrition ne cessent de progresser : plus de 925 millions de personnes souffrent de la faim. «Alors que le monde développé a dégagé plus de 1000 milliards de dollars en quelques semaines pour empêcher ses banques de faire faillite, il ne parvient pas à trouver 1% de cette somme pour aider les pays les plus pauvres à surmonter la crise alimentaire»,ajoute Oxfam. Entretien avec Sébastien Fourmy, coordinateur des campagnes d'Oxfam France-Agir Ici, et de retour de Washington.

Des moyens, mais pas pour la faim, par Laetitia Clavreu





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De toute évidence, il y a crise et crise, urgence et urgence, milliards et milliards. C'est ce que constatent aujourd'hui, amers, ceux qui depuis des années lancent des appels aux dons pour résoudre le problème de la faim dans le monde.

Ainsi François Danel, le directeur général d'Action contre la faim, se dit surpris "de voir la capacité de lever en quelques jours 700 milliards de dollars (517 milliards d'euros) aux Etats-Unis, et des centaines de milliards en Europe, alors que nous rencontrons les plus grandes difficultés à trouver des fonds pour des enfants qui meurent de faim". Et de rappeler les propos du sociologue suisse Jean Ziegler, ancien rapporteur de l'ONU pour le droit à l'alimentation : "Un enfant qui meurt de faim aujourd'hui est un enfant assassiné."

Des moyens, mais pas pour la faim, par Laetitia Clavreul

ECOUTEZ JEAN ZIEGLER :





Alors la tribune pose la question : Ci-gît le libéralisme ? 1979-2008

Par François Lenglet, rédacteur en chef Economie, politique, international à La Tribune.

Des banques nationalisées, en Europe et aux Etats-Unis. Des dirigeants européens qui réhabilitent l'intervention publique et suspendent les règles communes qui proscrivent les aides d'Etat, tout comme celles qui promeuvent la concurrence. Les salaires des patrons encadrés, la finance stigmatisée, l'économie de marché critiquée : la crise a provoqué un gigantesque tête-à-queue idéologique. Comme si, avec les craquements du système bancaire mondial, se terminait un grand cycle libéral. Un cycle comme le capitalisme en a connu plusieurs, qui s'interrompent toujours de la même façon, avec un krach financier retentissant.

Voilà près de trente ans que l'économie de marché sans limites était célébrée sur tous les continents, et qu'on lui attribuait non sans raison l'extraordinaire emballement de la croissance économique des dernières années, qui a vu le PIB américain progresser de moitié entre 1994 et 2006 et la Chine sortir du Moyen Age. C'est au nom de cette efficacité que nous avons organisé le retrait de la puissance publique dans la plupart des pays du monde. Qu'on a déréglementé les secteurs de l'énergie, des télécommunications, des transports, en exaltant les vertus de la concurrence.

Cette grande vague libérale naît durant les années 1970, dans le monde anglo-saxon. En 1979, Margaret Thatcher conquiert le pouvoir au Royaume-Uni. En quelques années, elle remet sur pied ce grand pays épuisé, en ouvrant les frontières, en taillant dans la dépense publique, en baissant les impôts et en cassant les syndicats. Quinze mois plus tard, l'Amérique élit à la présidence un vieil acteur au rencart reconverti dans la politique, Ronald Reagan. Ce républicain fera lui aussi merveille, en rétablissant une Amérique qui avait été considérablement affaiblie. Il réussira avec les mêmes recettes que son homologue britannique : moins d'impôts, moins de règles, moins d'État.

En 1989, la chute du mur de Berlin décuple la vague libérale, parce qu'elle ouvre au commerce et à l'économie de marché un continent qui aspire à la liberté politique et économique. Russie, Pologne, Tchécoslovaquie, nouveaux Länder allemands, tous se précipitent pour renier le plan et adorer le marché, avec le zèle du converti. La Communauté économique européenne accueille ces nouveaux catéchumènes avec enthousiasme. L'Europe est elle-même engagée dans une entreprise de vaste envergure, le marché unique. Le projet est inspiré, là encore, par la grande vague libérale qui balaye la planète : ouverture des frontières, démantèlement des politiques industrielles nationales au profit de la concurrence, contention de la sphère publique.

La ferveur libérale est à son comble au début des années 1990, grâce à l'irruption des nouveaux pays industrialisés, celle de la Chine en particulier, qui adoptent eux aussi l'économie de marché. Les entreprises occidentales profitent des nouvelles libertés d'investissement et des bas coûts de transport pour étendre leur terrain d'action. Le commerce mondial change subrepticement de nature : les échanges intrafirmes deviennent prépondérants, l'organisation des entreprises se love dans la nouvelle géographie de la croissance, profitant des considérables différences de salaires dans un monde où les règles du jeu économiques s'universalisent.

