Thème 2 sur les inégalités : la discrimination positive : intérêts et limites

THEME N°II SUR LE CHAPITRE DEMOCRATIE ET EGALITE


Sujet : Après avoir constaté la persistance voire l’aggravation des inégalités en France résultant de discriminations, vous vous interrogerez sur l’intérêt de la mise en œuvre de politiques de discrimination positive prenant appui sur l’affirmative action appliquée aux Etats-Unis depuis les années 60 .

Dossier documentaire :


Document 1 :
Le terme «ghetto scolaire», on le voit, n'est pas trop fort. Il ne s'agit pas d'une simple surreprésentation de quelques-uns dans certains collèges, ou encore d'un phénomène aléatoire De fait, certaines catégories d'élèves sont mises à l'écart On peut en trouver une dernière confirmation en utilisant un indice dont se servent les économistes pour mesurer les inégalités de richesse. Il s'agit de l'indice de Gini qui mesure la concentration des richesses dans une région, un pays entier ou encore entre nations. A titre d'exemple, avec un Gini de 0,33, on observe en France que les 10% les plus riches ont 25 % de la masse totale des revenus, et inversement les 10%les plus pauvres n'en ont que 2,8 %. Les inégalités sont donc loin d'être négligeables en France, mais le Brésil, avec un indice de 0,59 est encore plus inégalitaire. Les 10 % de Brésiliens les plus riches ont 46,7 des revenus du pays, alors que les 10 % les plus pauvres n'en ont que 1% ! On voit que cet indice peut être fort utile pour mesurer les inégalités de répartition des revenus, comme de tout autre bien. Toute inégalité a, en quelque sorte, son Gini ! Qu'en est-il pour la répartition des élèves allochtones dans les collèges ? Au lieu de calculer la concentration des richesses dans les mains de quelques-uns, nous calculons la concentration des élèves allochtones dans quelques collèges. On transpose donc aux phénomènes sociaux l'usage d'un outil classique de l'économie. Et cela permet de comparer ces inégalités entre elles, de donner un ordre de grandeur pour situer le phénomène ségrégatif lié à l'ethnie par rapport aux inégalités économiques en France et dans le monde. L'indice de Gini pour les élèves allochtones est de 0,44. Cela signifie que les inégalités de répartition de ces élèves sont plus fortes que les inégalités de revenu en France, aux États-Unis ou encore en Uruguay (0,42), et équivalent aux inégalités économiques au Costa Rica (0,46), en Arménie (0,44) ou encore en Equateur (0,44) ! Mais il y a mieux. Si l'on considère uniquement les élèves du Maghreb, d'Afrique noire et de Turquie, l'indice de Gini passe à 0,56. C'est-à-dire un indice d'inégalité équivalant aux inégalités de revenu de la Colombie (0,57) ou de la Guinée-Bissau (0,56). Le phénomène est donc d'une ampleur considérable, au même niveau que les inégalités économiques de pays particulièrement marqués par la pauvreté et les injustices sociales.
Source : G.Félouzis , F.Liot et J.Perroton , L’apartheid scolaire , Seuil , 2005

Document 2 :
Méthode :
Nous avons comparé les résultats (convocations à un entretien d’embauche) qu’obtenaient un candidat de référence (homme de 28-30 ans, « français de souche » par son nom et prénom, sans photo) et des candidats factices susceptibles d’être discriminés en raison de :
- L’âge : un homme de 48-50 ans
- Du genre et du nombre d’enfants : une femme avec 3 enfants
- De l’origine : nom et prénom du candidat à consonnance maghrébine
- Du handicap : reconnaissance cotorep
- De l’apparence physique : visage disgracieux
Nous avons envoyé 6 461 CV durant une année en réponse à 1340 offres d’emploi. Les CV ont été adressés par internet et papier en réponse à des offres d’emploi. Le taux de réponse positive obtenu par nos candidatures factices est d’environ 9,26 %. Notre échantillon nous permet de comparer la situation des candidats à des emplois selon la catégorie sociale. Nous testons des emplois de cadres, de techniciens,commerciaux ou encore agents de maitrise (professions intermédiaires dans la nomenclature de l’Insee), d’employés et d’ouvriers. Nous pouvons comparer la réalité des entreprises (le niveau des discriminations) selon la taille de l’entreprise – de 20 salariés, 20 à 200 et + de 200 salariés. Nous avons des éléments de comparaison sur les différences régionales et les secteurs d’activité (construction, industrie, tertiaire)
Résultats d’ensemble par type de discrimination
L’âge est la première forme de discrimination. Un candidat de 48-50 ans reçoit en effet 3 fois moins de réponses positives que notre candidat de référence âgé de 28-30 ans. Nous n’avons naturellement pas répondu aux offres d’emplois qui précisent, en toute illégalité, un critère d’âge. Les annonces précisant un critère d’âge représentent par exemple 8 % des annonces de commerciaux. Les chances de notre candidat âgé sont donc en réalité encore plus faibles. Nous avons réalisé des tests de discrimination en avançant dans une partie de l’échantillon à 48 ans au lieu de 50 ans l’âge de nos candidats séniors. Ce rajeunissement relatif ne change rien à la discrimination qui concerne les séniors.
Un candidat au patronyme maghrébin (sans photo) reçoit lui aussi 3 fois moins de réponses qu’un candidat au nom et prénom « français de souche ». Ce niveau de discrimination, pourtant important en lui-même, peut sembler modeste. En effet, en 2004, sur des emplois de commerciaux nous avions établi qu’un candidat maghrébin avait 5 fois moins de réponses positives qu’un candidat de référence. Notre baromètre porte cette fois sur tous les types d’emploi, en outre, nous ne mesurons que la sélection au tri de CV et non la discrimination dans le reste des étapes du recrutement où elle est importante.
Un candidat en situation de handicap (reconnu Cotorep) a 2 fois moins de chances de décrocher un entretien d’embauche. Ce niveau de discrimination peut être beaucoup plus élevé pour certains types d’emploi et a contrario quasi inexistant pour l’accès à certaines firmes.
Une femme de 32 ans mariée et ayant 3 enfants, et un candidat au visage éloigné des canons de la beauté ont respectivement 37 et 29 % de chances en moins d’être convoqués à un entretien d’embauche. Mais derrière ces résultats moyens se cachent des situations bien différentes. Ainsi, les candidatures de femmes avec enfants sont clairement repoussées sauf pour certains types d’emploi. Quant au physique, il joue beaucoup sauf pour les postes d’ouvriers.
voir les graphiques en cliquant sur le lien ci dessous:
Source :le baromètre 2006 de la discrimination à l'emploi en France : sur le site
http://cergors.univ-paris1.fr/docsatelecharger/Barometre2006resultats.pdf

Document 3 : http://www.dailymotion.com/visited/search/discrimination%2Bau%2Blogement/video/xuaml_couleur-correct-exigee-2
Document 4 :
C'était, après tout, un concept très éloigné de nos pratiques républicaines, mis en oeuvre à partir de la fin des années 1960 aux Etats-Unis sous l'impulsion de la « Great Society» chère à Lyndon Johnson : favoriser, par une politique préférentielle volontariste, l'accès à l'emploi et à l'enseignement supérieur de certaines catégories de population victimes de discrimination, c'est-à-dire les femmes et les minorités ethniques (noires, hispaniques, etc.). (…)
Est-ce un hasard si, finalement, et sans doute inconsciemment, les Français ont adopté l'expression « discrimination positive » plutôt qu'« action affirmative » ? Non : « discrimination positive » a une connotation négative. Dans « discrimination positive », il y a « positive », mais il y a d'abord « discrimination ». Choisir cette traduction, c'était déjà porter un jugement sur le concept. Pour les Américains, le concept était positif, et les mots choisis le prouvaient. Pour les Français, il était négatif, d'emblée. Qui dit « discrimination », positive ou négative, dit contraire à l'égalité. Mais voilà que le débat surgit ( ..) L'intégration ne s'est pas réalisée. Les inégalités se sont creusées. La part des jeunes d'origine populaire dans les grandes écoles est passée de 21 % dans la première moitié des années 1950 à 7 % aujourd'hui, selon un rapport de Michel Euriat et Claude Thélot : on ne peut qu'imaginer le nombre de fils d'immigrés dans ces 7 % ! Cette discrimination-là est très, très négative. Les frustrations qu'elle engendre dans les « quartiers » aggravent la « fracture sociale » et nourrissent les extrémismes.(…)
«Le problème n'est pas de savoir si on est pour l'égalité, mais comment on y arrive », fait valoir Nicolas Sarkozy, qui s'est fait le chantre de la discrimination positive. « Dans la société française, l'égalité des chances consiste à donner la même chose à chacun. Or ce n'est pas ainsi que l'on atteint l'objectif. Assurer l'égalité des chances, c'est être capable de discriminer les moyens en fonction des mérites et en fonction des handicaps », Soutient le ministre de l’intérieur. Aces arguments les défenseurs du modèle républicain répondent que les politiques de duiscrimination positives entrainent une stigmatisation des des populations ciblées
Source : S.Kaufmann , A l’origine l’ »affirmative action » , Le Monde , 2004