La première rupture intervient en 1997-1998, avec la crise asiatique, qui infléchit la trajectoire folle des «dragons» d'Asie du Sud-Est. Trois ans plus tard, c'est l'éclatement de la bulle Internet, puis le scandale Enron. Celui-ci jette une ombre sur la sincérité des comptes publiés par les entreprises. La croissance mondiale reprend pourtant à vive allure, grâce aux médications d'Alan Greenspan, qui soutient la croissance américaine en baissant ses taux d'intérêt.

Il s'ensuivra la plus grosse bulle spéculative de l'histoire, avec l'explosion des prix de l'immobilier dans le monde entier, et la progression inouïe de l'endettement - la liberté économique stimule les «instincts animaux», pour reprendre les termes de l'économiste John Maynard Keynes. La dette totale des Américains (tous agents confondus) atteint 350% du PIB en 2007 — même en 1929, elle n'avait fait que frôler les 300%. La crise des subprimes intervient en juillet 2007, et s'amplifie au cours de l'année 2008.

On connaît la suite. Le marché a produit une catastrophe qu'il est incapable de régler tout seul. D'où l'incroyable succession de nationalisations d'établissements financiers depuis quelques mois. Comme toujours, les autres nations suivent, et se mettent à prêcher aussi pour le retour de l'Etat, le contrôle des rémunérations, le retour à la réglementation... Et les conversions idéologiques se multiplient. Celle de Paul Krugman, par exemple, économiste réputé et naguère défenseur de la mondialisation heureuse, et aujourd'hui bien plus circonspect.

Ou celle de Giulio Tremonti, lieutenant de Silvio Berlusconi, qui a publié, début 2008, un livre qui fait un tabac, la Paura e la Speranza ("la Peur et l'Espoir"). Naguère maître à penser de la droite libérale, il conteste aujourd'hui le marché, «idéologie totalitaire», et appelle à la construction d'une Europe «avec des portes, à condition qu'elles ne soient pas toujours ouvertes». Autant de signes du gigantesque retournement idéologique qui est à l'œuvre sous nos yeux, dans le monde entier. Nicolas Sarkozy lui-même a d'ailleurs fait l'apologie du rôle de l'Etat dans l'économie, lors de son discours de Toulon, fin septembre 2008.

Jusqu'où peut aller cette inclination régressive ? Rien n'est désormais impossible. La mondialisation entre très probablement dans une phase d'éclipse. Car sa cause première n'est ni la technologie, ni la baisse des coûts de transport, ni même l'organisation des entreprises, mais le degré de tolérance des sociétés à l'ouverture internationale et leur aspiration à la liberté. Sentiment qui varie sensiblement d'une époque à l'autre, en fonction de la conjoncture et de la confiance dans l'avenir. En temps de crise, les citoyens ne demandent pas plus de liberté, mais plus de protection.

Dans les mois qui viennent, nos sociétés vont donc rétablir les frontières nationales. En Europe, nous avons commencé, avec la multiplication des mesures dispersées et contradictoires que les gouvernements ont prises pour lutter contre la crise. Et, dans peu de temps, le libéralisme nous semblera ce qu'il est : une belle idée de beau temps, complètement inadaptée lorsque l'âme collective s'inquiète d'une tempête inhabituelle. Une consolation, toutefois. Durant ce cycle qui s'ouvre, la France, viscéralement antilibérale, sera en accord avec son temps, en vertu d'une loi éternelle : une pendule arrêtée donne l'heure deux fois par jour.



Auguste Detoeuf, le 1er mai 1936 : "le libéralisme est mort ! "
Dans les années 1930 aussi, on s'interroge sur les moyens de sortir de la crise, et sur la nécessité de revenir à l'intervention économique au détriment de l'économie de marché. En France, un petit groupe d'esprits éclairés, polytechniciens, crée alors un groupe de réflexion, «X-Crise». Le 1er mai 1936, X-Crise reçoit un grand dirigeant d'entreprise, Auguste Detœuf, patron de Thomson-Houston, qui prononce une conférence intitulée «La fin du libéralisme». Extraits: «le libéralisme est mort ; il a été tué, non pas par la volonté des hommes ou à cause d'une libre action des gouvernements, mais par une inéluctable évolution interne [...] Je crois que la fausse mystique libérale, les déclarations libérales sans sincérité, toute cette démagogie à l'intention des classes dirigeantes et d'un peuple qui confond la liberté économique avec la liberté tout court, sont des dangers publics.


un petit film pour conclure : le sud emploiera t'il demain le nord :

The job
envoyé par trescourt


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