Document 5 :
l'heritage de John Rawls dans sa théorie de la justice, publiée aux Etats -Unis en 1971 (Le Seuil, 1987), le philosophe américain John Rawls constatait que, dans l'économie de marché, il existe de «justes inégalités » : celles qui , sans nuire à l'ensemble des citoyens, sont «au plus grand bénéfice des plus désavantagés » puisqu'ils peuvent en tirer profit grâce à des politiques ciblées ( impôt négatif, Etat-providence sélectif, quotas pour les minorités...). Mettre l'équité au service de l'égalité et discriminer pour mieux intégrer, c'est le choix plus ou moins assumé qu'ont fait libéraux et sociaux-démocrates français pour se rapprocher d'un certain équilibre social. Sans doute pas de l'égalité.
L'oeuvre de Rawls, élaborée dans les années 60 a coïncidé avec le mouvement qui a débouché sur la reconnaissance de droits civiques à la communauté noire, en lui apportant un fondement théorique .
Source : Le Monde , 2003

Document 6 : voir le graphique de la représentation des femmes aux parlements sur le site de l'IPU cliquez sur le lien ci dessous
Source : http://www.ipu.org/pdf/publications/wmn05-f.pdf
Document 7 :
Aux Etats-Unis, des politiques de préférence raciale ont permis, depuis le début des années 1970, la promotion réelle et visible dans les hautes sphères de la société, dans les métiers les plus valorisés, dans la politique, principalement des Noirs, plus généralement de tous les groupes victimes dans le passé de discrimination officielle. Elles interviennent dans trois domaines : l'emploi, l'attribution de marchés publics et l'accès aux universités. Dans le même temps, l'affirmative action n'a pas eu que des conséquences positives. Une partie des Noirs américains laissés sur le bord de la route ont vu leur situation se dégrader. Le politiste Andrew Hacker parle de l'existence aux Etats-Unis de deux nations - noire et blanche - séparées, hostiles et inégales. Est-il possible en France d'arriver aux mêmes résultats positifs sans être confrontés aux mêmes conséquences? Pour cela, il faut peut-être sélectionner les expériences américaines le mieux à même de prendre greffe chez nous.
A la fin des années 1960, la république américaine sortait de deux siècles de discrimination légale : d'abord un siècle d'esclavage puis- celui-ci aboli - de ségrégation légitimée par le droit et la Cour suprême. La France et les Etats-Unis ne partent donc pas du même point. Le contexte social et institutionnel est également différent. En France, l'accès de tous à la protection sociale et à la santé est garanti et notre système scolaire assure une égalité minimale des moyens et des enseignants sur l'ensemble du territoire national. Enfin, le contexte culturel: aux Etats-Unis, on compte les habitants par race depuis la création de la république. Dans les universités, la préférence raciale est venue s'ajouter à d'autres voies spéciales toujours ouvertes, pour les sportifs, mais surtout pour les enfants d’anciens élèves . Pendant quarante ans, 20 % des étudiants admis à Harvard l'ont été en raison de leur lien de filiation avec des anciens de l'université. De fait, la politique du multiculturalisme est plus populaire dans les milieux académiques américains que dans les milieux ouvriers, attachés à leur identité de classe et au principe d'égalité.
En France, le besoin d'égalité est inscrit au cœur des valeurs républicaines. Il n'est pas exempt d'hypocrisie, mais sa légitimité recèle contre les discriminations les meilleures ressources pour l'action. Or compter par race ou ethnie est contraire à nos traditions.
Source : P.Weil , Ce que l’on peut retenir du modèle américain , Le Monde , décembre 2004

Document 8 :
une loi, a permis aux femmes de prendre toute leur part de responsabilités dans les élections à scrutin proportionnel. Dans les conseils
municipaux des villes dépassant 3 500 habitants, leur part est passée de 27 à 47,5 %. Dans les conseils régionaux, de 27,5 à 48% . A elles seules, ces indications résument un nouvel état de fait, la vraie victoire engrangée depuis le vote de la loi du 6 juin 2000 et l'ajout, à l'article III de la Constitution, de cette précision fondamentale : «La loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives. » Lionel Jospin, alors premier ministre, avait raison d'évoquer à cette époque la promesse d'une « révolution douée ». Ce bilan positif, fruit d'une volonté politique et d'une loi volontariste, souligne que la République doit, quand cela se révèle nécessaire, faire preuve de conviction et imposer la parité. Cette dernière avait pourtant contre elle nombre d'hommes et de femmes tenant par-dessus tout au principe de l'égalité devant la loi. Ce débat semble bien loin.
Or, sur ce point, il faut reconnaître les limites de la loi du 6 juin 2000. Dans les élections au scrutin uninominal (conseils généraux, Assemblée nationale et, pour partie, Sénat), le bilan est carrément médiocre, voire pitoyable. Aucune évolution n'a été enregistrée dans les conseils généraux et, à l'Assemblée nationale, les « progrès » se chiffre à 8 femmes de plus. L'indécence de ce surplace vaut à
la France de se classer dans les derniers rangs de l'Union européenne.
Source : Le Monde, les femmes en politique tout doucement, 8-04-2005

Document 9 :
Le fait que les élèves apprennent moins et passent plus souvent en seconde dans les établissements les plus ségrégués est en fait le résultat d'un seul et même phénomène, ce que les sociologues anglo-saxons appellent le school mix c'est-à-dire le niveau scolaire moyen des classes et des collèges qui forme le contexte d'apprentissage pour les élèves, et le cadre d'enseignement pour les professeurs. Dans les établissements les plus ségrégués, où les élèves sont en moyenne les plus faibles, s'opère un double processus
1. Celui, d'une part, d'une moindre progression des élèves pendant leur scolarité due au fait qu'une dynamique d'apprentissage est plus difficile à mettre en œuvre dans les classes. Il s'agit d'un fait comparable à celui mis en évidence par Marie Duru-Bellat et Alain Mingat à propos des classes de niveau . Les classes homogènes de niveau faible progressent beaucoup moins que les classes homogènes de bon niveau et que les classes hétérogènes car les enseignants modulent leur enseignement en fonction du niveau scolaire, réel ou supposé, de leurs élèves. De ce fait, l'enseignement y est moins intensif, le rythme moins soutenu, les objectifs plus modestes. Au niveau des établissements, il s'agit du même processus qui produit les mêmes effets, soit que les élèves «résistent» plus fortement aux sollicitations scolaires de leurs enseignants, soit que cela «amène les maîtres à moduler la quantité, le rythme ou encore la qualité des activités d'instruction1». Une fois de plus donc, «le contexte fait des différences».
2. D'autre part, en modifiant leurs exigences académiques, les enseignants modifient aussi leurs critères d'évaluation et de notation. Dans une classe où la plupart des élèves ont un niveau scolaire faible s'instaure un processus à la fois cognitif et professionnel de la part des enseignants qui se doivent d'adapter leurs critères de notation à leur classe. D'où le «décrochage» entre les notes du contrôle continu et du contrôle ponctuel du brevet observé plus haut. Par rapport à leur niveau académique «réel», les élèves des établissements les plus ségrégués sont « sur-notés », et les décisions d'orientation étant en grande partie basées sur les notes, ils sont plus souvent orientés en seconde «toutes choses égales par ailleurs».
3. Une troisième remarque s'impose. Elle porte sur les parcours à plus long terme des élèves orientés en seconde avec un niveau académique plus faible. S'agit-il véritablement d'une «chance» pour eux ? Ou verront-ils leurs espoirs déçus dès les premiers mois de leur scolarité en seconde générale ? La question reste posée car ces « sur-orientations » peuvent offrir de nouvelles chances à certains élèves, comme n’être que des éliminations différées génératrices de frustration.

Document 10 :
D'où le malaise éprouvé par beaucoup devant l'usage du terme « discrimination positive ». Il se réfère généralement à des politiques dont l'objectif est de compenser des handicaps « supposés », des discriminations qui n'ont aucun fondement objectif dans l'ordre du social, et aucune base juridique dans celui du droit - la couleur de la peau, la religion etc. Ce faisant, de telles actions publiques courent le risque de transformer un enjeu social en problème de relations intercommunautaires. Car elles s'accommodent de préjugés prenant leurs sources dans la sphère privée alors même qu'ils sont inacceptables dans la sphère publique de la laïcité.
Reconnaître que le groupe ethnique, la « race » ou la religion peuvent constituer des « handicaps » qu'il convient de corriger par une
discrimination positive comporte un double inconvénient : objectiver les préjugés en cherchant à en corriger les conséquences ; affirmer la priorité de l'identité communautaire sur toutes les autres. Sur le premier point, il existe des moyens juridiques de combattre les discriminations « ethniques » et « raciales », qui devraient être utilisés avec une détermination bien plus grande qu'aujourd'hui. Celles-ci sont incontestables, comme l'ont souligné les rapports successifs du Haut Conseil à l'intégration.
Il s’agit d'un des plus beaux combats pour affermir notre égalité républicaine chancelante - ce mouvement d'égalisation des conditions par le moyen duquel les individus en viennent à se concevoir comme semblables, par-delà leurs particularités et les spécificités du ou des groupes auxquels d'autres les identifient, indépendamment de leur propre préférence.
Le second inconvénient est précisément celui-là. Comme le souligne encore, non sans malice, Amartya Sen : « Bien que l'exclusivité d'une identité particulière soit souvent présupposée [en général de manière implicite], je soutiens que cette hypothèse est tout à fait absurde. Nous relevons tous individuellement, dans nos vies respectives, de diverses identités liées à des contextes très variés. Un seul individu peut ainsi être à la fois d'origine malaisienne, présenter des caractéristiques raciales chinoises, être citoyen français, résidant aux Etats-Unis, chrétien, socialiste, femme, ornithologue, astrologue et profondément convaincu que des créatures extraterrestres visitent régulièrement la Terre dans des véhicules de toutes les couleurs, en chantant gaiement. » Parce que l'espace public est celui où nous sommes semblables, y participer au nom d'une autre identité que celle que confère la citoyenneté ou la résidence sur le sol national, ou la compensation d'un handicap objectivable, conduit à ériger la différenciation culturelle des membres du corps social en objet politique. Or cette différenciation qui, de fait, constitue une richesse, appartient à la sphère privée et doit être tenue à saine distance de l'espace civique.
La discrimination est un fait. Elle enferme les individus dans l'une de leurs multiples identités. Combattre cette discrimination en affirmant positivement cette identité, c'est lui donner une forme de validation formelle. Là est le dilemme ; là est la raison du malaise. Il n'existe pas de solution simple à ce problème, mais deux voies sont offertes.
La première est celle de la discrimination positive qui substitue au « négatif social » le « négatif communautaire ».
La seconde est double : d'une part, lorsque les conditions initiales dans lesquelles se trouvent certains individus sont trop défavorables, il convient de mettre en œuvre des politiques susceptibles de faciliter leur intégration sociale, ce qui implique un traitement inégal des individus ou des groupes en raison de la diversité de leurs conditions. Mais cela signifie simplement que l'action politique est fondée sur un principe d'égalité plus exigeant dont le but est d'empêcher la ségrégation sociale. Ce serait un comble de qualifier ce type de politique par les moyens qu'elles utilisent - l'action différenciée, la « discrimination » - plutôt que par les fins qu'elles poursuivent : la recherche de l'égalité.
Source : J.P.Fitoussi , Repenser l’égalité , Le Monde , 3 décembre 2003

Document 11 :
Noirs et métis représentent 45 % de la population brésilienne, mais seulement 15 % des étudiants. Ce déphasage s'explique en partie par l'abolition tardive -en 1888- de l'esclavage. Les quotas établis par les députés de Rio en vue de corriger cette distorsion génèrent cependant des injustices criantes. « Il est légitime que l'on cherche à amenuiser les conséquences de siècles de discrimination et de préjugés. Toutefois, ce que l'on a pu voir à Rio, c'est le mépris du mérite et beaucoup d'improvisation, affirme Epoca. Sur dix places en jeu, moins de quatre revenaient aux étudiants qui se sont distingués par leur savoir au moment de répondre aux questions. Les autres doivent leur réussite au fait qu'ils sont noirs ou métis, parce qu'ils ont toujours étudié dans des écoles publiques, ou pour les deux raisons à la fois. Des 1969 Noirs admis à l'UERJ en 2003, 329 l'ont été par notation conventionnelle, les autres - plus de 80 — grâce aux quotas. » Le débat s'annonce d'autant plus brûlant que la définition de l'appartenance ethnique reste sujette, au Brésil, à des appréciations variables. Invitées à préciser la couleur de leur peau dans le cadre du dernier recensement général de l'Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE), les personnes interrogées ont fourni pas moins de 143 réponses différentes recouvrant toutes les nuances imaginables de pigmentation !
Tout Brésilien ou presque pouvant revendiquer un ancêtre noir ou métis, la discrimination positive se prête accessoirement à de basses
manœuvres. Diego Désigne, qui passerait pour un Blanc même dans un pays Scandinave, s'est ainsi inscrit comme Noir à l'examen de comptabilité de l'UERJ, où il a été admis grâce aux quotas. Dénoncé par la presse, il a renoncé à profiter abusivement de ce passe-droit.
Source : JJ Sevilla, noirs au brésil, l’impossible définition, le Monde 8 mars 2003.

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